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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-54

Scandales financiers en Allemagne

Deux articles traduits par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 29 juillet 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

SCANDALES FINANCIERS EN ALLEMAGNE

I- L’Allemagne est désespérée alors que Wirecard devient "l’Enron allemand"

le 24 juin 2020 Par Justin Huggler à Berlin

Markus Braun, l’ancien directeur général de Wirecard, s’est livré à la police lundi 22 Juin 2020

Les autorités de régulation ont ignoré les signaux d’alerte et se sont mobilisées pour protéger une rare réussite allemande dans le numérique."Le dernier endroit où nous nous attendions à ce qu’une telle chose se produise, c’est l’Allemagne", a déclaré cette semaine Peter Altmaier, le ministre allemand de l’économie. La chute spectaculaire de Wirecard, le géant des paiements en ligne qui était le grand espoir de l’économie numérique allemande, a plongé le monde financier du pays dans un profond désespoir.

Markus Braun, l’ancien directeur général, qui a été félicité pour avoir redressé l’entreprise, est accusé d’avoir commis une infraction passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 7 années.Les régulateurs allemands ont admis que toute l’affaire était un "désastre complet", et le magazine Spiegel l’a décrite cette semaine comme la version nationale du scandale Enron.Pourtant, malgré les protestations de M. Altmaier, les signaux d’alerte étaient là bien avant que Wirecard admette que 1,9 milliard d’euros de son bilan n’ont probablement jamais existé - mais les régulateurs allemands ont choisi de fermer les yeux.

Et loin d’être impensable en Allemagne, la débâcle de Wirecard n’est que le plus récent d’une série de scandales qui ont réduit à l’état de lointain souvenir la réputation du pays en matière de probité financière et de bonnes relations d’affaires.Les signes étaient là dès janvier de l’année dernière, lorsque le Financial Times a publié le premier d’une série de rapports sur de possibles irrégularités financières dans les transactions asiatiques de Wirecard.

Le cours de l’action de Wirecard a chuté de 21 points, mais plutôt que de prendre ces accusations au sérieux, la BaFin, le régulateur financier allemand, a choisi d’ouvrir une enquête contre les journalistes du Financial Times, soupçonnés de manipulation du marché. Le FT a rejeté les accusations comme étant "sans fondement et mensongères". "Il s’agit d’un écran de fumée destiné à masquer les graves illégularités révélées par le FT", avait déclaré celui-ci à l’époque.

Et au lieu de vérifier le bilan de Wirecard, la BaFin a décidé de protéger la société en imposant une interdiction de vente à découvert de ses actions. Les problèmes de Wirecard surviennent alors que le financement de la fintech tombe à son plus bas niveau.Le financement mondial trimestriel de la fintech est assuré par du capital-risque et nombre de transactions

Les 2e trimestres 2016 et 2018 ont connu une forte hausse en raison des très gros investissements réalisés par Ant Financial

"Le fait que non seulement les spéculateurs, mais surtout le Financial Times de Londres, aient été agressifs à l’encontre de Wirecard a provoqué un réflexe patriotique du côté allemand", a écrit le Spiegel dans un éditorial cette semaine. "Certains ont parfois semblé perdre leur sang-froid professionnel dans le duel entre Londres et Francfort."

L’accusation était tout aussi vraie concernant la presse allemande que concernant les régulateurs. Alors que le Frankfurter Allgemeine Zeitung a qualifié les transactions de Wirecard de "trahison" cette semaine, et que le Handelsblatt les a comparées aux faux journaux d’Hitler, aucune publication allemande grand public ne s’est sérieusement penchée l’année dernière sur les accusations du FT.

Au contraire, la presse allemande a allègrement imprimé des accusations non fondées divulguées par les régulateurs, dénonçant un des journalistes sujet à enquête et affirmant que des reporters britanniques s’étaient vu offrir 1 million d’euros (900 000 livres sterling) en pots-de-vin pour publier des rapports négatifs sur Wirecard. Il y a deux mois seulement, sharedeals.de, un site boursier allemand, a publié un éditorial sous le titre : "Wirecard : une débâcle pour le Financial Times."

Cette semaine, le ton de la presse et des politiciens a changé. "Qui a vérifié les châteaux en Espagne de Markus Braun ? Qui a décidé de laisser le FT dans le pétrin plutôt que d’enquêter correctement sur les accusations de transactions inappropriées avec des tiers ?" a demandé le Handelsblatt dans un éditorial. "Le ministère des finances et la BaFin ont des explications à donner", a déclaré Florian Toncar, un député du parti démocrate libre (FDP), favorable aux entreprises.

"Si Wirecard et ses cadres supérieurs sont activement impliqués dans des fraudes, alors, tant l’audit que les éventuelles défaillances de la BaFin doivent être soumis à un examen minutieux", a déclaré Danyal Bayaz du Parti Vert.

Les hauts et bas du cours de l’action Wirecard

Pourtant, lundi encore, Olaf Scholz, le ministre allemand des finances, essayait de défendre la façon dont la BaFin avait géré l’affaire. "Les autorités de contrôle ont travaillé très dur", a-t-il déclaré à la presse allemande. "Elles ont fait leur travail".

Vingt-quatre heures plus tard, M. Scholz a été contraint de faire une volte-face humiliante. "Les auditeurs et les régulateurs ne semblent pas avoir été efficaces dans ce cas", a-t-il déclaré. "La BaFin a déjà admis ses erreurs. Celles-ci doivent être identifiées et corrigées le plus rapidement possible."

Felix Hufeld, le chef de la BaFin, a décrit la débâcle comme "une honte pour l’Allemagne" et a accepté d’en assumer la responsabilité. Il devra faire face à la commission des finances du Bundestag dans les prochains jours, et son poste est menacé.

Lundi dernier, Olaf Scholz, le ministre allemand des finances, défendait encore la gestion de l’affaire par la BaFin CREDIT : MICHELE TANTUSSI/POOL/EPA-EFE/Shutterstock

"L’Allemagne a une bonne réputation en matière de services financiers", a déclaré M. Altmaier cette semaine. "Nous ne devons pas permettre à des entreprises individuelles de détruire la réputation de toute une industrie." Mais la vérité est que l’affaire Wirecard est loin d’être un cas isolé dans l’histoire récente des affaires allemandes. Elle survient moins de cinq ans après que le scandale des émissions du Dieselgate a mis en lambeaux la réputation des constructeurs automobiles allemands.

Pendant des années, le monde a cru que les marques allemandes avaient fait des progrès technologiques qui permettaient de faire fonctionner des voitures diesel propres avec des émissions étonnamment faibles à des prix abordables. Mais en 2015, on s’est aperçu que la véritable technologie qui se cachait derrière ces progrès était le "dispositif de neutralisation" : un logiciel qui permettait aux voitures de tricher lors des tests d’émissions. Le scandale initial concernait Volkswagen et ses marques sœurs Audi et Porsche, mais les marques Daimler et BMW, propriétaires de Mercedes, ont depuis lors été accablées de poursuites judiciaires.

Le secteur bancaire allemand n’est pas non plus à l’abri d’un scandale. La Deutsche Bank est actuellement impliquée dans un litige devant la Cour suprême des États-Unis concernant les tentatives du Congrès pour la forcer à divulguer des informations sur les finances de Donald Trump. La Deutsche Bank était prête à prêter à M.Trump des centaines de millions de dollars à un moment où aucune autre grande institution ne voulait le faire - une démarche désormais considérée comme faisant partie d’une approche très risquée qui a laissé la banque dans une situation précaire.

La BaFin n’a pas non plus été épargnée par la controverse. En tant que régulateur, elle a fait ses preuves en matière d’élans patriotiques. En 2016, elle a tenté de bloquer le projet de fusion de 24 milliards de livres sterling entre la Bourse de Londres et la Deutsche Börse parce qu’elle refusait que le nouveau siège social se situe à Londres.

La fusion a finalement été bloquée par la Commission européenne au motif qu’elle créerait un monopole. Mais cela n’a pas empêché la BaFin de s’en prendre à Carsten Kengeter, le chef de la Deutsche Börse, qu’elle a accusé de délit d’initié et d’avoir acheté des actions à la bourse lorsqu’il a eu connaissance du projet de fusion.

M.Kengeter a nié ces accusations mais a été contraint de se rétracter. L’enquête menée contre lui a finalement échoué à la suite d’un accord qui l’a vu, ainsi que la Deutsche Börse, payer des amendes mais ne reconnaître aucune culpabilité et ne faire face à aucune accusation pénale.

L’affaire Wirecard n’est peut-être pas sortie de nulle part, mais elle a porté un coup fatal à la confiance envers les entreprises allemandes. "Quelle opportunité cela aurait été : enfin un acteur mondial allemand qui ne soit pas issu de l’industrie automobile ou de la construction mécanique. Un acteur qui représente l’Allemagne dans une industrie tournée vers l’avenir au niveau mondial, en plein cœur du capitalisme numérique", a écrit le Spiegel cette semaine.

Voilà ce que Wirecard aurait pu être pour l’Allemagne. Aujourd’hui, ce nom n’est plus porteur d’espoir. Il est synonyme de honte."

II-L’ancien PDG de Wirecard libéré sous caution dans les poursuites concernant le scandale de la disparition de milliards de dollars

Le 23 Juin 2020 Par Pascale Davies & Alasdair Sandford avec l’AFP & AP

VIDEO :

L’ancien directeur général de Wirecard, fournisseur du système de paiement allemand qui a fait l’objet d’un scandale, a été libéré sous caution après son arrestation lundi soir. Markus Braun, qui a démissionné de son poste de PDG vendredi, s’est livré à la police peu après qu’un mandat d’arrêt ait été émis par les procureurs de Munich.

Le siège de Wirecard

Les enquêtes se sont concentrées sur les 1,9 milliard d’euros qui, selon les auditeurs d’Ernst & Young, ont disparu des comptes du cabinet la semaine dernière. Lundi, Wirecard a déclaré qu’il était probable que l’argent n’existe pas. Braun a été arrêté parce qu’il est soupçonné de déclarations de données incorrectes et de manipulation du marché.

Dans une déclaration, les procureurs ont indiqué qu’il est accusé d’avoir gonflé le bilan et les revenus de la société, "éventuellement en collaboration avec d’autres contrevenants", afin de "présenter la société comme financièrement plus solide et plus alléchante pour les investisseurs et les clients". Mardi, l’ancien PDG a quitté un centre de détention de Munich après avoir versé une caution de 5 millions d’euros. Il devra se présenter chaque semaine à la police.

La recherche des milliards manquants a abouti à une impasse dimanche, après que deux banques philippines, qui étaient censées détenir l’argent sur des comptes bloqués (où une tierce partie reçoit et débourse de l’argent), ont déclaré n’avoir aucune relation avec Wirecard. "Le conseil d’administration de Wirecard estime, sur la base d’un examen plus approfondi, qu’il y a une forte probabilité que les soldes des comptes bancaires fiduciaires d’un montant de 1,9 milliard d’euros n’existent pas", a déclaré lundi Wirecast.

Wirecard était naguère considéré comme la coqueluche du secteur technologique financier en pleine croissance et avait étendu sa présence en Asie et en Amérique du Nord. Mais la société a fait l’objet de multiples rapports du Financial Times concernant des irrégularités comptables dans ses opérations en Asie. Wirecard conteste ces rapports, qui remontent à février 2019.

Lundi, dans l’après-midi, les actions ont chuté de 44,9 % à Francfort après l’annonce du trou financier. Moody’s Investors Service a supprimé lundi les notations de Wirecard, déclarant qu’il "estime avoir des informations insuffisantes ou inadéquates pour justifier le maintien des notations."

Pour maintenir l’entreprise à flot, Wirecard a déclaré qu’elle poursuivait des "discussions constructives" avec les banques sur le maintien des lignes de crédit, et qu’elle "évaluait les options pour une stratégie de financement durable pour l’entreprise." L’entreprise a déclaré qu’elle examinait également des mesures visant à restructurer et à céder des unités commerciales.

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