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57 ème Chronique de la Macronésie

CM57-La France macronienne et ses héros

par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

vendredi 22 juin 2018, par JMT

"On veut d’autant plus châtier le groupe que l’un de ses membres a mérité d’être sauvé."écrit Claude Askolovitch
"Il y a un parallélisme des formes entre la situation de 1940 et celle de 2018. Un État exerce sa force contre un groupe humain, mais s’arroge le droit d’exception pour un individu, par son courage ou ses exploits ; on veut d’autant plus châtier le groupe que l’un de ses membres a mérité d’être sauvé. La dialectique est la même, si les injustices ne se comparent pas. L’État est incarné par une figure charismatique, vieille alors, jeune désormais, mais qui relève le pays d’une impasse politicienne et des défaites qu’elle a amenées –ainsi disent les propagandes, en 1940 ou en 2018."

"L’État, charismatique et relevé, n’est pas contesté en son principe, et ses brutalités n’écorchent pas le consentement. Fort peu de monde conteste ouvertement qu’il faut aujourd’hui expulser les clandestins ; nul, pratiquement, ne se leva autrefois contre le statut des juifs. La magistrature et la gendarmerie firent allégeance à Pétain, et il n’y eut aucun hoquet quand le barreau fut expurgé de ses juifs ; nul policier, nul juge, ne démissionne quand les forces de l’ordre sont réputées traquer les migrants jusque dans l’hébergement d’urgence. On traîne en justice ceux qui transgressent la volonté générale en protégeant des sans-papiers ; il ne faisait pas bon, jadis, protéger des juifs. Évidemment encore, les risques et les sanctions sont incomparables : nous ne parlons que des formes, peut-on les admettre troublantes ?"

"Même la grâce accordée par le chef suprême de l’État, en 1940 ou en 2018, est mise en scène dans la propagande du pouvoir. Il est frappant de lire, dans les commentaires du pouvoir, que l’exploit du jeune homme n’est pas simplement de la bravoure, mais un geste politique, idéologique, une transcendance. Mamoudou n’a pas sauvé un enfant : il a montré qu’il était digne de la France. Il n’a pas eu un geste d’humanité : il a rejoint la République. Ainsi tweete la majorité :
« À un grand homme, la patrie reconnaissante », Gérard Collomb ;
« Cet acte d’une immense bravoure, fidèle aux valeurs de solidarité de notre République, doit lui ouvrir les portes de notre communauté nationale », Benjamin Grivaux ;
« Car la France est une volonté, et M. GASSAMA a démontré avec engagement qu’il l’avait ! », le Président lui-même ; « Mamoudou Gassama partage les valeurs de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris », les sapeurs-pompiers de Paris."

"Il est dans la joie de Mamoudou Gassama une autre cohérence macronienne. Par « Spiderman », le Président démontre qu’en son règne, les plus méritants sont récompensés, les meilleurs et les plus vigoureux, les plus agiles et les plus braves, ceux qui vont à la salle de gym ou sur les murs d’escalade, ceux qui ne sont pas si gros, pas trop vieux, pas affaiblis sur un lit de malade, pas noyé dans une traversée hasardeuse, pas tué par des passeurs, pas violé, pas abimé, le corps intact encore, la volonté épargnée, l’instinct du guerrier, l’instinct du bien. Gassama est le meilleur de sa génération. Il est le meilleur de ceux qui embarquaient avec lui pour une traversée pénible. Il est le meilleur et le plus chanceux, qui passait au bon moment, sous ce balcon d’où pendait un enfant. Moins de chance, moins de timing, moins de force, moins d’agilité, la peur d’être, sans-papiers, découvert, et c’en était fini de sa geste. Nul n’aurait su Mamoudou Gassama. Une hésitation, un peu de raison, et nul n’aurait francisé Mamoudou Gassama. Mais il était là, superbe et modeste, et il valait mieux que tous ceux qui lui ressemblent, il avait sauvé une vie."

"Sauver une vie. C’est toute la différence entre l’opprobre et la lumière, la clandestinité et la caserne des pompiers. Juste une vie, cela n’est rien ? Quel hommage. Mais tous les autres, migrants ou non, mais surtout les migrants, qui quittent leur terre pour risquer les passeurs, la torture, l’escroquerie et la mort, qui se lèvent de leurs villages en dépit de mille peurs, pour venir chez nous en dépit de nous, valent-ils moins que Mamoudou Gassama ? Sans doute.
La gentillesse du Président Macron le démontre. Il est si gentil avec Mamoudou, ce Président qui était si froid, impérieux, envers une Marocaine sans-papiers ! Elle sollicitait, Gassama a donné. Il vaut mieux qu’eux, il vaut mieux qu’elle : il a sauvé un petit d’homme ! "

"L’autre courage n’y résiste pas, ce courage de tous les migrants, ce courage immense mais qui ne sauvera probablement jamais un enfant devant des smartphones parisiens. Ce courage-là est vain, dont le Président ne sait que faire, que le pays ignore." Là est la vaste hypocrisie que la Macronésie porte au pinacle !

La France macronienne et ses héros

Et voilà : en France, le héros du joli mois de mai 2018, c’est Mamoudou Gassama. Un sans-papier malien formé à la rude vie des champs, ayant traversé le désert, connu un cul-de-basse-fosse libyen, traversé la Méditerranée, franchi pieds nus ou presque les cols alpins enneigés, pour rejoindre son frère dans un foyer à Montreuil.

Ayant sauvé un gamin réunionnais pendu à un balcon, le voilà adoubé par ceux-là même qui voudraient le faire disparaître, si ce n’est lui, du moins ses semblables. Et les complotistes de s’en donner à cœur joie sur la réalité du sauvetage. Cela n’a pas empêché , et Macron de le recevoir, et les télés de l’inviter sur les plateaux, et la République de lui jouer fanfare : que doit-il en penser ?

J’en retiens plusieurs choses, de cette histoire :

-  Pour être naturalisé quand t’es réfugié, passe ton CAP Fort Boyard ; option Koh-Lanta, c’est mieux

-  Fais moins de 40 secondes pour grimper 4 étages à mains nues : plus, et c’est direct charter de retour pour Bamako

-  Seule façon de mettre en PLS Eric Ciotti et ses amis de la frontière italo-française, du côté de la Roya. Pensez, si le sauvé avait été une femme voilée, alors là, Ciotti implosait en direct.

-  Et s’il avait triché, alors on est en plein ADN français, c’est un plus : demandez à Serge Dassault !

-  La notion de héros est finalement assez exigeante : tu sauves un enfant, tu es un héros, tu sauves un réfugié, tu es un délinquant. Mamoudou Gassama est un héros labellisé AOC par Gérard Collomb, mais ce label est sans doute insuffisant pour les fachos de sortie.

Mamoudou Gassama serait-il un « bon » migrant ? Il n’y a pas de bon migrant, ni de mauvais d’ailleurs. Il y a juste des êtres humains, certains bons de temps à autres, d’autres mauvais de temps à autre. Des gens qui sont capables de sauver des vies d’enfant en danger, pendus au quatrième étage d’un immeuble de banlieue, et d’autres en doudoune bleue qui empêchent les va-nu-pieds de réfugiés d’entrer en France, dans les cols alpins enneigés, empêcher ces clandestins en danger de mort de trouver, justement, refuge chez nous.

Deux semaines plus tard, voilà « L’Aquarius », bateau affrété par l’association humanitaire SOS Méditerranée, regorgeant de plus de 600 réfugiés, qui ne peut débarquer ni en Italie, ni en France continentale : seule l’Espagne recevra prochainement ce bateau à Valence. L’Italie a beau jeu de s’offusquer de l’attitude française hypocrite : on en adoube d’un côté, on en rejette de l’autre. Ils n’ont pas tort, les Ritals, bien que leur attitude ait des relents fascisants de la pire espèce.

De la dissonance cognitive, que je vous dis : Liberté, Egalité, Absurdité !

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID
Librement inspiré de Mathieu Madénian et Guillaume Meurisse

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PUBLICATION DANS LES MEDIAS LOCAUX

* Courrier des lecteurs de Zinfos974 du Lundi 18 Juin 2018 - 10:22

* Courrier des lecteurs dans Le Quotidien de la Réunion du 21 Juin 2018

LIENS

* Mon Barbentane à moi ne pas rater la page écolo

* La régularisation de Mamoudou Gassama, bonne conscience d’un État qui durcit sa politique anti-migrants Claude Askolovitch — 29 mai 2018 à 7h30 — mis à jour le 29 mai 2018 à 10h15