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Dans le même esprit que les conviviums de Slowfood

Le convivialisme comme antidote au néolibéralisme

par Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID

vendredi 11 septembre 2020, par JMT

Le convivialisme, « philosophie de l’art de vivre ensemble », propose donc cinq principes majeurs pour libérer nos esprits de l’emprise néolibérale : le principe de commune naturalité (les humains vivent dans la nature, pas à l’extérieur), de commune humanité, de commune socialité (les rapports sociaux sont notre plus grande richesse), de légitime individuation (le droit d’affirmer sa personnalité), d’opposition créatrice (la différenciation au service du bien commun), et un impératif, celui du refus de la démesure, afin d’échapper au désir de toute puissance.

Le convivialisme comme antidote au néolibéralisme

« Elaborer une pensée et une intelligibilité alternative du monde à celle que le néolibéralisme a su imposer à toute la planète » : telle est l’ambition des 300 personnalités de 33 pays différents, signataires du Second manifeste convivialiste (Actes Sud). Il s’agit de trouver et formaliser une alternative au « TINA » (There is no alternative) de Margareth Thatcher et aux valeurs du néolibéralisme comme l’avidité, la démesure, la concurrence.

Le convivialisme, « philosophie de l’art de vivre ensemble », propose cinq principes majeurs pour libérer nos esprits de l’emprise néolibérale : la commune naturalité (les humains vivent dans la nature, pas à l’extérieur), la commune humanité, la commune socialité (les rapports sociaux sont notre plus grande richesse), la légitime individuation (le droit d’affirmer sa personnalité), l’opposition créatrice (la différenciation au service du bien commun), et un impératif, celui du refus de la démesure. Ce programme reprend et complète le premier manifeste convivialiste paru en 2013, en particulier sur le plan du rapport à la Nature.

1°) La Question économique
L’une des quatre questions du convivialisme est la question économique. Le néolibéralisme est un récit. Il a été construit par Friedriech Hayek et Milton Fridman dès la création de la Société du Mont-Pèlerin, lorsqu’ils ont décidé de s’attaquer au keynésianisme. Ils ont mis en cause l’hégémonie du modèle social-démocrate dans les pays capitalistes. Le convivialisme propose une contre-critique idéologique du néolibéralisme, ou de l’hyper-capitalisme. Quand le convivialisme critique le néolibéralisme, ce n’est pas au sens de libéralisme politique et culturel, toujours d’actualité, mais de cet hyper-capitalisme théorisé par Milton Friedman et les Chicago boys, des antilibéraux radicaux qui ont fait leurs premières expériences au Chili sous Pinochet. Un peu plus tard, Margaret Thatcher déclarait son célèbre « il n’y pas d’alternatives » au Marché, parole par essence anti-démocratique. Néanmoins, il faut avoir une vision dynamique car nous ne sommes pas seulement confrontés à un risque venant du capitalisme, mais aussi à la montée du néo-totalitarisme en train d’émerger en Extrême-Orient, cf. l’exemple chinois.

2°) La Question morale
Elle s’inscrit dans le concept de l’hubris : il est au cœur du néolibéralisme, en particulier de l’hyper-capitalisme financier, ou encore du risque nucléaire. On est dans l’hyperbole de la démesure, dans la fascination de la puissance qui se retourne contre elle-même et risque de détruire l’Humanité elle-même. L’hubris est présent aussi dans le Trans-humanisme, ou plus précisément le Post-humanisme avec son fantasme d’un homme robotisé. L’hubris était aussi présent dans le productivisme du communisme d’Etat. De nos jours, la démesure est l’extension infinie du Marché. Tout devient marchandise. La théorie du ruissellement, critiquée, conduit à justifier le creusement d’inégalités destructrices. La démesure est un facteur commun dans le rapport à la question écologique–la destruction de la nature et du vivant–, dans le rapport au politique– notamment son risque de destruction de l’espèce–, dans le rapport de l’économie à la société.

3°) La Question politique
Le convivialisme est un projet de « pleine humanité », qui vise à réaliser toutes les potentialités créatrices de chaque être humain et de tous les êtres humains, tout en refusant la logique de la démesure. Logique qui peut conduire à une forme de post-humanité réduite à un nombre limité d’êtres humains, les autres êtres humains étant réduits à la domesticité. Au contraire la réalisation de la pleine humanité est un projet qui relève des idéologies émancipatrices, en combattant les inégalités et les despotismes. Elle s’adresse donc à tous les humains. Mais elle s’adresse aussi à chaque être humain, au sens qualitatif, puisque nous sommes tous porteurs d’une intelligence créatrice immobilisée, gâchée, par le système de démesure de l’hyper-capitalisme.

C’est tout aussi vrai de l’autre grand risque en Chine, celui du néo-totalitarisme : démesure et gâchis d’humanité. On ressent pourtant bien à l’heure actuelle la fracturation des opinions. La question est celle de la capacité de l’Humanité à poursuivre sa propre histoire. Nous sommes entrés dans une décennie critique et ce n’est pas faire du catastrophisme que de dire que l’Humanité peut se perdre. Elle a même l’embarras du choix. La grande affaire est que l’Humanité devienne un sujet positif. C’est la question de l’Anthropocène positif par rapport à l’Anthropocène destructeur. L’Humanité risque de se perdre, soit biologiquement, soit moralement, dans une sorte de survivalisme qui ne s’embarrasserait pas de civilité humaine. Il existe aussi la possibilité d’un nouvel humanisme revisité, qui produirait un saut qualitatif vers une pleine humanisation. Si Homo sapiens sapiens n’est pas une origine, comme dit Edgar Morin, ce doit être un projet. Au premier sapiens, l’usage de son intelligence face aux logiques guerrières et destructrices, il faut adjoindre le deuxième sapiens, la sagesse, intégrant les meilleurs éléments de la modernité, excluant sa part d’hubris…

La question politique se décline aussi dans la forme démocratique inachevée, et contestée, notamment par la Jeunesse occidentale. La démocratie de rivalité, organisée autour de la loi du nombre, fut un progrès incontestable par rapport au système censitaire. Elle est insuffisante pour traiter les grands défis de notre époque. Nous avons besoin d’une forme plus participative de démocratie, alors que la nôtre n’est même pas représentative : elle est délégatrice et peu délibérative. Pour les défis qui sont devant nous, nous avons besoin d’une démocratie continue avec une forte dimension qualitative, celle par exemple que lui apportent les lanceurs d’alerte.
Le convivialisme repose sur le principe démocratique dans ce qu’il a de meilleur. Il sort des pratiques de rivalité, de discontinuité, de pure délégation parce que ces formes-là peuvent accoucher de « démocratures ». Elles l’ont déjà fait : Louis-Napoléon Bonaparte élu au suffrage universel avant de procéder au coup d’Etat, Hitler arrivant au pouvoir par les élections… Plus récemment Jaïr Bolsonaro au Brésil, ou Recep Tayyip Erdogan en Turquie.

4°) La Question écologique
Le convivialisme s’appuie sur les acteurs qui sont du côté des forces de vie. Là s’inscrit l’écologie, comme l’exposent Bruno Latour ou Dominique Bourg. C’est la pleine Humanité, afin que celle-ci continue sa course dans l’histoire. En allant plus loin, jouer sur ce qu’Edgar Morin nomme Eros vs Thanatos. Ce désir d’une vie humaine plus intense et plus forte s’oppose à ce qui, dans l’Humanité, est du côté de la barbarie et de la destruction. Le point fort du convivialisme est de comprendre que l’Humanité est pour elle-même sa principale chance et son principal problème. « Le prolétariat n’a que ses chaînes à perdre », disait Marx.

Et pour cette raison il était censé porter le bien commun de l’humanité. Mais le point aveugle de Marx est que le prolétariat est aussi humain : il peut bien lutter contre l’exploitation, mais libéré des chaînes il ne devient pas ipso facto pleinement humain, car il n’est pas immunisé contre le risque de régression barbare. Le fait d’avoir été victime ne vaccine pas contre la tentation de devenir bourreau, ni le fait d’avoir été colonisé n’empêche de devenir dominateur. Cette ambivalence se décline à tous les niveaux, puisque le devenir de l’Homme est en jeu à l’échelle planétaire, et aussi dans l’intime de nos vies.

L’universalisme est critiqué comme un faux nez de la domination : à travers le colonialisme, l’esclavagisme, l’impérialisme, et aujourd’hui l’extension sans fin des Lois du Marché. La critique de l’universalisme occidental comme idéologie au sens de Marx -comme masque des rapports sociaux de domination- ne nous condamne pas au relativisme, autre impasse. Le manifeste convivialiste parle de « pluriversalisme », à la fois reconnaissance de la pluralité, du commun des Terriens, de la famille humaine, et comprend des fondamentaux parmi lesquels les droits humains. L’enjeu est de faire en sorte que la Déclaration universelle des droits humains, simple horizon idéal, devienne un socle de droits opposables aux Etats.

Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID, http://aid97400.re
D’après une interview de Patrick Viveret, philosophe

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Entretien Patrick Viveret : « Avec le convivialisme, réunir les forces de la vie contre le néolibéralisme »

22/08/2020 Propos recueillis par Hervé Nathan

Patrick Viveret au Parlement des entrepreneurs d’avenir, le 12 mai 2011© Jean Claude MOSCHETTI/REA

Patrick Viveret est Philosophe et essayiste

« Elaborer une pensée et une intelligibilité du monde alternative à celles que le néolibéralisme a su imposer à toute la planète » : telle est l’ambition des 300 personnalités de 33 pays différents(1) signataires du Second manifeste convivialiste (Actes Sud). Il s’agit de trouver et formaliser une alternative au fameux « TINA » de Margareth Thatcher et aux valeurs véhiculées par le néolibéralisme comme l’avidité, la démesure, la concurrence à outrance.

Le convivialisme, « philosophie de l’art de vivre ensemble », propose donc cinq principes majeurs pour libérer nos esprits de l’emprise néolibérale : le principe de commune naturalité (les humains vivent dans la nature, pas à l’extérieur), de commune humanité, de commune socialité (les rapports sociaux sont notre plus grande richesse), de légitime individuation (le droit d’affirmer sa personnalité), d’opposition créatrice (la différenciation au service du bien commun), et un impératif, celui du refus de la démesure, afin d’échapper au désir de toute puissance.

Dans l’esprit de ses auteurs ce programme, qui reprend et complète le premier manifeste convivialiste paru en 2013, en particulier sur le plan du rapport à la nature, doit donner naissance à rien qu’une « Internationale convivialiste ». Patrick Viveret, philosophe et essayiste, conseiller maitre honoraire à la Cour des comptes, nous explique cette démarche.

Pour la plupart des gens, le néolibéralisme, c’est d’abord un ensemble de préceptes économiques, justifiant que le marché pénètre tous les espaces de la vie sociale. Or vous choisissez d’attaquer le néolibéralisme comme une idéologie. Pourquoi ?

Nous ne balayons pas la critique proprement économique, qui est une des quatre grandes questions que nous posons avec la question morale, la question politique, la question écologique. Mais il est vrai que le néolibéralisme – je préfère personnellement parler d’hypercapitalisme – se trouve être aussi un récit, une idéologie. Il a été construit comme tel par Friedriech Hayek et Milton Fridman dès la création de la Société du Mont-Pèlerin, lorsqu’ils ont décidé de s’attaquer au keynésianisme. Ils ont pensé une opération gramscienne pour mettre en cause l’hégémonie du modèle social-démocrate dans les pays capitalistes.

A côté de la critique proprement économique, il faut donc aussi une critique idéologique du néolibéralisme, ou de l’hypercapitalisme…

Au centre de votre critique du néolibéralisme vous placez un concept, l’Hubris , qu’on peut traduire par la démesure, ou l’orgueil , qui nous vient de l’antiquité grecque. C’était le moment où les hommes pensaient s’évader de leur condition, ce qui appelle en retour la vengeance des Dieux. Pourquoi dites-vous que l’hubris est au cœur de l’idéologie néolibérale ?

Si nous ne reprenons pas l’acception religieuse de ce concept, qui supposerait en symétrie une espèce de sacralisation de la Nature, l’hubris est bien au cœur du néolibéralisme, en particulier de l’hypercapitalisme financier, ou encore de la gestion hasardeuse du risque nucléaire.
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On est dans l’hyperbole de la démesure, dans la fascination de la puissance qui se retourne contre elle-même avec le risque de destruction de l’Humanité elle-même. L’hubris est encore présent encore dans le transhumanisme, ou plus précisément le post-humanisme avec son fantasme d’un homme robotisé. Au reste l’hubris était aussi largement présent dans le productivisme du communisme d’Etat.

La démesure d’aujourd’hui, c’est surtout l’extension infinie du marché, jusqu’à la marchandisation de l’humain ?

Oui. Tout devient marchandise. La théorie du ruissellement, largement critiquée dans le deuxième manifeste, conduit à justifier le creusement d’inégalités absolument destructrices, comme on le voit aujourd’hui.

La démesure est un facteur commun dans le rapport à la question écologique – la destruction de la nature et du vivant –, dans le rapport au politique– notamment sous sa forme militaire du risque de destruction de l’espèce – et, enfin, dans le rapport de l’économie à la société.

Si les penseurs néolibéraux ont établi leur hégémonie culturelle à partir des années 1980, autour de quoi l’Internationale convivialiste que vous appelez de vos voeux pourraient-elle structurer leur reconquête ?

C’est le projet de « pleine humanité », qui vise à réaliser toutes les potentialités créatrices de chaque être humain et de tous les êtres humains, tout en refusant la logique de démesure. Logique qui peut même conduire à une forme de post-humanité réduite à un nombre limité d’êtres humains, les autres êtres humains étant réduits à une forme de domesticité par rapport à cette post-humanité.

La réalisation de la pleine humanité est un projet qui relève des idéologies émancipatrices au sens classique, en combattant les inégalités et les despotismes. Il s’adresse donc à tous les humains. Mais il s’adresse aussi à chaque être humain, au sens qualitatif du terme, puisque nous sommes tous porteurs d’une intelligence créatrice souvent immobilisée, gâchée, par le système de démesure de l’hypercapitalisme. C’est tout aussi vrai de l’autre grand risque que l’on voit monter, en particulier depuis la Chine, celui du néototalitarisme. Là aussi, on est dans la démesure et dans le gâchis d’humanité.

Mais n’est-il pas utopique aujourd’hui de vouloir voir converger des combats aussi divers à l’heure même où les opinions se fracturent en catégories, en genres, en nations, en race, en religions… ?

Cette difficulté, on la voit bien. Mais la question matricielle est celle de la capacité de l’humanité à poursuivre sa propre histoire. Nous sommes entrés dans une décennie critique et ce n’est pas faire du catastrophisme que de dire que l’humanité peut se perdre. Elle a même l’embarras du choix sur les manières de le faire qui, je le rappelle, incluent le risque d’accident nucléaire militaire, à la fois le plus prégnant et le moins identifié puisqu’actuellement il passe sous les radars des écologistes. Comme l’a relevé Albert Camus, depuis Hiroshima, l’Humanité est devenu un sujet négatif de sa propre histoire à partir du moment où elle a eu la capacité de s’autodétruire.

La grande affaire est que l’Humanité devienne enfin un sujet positif. C’est aussi toute la question de l’Anthropocène positif par rapport à l’Anthropocène destructeur. On voit bien le risque que l’humanité se perde, soit biologiquement, soit moralement, dans une sorte de survivalisme purement biologique qui ne s’embarrasserait pas des valeurs d’une civilité humaine. Mais on voit aussi la possibilité d’un nouvel humanisme revisité par les principes du convivialisme, qui produirait un saut qualitatif vers une pleine humanisation.

Si Homo sapiens sapiens n’est pas une origine, comme dit Edgar Morin, ce doit être un projet. Au premier sapiens, qui use de façon coopérative et constructive de son intelligence face aux logiques guerrières et destructrices, il faut adjoindre le deuxième sapiens, celui de la sagesse, intégrant les meilleurs éléments de la modernité, excluant sa part d’ombre, sa part d’hubris… C’est un projet positif qui s’exprimera ensuite sous la forme aussi bien économique, que politique, qu’éthique ou environnementale.

En 2013, le premier manifeste convivialiste posait la démocratie comme modèle indiscutable. Sept ans plus tard, le second manifeste constate que les principes démocratiques sont questionnés jusque dans les jeunesses occidentales…

Ce n’est pas le principe mais la forme démocratique inachevée qui contestée.

La démocratie de rivalité, ou organisée autour de la loi du nombre, représente un progrès incontestable par rapport à tout système censitaire. Elle est cependant insuffisante pour traiter les grands défis de l’époque. Nous avons besoin d’une forme beaucoup plus participative de démocratie, alors que celle d’aujourd’hui n’est même pas représentative : elle est délégative et peu délibérative. Comme le montre Dominique Rousseau, pour affronter les défis qui sont devant nous, nous avons besoin d’une démocratie continue avec une dimension qualitative très importante, celle par exemple que lui apportent les lanceurs d’alerte ou « les lanceurs d’avenir ».

Nous restons dans le principe démocratique dans ce qu’il a de meilleur. Mais nous sortons des pratiques quantitatives de rivalité, de discontinuité, de pure délégation parce que ces formes là peuvent accoucher des " démocratures" . Elles l’ont déjà fait par le passé, avec les exemples classiques de Louis-Napoléon Bonaparte élu au suffrage universel avant de procéder au coup d’Etat, Hitler arrivant au pouvoir par les élections… Et plus récemment Jaïr Bolsonaro au Brésil.

Mais le néolibéralisme est-il responsable de la dérive des démocraties en démocratures ? Après tout dans néolibéralisme, il y a libéralisme...

C’est là que l’explication sur les termes est importante. Evidemment quand le Manifeste critique le néolibéralisme, ce n’est pas au sens de libéralisme politique et culturel, toujours d’actualité, mais de cet hypercapitalisme théorisé par des acteurs comme Milton Friedman et les Chicago boys, des antilibéraux radicaux qui ont fait leurs premières expériences au Chili sous la dictature de Pinochet. Un peu plus tard, Margaret Thatcher déclarait son célèbre « il n’y pas d’alternatives » au marché, ce qui est par construction anti-démocratique.

Néanmoins, il faut avoir une vision dynamique car nous ne sommes pas seulement confrontés à un risque majeur venant du capitalisme, mais aussi àla montée du risque néo-totalitaire tel qu’il est en train d’émerger en extrême Orient avec le contrôle social établis par le régime chinois..

Quelle leçon tire le convivialiste que vous êtes de la gestion de la pandémie liée au Covid-19 : le confinement de la moitié de la population de la Terre, les états d’urgence, la crise sociale qui risque de s’ensuivre… ?

La principale décision dans cette pandémie est d’avoir placé la vie humaine au-dessus de l’approche marchande classique. C’est un élément fondamentalement positif. L’élément négatif est du côté de la démocratie et des libertés. On voit le grand enjeu à venir : si on veut éviter que les mesures de régulation, fortes et légitimes, que les pouvoirs publics seront amenés à prendre face à des crises futures sanitaires ou climatiques basculent dans l’autoritarisme, il faut faire monter avec la même énergie les nouvelles formes du droit et des libertés, en particulier du côté du numérique, où l’on décèle bien un enjeu majeur pour l’avenir.

Lorsqu’en 1848 Marx et Engels publient le Manifeste du Parti communiste, il désigne le prolétariat comme force appelée à émanciper l’humanité. Aujourd’hui, quelles sont les forces sociales et politiques qui devraient porter une politique conviavialiste ?

Ce sont tous les acteurs qui sont du côté des forces de vie, comme l’exposent Bruno Latour ou Dominique Bourg. La grande alliance des Terriens, face aux logiques mortifères, illustrées par exemple dans l’économie du crime, de guerre, de corruption et dans les formes politiques qui les accompagnent. La question centrale, c’est ce que j’appelle la pleine humanité, afin que celle-ci continue sa course dans l’histoire.

En allant plus loin, jouer sur ce qu’Edgar Morin nomme Eros (l’amour, NDLR) face au Thanatos (la mort, NDLR). Ce désir profond d’une vie humaine plus intense et plus forte s’oppose à ce qui, dans l’humanité, est du côté de la barbarie et de la destruction. Le point fort du convivialisme ou de l’humanisme revisité par le convivialisme, c’est de comprendre que l’humanité est pour elle-même sa principale chance et son principal problème. De façon humoristique, c’est le paradoxe des deux PFH, comme le disait notre ami Alain Aubry, récemment décédé : le « Putain de Facteur Humain » d’un côté , le « Précieux Facteur Humain » de l’autre. Toute la question est de savoir comment déplacer le curseur du premier vers le second.

« Le prolétariat n’a que ses chaînes à perdre », disait Marx. Et pour cette raison il était censé porter le bien commun de l’humanité. Mais le point aveugle de Marx, c’est que le prolétariat est aussi humain ! Il peut bien lutter contre l’exploitation, mais libéré des chaînes il ne devient pas ipso facto pleinement humain, car il n’est pas immunisé par nature contre le risque de la régression barbare. Le fait d’avoir été victime ne vaccine pas contre la tentation de devenir bourreau, comme le fait d’avoir été colonisé n’empêche pas de devenir dominateur.

Attaquer la racine même de la question, l’ambivalence de la condition humaine, se décline à tous les niveaux : à l’échelle planétaire, puisque le devenir de l’humanité est en jeu, mais aussi dans l’intime de nos vies. Ce que le Forum social mondial de Porto Alegre avait appelé « l’axe TPTS : Transformation Personnelle et Transformations Sociale et structurelle doivent être pensée de façon complémentaire et non contradictoire. C’est vrai à l’échelle du monde, d’un continent, d’une nation, d’une localité….

Jusqu’à présent les idéologies émancipatrices se voulaient universelles. Mais l’universalisme est aujourd’hui accusé d’être le faux nez de la domination : du colonialisme au XIXe siècle, de l’impérialisme au XXe siècle, et maintenant de l’extension sans fin des lois du marché. Comment demeurer universaliste en 2020 ?

La critique légitime de l’universalisme occidental comme idéologie au sens de Marx -c’est à dire comme masque des rapports sociaux de domination- ne nous condamne pas au relativisme, qui est une autre impasse. Par exemple, les droits des femmes ne sauraient être subordonnés à telle ou telle culture.

Le manifeste convivialiste parle de « pluriversalisme », qui est à la fois la reconnaissance de la pluralité, ce qu’Edouard Glissant appelle les « identités racines », et du commun des Terriens, de la famille humaine, qui comprend des éléments fondamentaux parmi lesquels les droits humains. L’enjeu n’est pas de les abandonner, mais de faire en sorte, par exemple, que la Déclaration universelle des droits humains, encore un simple horizon idéal, devienne un socle de droits opposables aux Etats.

1. On y trouve entre autres : Alain Caillé, Harmind Rosa, Chantal Mouffe, Edgar Morin, Bruno Latour, David Graeber, Barbara Cassin, Suzanne Bosch, Fabienne Brugère, Tetsua Abo, Claude Alphandery, Patrick Viveret…)

LIENS

* Premier Manifeste convivialiste de 2013

* Deuxième Manifeste convivialiste de 2020

* Vidéo : Les Convivialistes, Chantal Mouffe, Patrick Viveret, Alain Caillé, Dany-Robert Dufour

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du Mardi 15 Septembre 2020 à 14:50

* Tribune libre d’Imaz-Press Réunion du Mardi 15 Septembre à 14H59

* Courrier des lecteurs de Témoignages du

* Courrier des lecteurs de Clicanoo.re du Mardi 15 Septembre 2020 14h47

* Courrier des lecteurs du QUOTIDIEN