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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-86

Si on jugeait à l’aune du procès de Nuremberg...

Par NHS et CDC, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 23 octobre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Si on jugeait à l’aune du procès de Nuremberg...

Diffusé vers 1990, Par Noam Chomsky

« Les lois de Nuremberg » par Noam Chomsky

Si les principes du procès de Nuremberg étaient appliqués, alors tous les présidents américains de l’après-guerre auraient été pendus. Par violation des règles de Nuremberg, j’entends le même genre de crimes que ceux pour lesquels des gens ont été pendus à Nuremberg. Et Nuremberg signifie Nuremberg et Tokyo. Il faut donc tout d’abord rappeler les raisons pour lesquelles des gens ont été pendus à Nuremberg et à Tokyo. Et une fois qu’on y repense, la question n’exige pas qu’on y perde ne serait-ce qu’une minute.

Prenons l’exemple d’un général, lors des procès de Tokyo qui ont été parmi les pires, le général Yamashita a été pendu sous le prétexte qu’aux Philippines, les troupes qui étaient techniquement sous son commandement (bien que ce soit tellement tard pendant la guerre qu’il n’avait plus aucun contact avec celles-ci – c’était la toute fin de la guerre et il y avait des troupes qui se baladaient partout sur le territoire aux Philippines et avec lesquelles il n’avait aucun contact), ces troupes donc, avaient commis des atrocités, alors il a été pendu. Eh bien, appliquez cette règle et vous avez déjà anéanti tout le monde.

Nous ne négocions pas avec les terroristes car nous sommes les terroristes

Le cas Kennedy est facile. L’invasion de Cuba était une agression pure et simple. Soit dit en passant, Eisenhower l’avait d’ailleurs planifiée, il était donc impliqué dans une conspiration pour envahir un autre pays, ce que nous pouvons ajouter à son score.

Après l’invasion de Cuba, Kennedy a lancé une énorme campagne terroriste contre Cuba, et c’était du sérieux. Ce n’était pas une blague. Bombardement d’installations industrielles avec des morts en masse, bombardement d’hôtels, sabordage de bateaux de pêche, sabotage. Plus tard, sous Nixon, cela est allé jusqu’à empoisonner le bétail, etc. Une grosse affaire.

Et puis est arrivé le Vietnam ; il a envahi le Vietnam. Il a envahi le Sud-Vietnam en 1962. Il a envoyé l’armée de l’air américaine pour bombarder. D’accord. Voilà le cas Kennedy réglé.

Présidents US depuis la seconde guerre mondiale

Johnson est insignifiant. La seule guerre d’Indochine, oublions l’invasion de la République Dominicaine, a été un crime de guerre majeur.

Pareil pour Nixon. Nixon a envahi le Cambodge. Le bombardement du Cambodge par Nixon-Kissinger au début des années 70 n’était pas très différent des atrocités commises par les Khmers rouges, certes par son ampleur un peu moindre, mais pas de beaucoup. Il en a été de même au Laos. Je pourrais continuer à dresser leur bilan, c’est facile.

Ford n’a été là que très peu de temps, donc il n’a pas eu le temps de perpétrer beaucoup de crimes, mais il a réussi un coup important. Il a soutenu l’invasion indonésienne du Timor oriental, dans quelque chose de très voisin d’un génocide.

Ce que je veux dire c’est qu’en comparaison cela fait passer l’invasion du Koweït par Saddam Hussein pour une bagatelle. Et cela a été soutenu par les États-Unis de manière décisive, soutien diplomatique et soutien militaire nécessaires provenant principalement des États-Unis. Cela a été repris sous Carter.

Carter a été le moins violent des présidents américains, mais il a fait des choses qui, je pense, relèveraient certainement des dispositions de Nuremberg. Alors que les atrocités indonésiennes atteignaient un niveau proche du génocide, l’aide américaine sous Carter a augmenté. Elle a atteint un sommet en 1978, lorsque les atrocités ont atteint leur apogée. Et voilà le dossier Carter réglé, même si on en oublie.

Procès de Nuremberg

Reagan. Il n’y a pas de question. Je veux dire, les opérations en Amérique centrale se suffisent à elles-mêmes. Le soutien à l’invasion israélienne du Liban fait aussi paraître Saddam Hussein comme plutôt gentillet en terme de pertes humaines et de destruction. Voilà pour lui.

Bush. Eh bien, faut-il en parler ? En fait, durant la période Reagan, il y a même eu une décision de la Cour internationale de justice sur ce qu’ils appellent "l’usage illégal de la force" pour lequel Reagan et Bush ont été condamnés. Je veux dire, vous pourriez débattre du cas de certains de ceux-là, mais je pense que vous pourriez présenter un argument assez solide si vous regardez les décisions de Nuremberg, Nuremberg et Tokyo, et que vous demandez pour quoi les gens ont été condamnés. Je pense que les présidents américains tombent bien dans le domaine concerné.

De plus, n’oubliez pas que les gens devraient être assez critiques à l’égard des principes de Nuremberg. Je ne veux pas suggérer qu’ils sont une sorte de modèle de probité ou quoi que ce soit d’autre. D’abord, ils ont été appliqués a posteriori. Les vainqueurs ont déterminé qu’il s’agissait de crimes après avoir gagné. Déjà, voilà qui soulève des questions.

Dans le cas des présidents américains, il ne s’agissait pas de ex post facto. En outre, il faut se demander ce qu’on appelle un "crime de guerre". Comment, à Nuremberg et à Tokyo, ont-ils décidé de ce qu’était un crime de guerre ? Et la réponse est assez simple. Et pas très agréable. Il y avait un critère. Un peu comme un critère opérationnel. Si l’ennemi l’avait fait et ne pouvait pas prouver que nous l’avions fait, alors c’était un crime de guerre.

Voilà pourquoi le bombardement de concentrations urbaines n’a pas été considéré comme un crime de guerre parce que nous y avions eu plus recours que les Allemands et les Japonais. Ce n’était donc pas un crime de guerre. Vous voulez transformer Tokyo en décombres ? Tellement de décombres que vous ne pouvez même pas y larguer une bombe atomique parce que personne ne s’apercevrait de quoi que ce soit si vous le faites, ce qui est la vraie raison pour laquelle ils n’ont pas bombardé Tokyo. Ce n’est pas un crime de guerre parce que nous l’avons fait. Bombarder Dresde n’est pas un crime de guerre. C’est nous qui l’avons fait.

L’amiral allemand Gernetz – quand il a été jugé (il était commandant de sous-marin ou quelque chose comme ça) pour avoir coulé des navires marchands ou quoi que ce soit qu’il ait fait – il a appelé comme témoin de la défense l’amiral américain Nimitz qui a déclaré que les États-Unis avaient fait à peu près la même chose, donc il s’en est sorti, il n’a pas été jugé.

Et en fait, si vous parcourez l’ensemble du dossier, il s’avère qu’un crime de guerre, c’ est tout crime de guerre pour lequel vous pouvez les condamner eux, mais pour lequel ils ne peuvent pas nous condamner. Vous savez, cela soulève pas mal de questions.

Je dois dire, en fait, que cela est dit assez ouvertement par les personnes concernées et que c’est considéré comme une position morale. Le procureur général de Nuremberg était Telford Taylor. Vous savez, un homme bien. Il a écrit un livre intitulé Nuremberg et le Vietnam. Et dans ce livre, il essaie de déterminer s’il y a des crimes au Vietnam qui relèvent des principes de Nuremberg. Comme on pouvait s’y attendre, il dit que non. Mais il est intéressant de voir comment il énonce les principes de Nuremberg.

Nous allons libérer la m... de toi

Ils sont exactement tels que je l’ai décrit. En fait, je le tiens de lui, mais il ne considère pas cela comme une critique. Il dit que c’est la façon dont nous avons procédé et que c’était comme ça que ça devait être fait. Il y a un article à ce sujet dans le Yale Law Journal ["Review Symposium : War Crimes, the Rule of Force in International Affairs", The Yale Law Journal, Vol. 80, #7, juin 1971] qui a été réédité dans un livre [Chapitre 3 de For Reasons of State (Pantheon, 1973) de Chomsky] si cela vous intéresse.

Je pense qu’il faut se poser beaucoup de questions sur le tribunal de Nuremberg, et surtout sur le tribunal de Tokyo. Le tribunal de Tokyo était à bien des égards une farce. Les personnes condamnées à Tokyo avaient fait des choses pour lesquelles bien des gens de l’autre côté auraient pu être condamnés.

En outre, exactement comme dans le cas de Saddam Hussein, les États-Unis se fichent complètement de nombre de leurs pires atrocités. Comme certaines des pires atrocités commises par les Japonais à la fin des années 30, mais les États-Unis ne s’en souciaient pas particulièrement. Ce qui préoccupait les États-Unis, c’était que le Japon s’apprêtait à verrouiller le marché chinois. Et ça, ce n’était pas une bonne chose. Mais quant au massacre de quelques centaines de milliers de personnes ou quoi que ce soit qu’ils aient fait à Nankin. Ça, ce n’est pas quelque chose de bien important.

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