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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-09

Les nations riches, après avoir créé le désastre climatique, freinent tout progrès lors des négociations des Nations-Unies

Par Kate Aronoff, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 12 février 2020, par JMT

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Les nations riches, après avoir créé le désastre climatique, freinent tout progrès lors des négociations des Nations-Unies

Kate Aronoff, le18 décembre 2019

Chaises vides des délégations lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques COP25 à Madrid, le 13 décembre 2019. Photo : Cristina Quicler/AFP/Getty Images

MERCREDI DERNIER, plus de 300 manifestants à la COP25 à Madrid - les 14 jours de négociations de l’ONU sur le climat de cette année, période de négociation la plus longue jamais organisée par le groupe - ont regardé, depuis la cour d’un centre de conférence, un mur métallique s’élever de nulle part, enfermant littéralement les observateurs de la société civile dans le froid.

Quelques instants plus tôt, des gardes de l’ONU leur avaient arraché leurs badges d’entrée lors d’escarmouches devant la salle plénière principale avant qu’ils ne soient interdits d’accès.

La sécurité les a empêchés de s’exprimer, même auprès de la presse ; aucun observateur de la société civile n’a pu entrer dans le centre de conférence. L’accès au lieu de réunion étant désormais bloqué, les manifestants sont sortis par la porte arrière, où ils ont été accueillis par la police espagnole.

La manifestation avait pour but de dénoncer le manque d’ambition généralisé de certains des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre qui piègent la chaleur, et d’appeler les pays du " Nord " à soutenir la mitigation, l’adaptation et la réhabilitation liées au climat, ainsi des échappatoires en matière de droits et taxes d’accise qui donneraient aux pollueurs un moyen de poursuivre leurs activités comme si de rien n’était.

Les droits des manifestants ont été rétablis quelques heures plus tard, mais les négociations n’ont guère permis de répondre à leurs attentes. Le samedi après-midi - quelques deux jours après la fin supposée de la période de négociations - il n’y avait pas vraiment d’accord quant à ce qui en sortirait.

"Il n’y a pas une seule question qui soit complètement résolue ", m’a dit Harjeet Singh, qui dirige le travail sur le climat mondial pour ActionAid. Lors de la fin de la séance plénière de clôture le lendemain, la plupart des questions importantes avaient été reportées aux réunions suivantes. Même le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a exprimé son mécontentement sur Twitter.

"Il n’y a aucun doute : les pays riches ont bloqué les progrès dans tous les domaines ", a déclaré M. Singh.

Sur ce plan, peu de choses ont changé au cours de la dernière décennie. En 2009, les négociations de Copenhague sur le climat ont échoué lorsqu’un petit sous-ensemble de pays majoritairement riches a présenté un document de trois pages rédigé à la hâte qui annulait pratiquement les années de travail des pays en voie de développement, exigeant une décision avec peu de temps accordé pour le débat. Ce dernier groupe a refusé.

Cette fois-ci, un point de désaccord majeur portait sur ce que les États-Unis, en tant que premier émetteur historique de combustibles fossiles au monde, doivent au reste du monde, alors qu’ils se préparent à quitter l’Accord de Paris. De nombreux pays du " Sud de la planète " auront besoin d’une aide financière et technique non seulement pour développer des économies décarbonées et résilientes, mais aussi pour faire face aux impacts climatiques qui se produisent déjà et qui risquent de s’accélérer, ce qui, selon beaucoup, devrait provenir au moins en partie des pays riches. Mais les États-Unis sont-ils d’accord ? Pas tant que ça.

Des militants climatiques manifestent à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique COP25 à Madrid, le 11 décembre 2019. Photo : Cristina Quicler/AFP/Getty Images

Les nations sont réunies dans la capitale espagnole pour finaliser le règlement de mise en oeuvre du Traité de Paris sur le climat de 2015, accord visant à limiter la hausse de la température mondiale à " bien moins de " deux degrés Celsius et à rester en deça d’un plafond plus sûr de 1,5°C si possible.

Mais les négociations basées sur des accords par consensus s’enlisent dans des querelles politiques quant à l’architecture des marchés du carbone, les calendriers de révision des promesses de réduction du carbone et un nouveau fonds pour aider les pays pauvres déjà en butte aux effets du climat.

L’enjeu de Madrid et de la manifestation qui a provoqué le lock-out de mercredi dernier est l’abdication par les pays riches de leur responsabilité historique, tant pour le gâchis dans lequel se trouve aujourd’hui la planète que pour leur rôle crucial pour éviter que les choses n’empirent de façon exponentielle. La Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, qui officiellement régit l’Accord de Paris, est claire sur la " responsabilité commune mais différenciée " des parties qui y adhèrent.

Les pays riches, de fait, ont bâti leur économie en grande partie grâce à l’utilisation des combustibles fossiles. Ce développement a également été alimenté par l’utilisation de la terre, de la main-d’œuvre et des ressources de ce qui est appelé aujourd’hui les " pays du sud " moins développés, cela incluant plusieurs douzaines d’anciens empires coloniaux.

Si vous me demandez d’escalader une montagne et que mes muscles ne sont pas adaptés pour le faire, vous me demandez l’impossible ", a déclaré l’ambassadeur palestinien Amman Hijazi

Il est cruel de constater qu’il s’agit justement des endroits qui sont déjà soumis au martèlement des impacts du développement alimenté par les combustibles fossiles des " pays du nord " ; les défenseurs de l’équité climatique soutiennent que les grandes économies qui ont bénéficié de processus historiques comme le colonialisme et l’esclavage ont la capacité de faire une transition plus rapide, et devraient donner aux pays et aux personnes, qui ont été traditionnellement exploités, le temps et la capacité de rattraper le retard. Dans les administrations que ce soit démocrate ou républicaine, l’équipe de négociateurs de carrière du département d’État des États-Unis a passé des années à contrecarrer les appels à une politique climatique plus ambitieuse, émanant surtout des pays du " Sud " qui sont déjà soumis à l’urgence climatique. Le financement du climat, en particulier, est et a été leur bête noire.

"Il est évident que l’accord est mauvais et que c’est dû à l’obstruction des États-Unis et autres pays du nord ", dit Sriram Madhusoodanan, directeur adjoint de campagnes du groupe de surveillance Corporate Accountability International.

"Tout au long de ces pourparlers, ils ont effectivement mis le feu à la maison alors qu’ils prévoyaient de passer la porte ", en référence à la promesse de Donald Trump de quitter officiellement l’Accord de Paris dès qu’il le pourra l’année prochaine.

Qui assumera le fardeau ?

Quelques jours avant le début des négociations, un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement a noté l’écart entre les engagements actuels des pays dans le cadre de l’Accord de Paris (" contributions nationales intentionnelles ", ou INDCs = CPDNs en français) et ce qui sera nécessaire pour rester en deçà du seuil de réchauffement " bien inférieur à 2 degrés Celsius " auquel ses signataires se sont engagés.

Les CPDNs existants vont faire monter les températures de 3,3 degrés, laissant les grandes villes côtières et certains pays entiers sous l’eau et entraînant un effondrement des rendements des cultures dans le monde entier. Pour revenir à 1,5 degré, selon les demandes des " pays du sud ", les émissions mondiales doivent diminuer de 7,6 % chaque année entre 2020 et 2030, soit 150 fois plus que la plus grande baisse des émissions de l’histoire du monde : correspondant à l’effondrement de l’Union soviétique.

Et ce, chaque année. Pendant une décennie. Le terme " commun mais différencié " - selon la CCNUCC [Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques NdT] - a généralement été interprété comme signifiant que ce fardeau devrait être partagé de manière quelque peu équitable.

" On ne peut pas vraiment considérer que la justice et à l’équité représenteraient un objectif de plus qu’il serait bon d’essayer d’intégrer si nous le pouvons pendant que nous traitons cette urgence fantastiquement folle. C’est en fait quelque chose à laquelle il nous faut nous attaquer si nous voulons avoir un espoir de faire face à l’urgence climatique ", dit Sivan Kartha, scientifique chevronné du bureau américain de l’Institut de l’environnement de Stockholm.

" En fin de compte, il s’agit d’un problème mondial qui exigera une coopération à long terme entre des pays et des personnes très différents en ce qui concerne leur contribution au problème et leur capacité à le régler. La seule façon de maintenir ce genre de coopération, c’est de faire en sorte que les gens aient l’impression que c’est juste."

A l’heure actuelle, ce n’est pas l’impression que beaucoup ressentent. Les États-Unis, souvent de mèche avec d’autres pays développés, essaient depuis longtemps de mettre de côté les discussions concernant ce qui est dû aux "pays du sud". Parallèlement à la pression exercée par l’industrie sur les législateurs au Congrès, ce différend a été un facteur clé dans le refus de ce dernier d’appliquer le Protocole de Kyoto en 2001.

Cet accord (qui existe toujours) a établi un système selon lequel les pays développés à forte intensité de carbone (aussi appelés pays de l’Annexe I) étaient chargés de réduire leurs émissions. En vertu du nouveau système " ascendant " établi par l’Accord de Paris, tous les pays sont tenus de faire des CPDNs et d’augmenter ces engagements tous les cinq ans, par le biais de ce qu’on appelle un bilan mondial.

Le premier de ces événements aura lieu l’année prochaine, et les pays en développement ont fait valoir qu’ils ne peuvent pas atteindre leurs objectifs sans un soutien concret en termes de fonds, de technologie et d’appui technique de la part des pays riches, ce qui constitue un problème majeur pour les États-Unis.

"Nous considérons l’ambition comme un tout, pas comme une voie à sens unique. L’ambition doit améliorer la mitigation, l’adaptation et les moyens de mise en œuvre. Si vous me demandez de gravir une montagne et que mes muscles ne sont pas adaptés pour le faire, vous me demandez l’impossible ", a déclaré l’ambassadeur palestinien Ammar Hijazi, président du groupe du G77 et de la Chine, lors d’un petit point presse.

"La voiture électrique reste un produit coûteux ", dit-il à titre d’exemple. "Si j’achète une voiture électrique en Palestine, il n’y a que 4 ou 5 stations pour la recharger. Alors je suis coincé avec cette voiture qui ne m’emmène nulle part."

Le fait que les États-Unis se soient retirés de l’Accord de Paris, un document conçu en grande partie pour apaiser leurs inquiétudes au sujet du Protocole de Kyoto, et qu’ils aient imposé un fardeau indû aux pays développés, constitue une raison majeure, avec les pressions de l’industrie, pour laquelle ils ont refusé de mettre en œuvre ce traité en 2001, ce qui complique encore davantage la situation.

Hijazi explique que leur départ de l’accord de Paris revient à " demander aux pays de porter les États-Unis sur leurs épaules ", en prenant le relais pour réduire les émissions générées ici dont " personne n’est maintenant tenu pour responsable ".

Il craint également que le départ des États-Unis n’ait des répercussions plus profondes et qu’il ne " mine l’ordre mondial tel que nous le connaissons en termes de multilatéralisme, et qui consiste à résoudre nos problèmes dans des salles au lieu de se courir après dans les rues ", a-t-il dit.

"C’est ici que nous crions et hurlons, mais nous essayons de trouver des solutions. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais c’est ainsi que le monde fonctionne. Si vous commencez à vous retirer d’un traité multilatéral après l’autre parce que vous ne pensez pas que cela vous convient, les pays seront découragés quand à leur contribution à un tel processus".

Lors de ces négociations présentées comme la " COP de l’ambition " par l’équipe de la présidence chilienne qui a supervisé les travaux de cette année, il s’agissait en partie à clarifier ce que signifiera concrètement l’augmentation de l’ambition, en insistant sur la nécessité pour les pays d’augmenter leurs engagements l’année prochaine à l’approche et après 2020.

À l’approche de la COP de cette année, seuls 80 pays représentant 10,5 % des émissions mondiales se sont engagés à le faire, bien que l’Union européenne ait lancé la semaine dernière une nouvelle promesse sur le climat qui a déjà suscité des critiques.

Alors que les pays dont les objectifs vont jusqu’en 2025 devront présenter des plans nouveaux et améliorés, ceux qui ont des plans jusqu’en 2030 peuvent simplement " re-transmettre " leurs promesses initiales. L’objectif des États-Unis se limitait à 2025, mais ils devraient se retirer de l’accord de Paris avant la COP26. Tous les autres grands émetteurs non américains ont des cibles pour 2030, alors ils peuvent simplement présenter ce qu’ils ont déjà.

Les représentants démocrates du Congrès qui se sont rendus à la COP25 au cours de sa première semaine, y compris la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, avaient hâte de prendre leurs distances par rapport à Trump et ont réitéré leur engagement envers l’accord de Paris.

Pelosi a qualifié la crise climatique de " menace existentielle de notre temps ", notant que les États-Unis avaient " la responsabilité morale d’aider les populations les plus vulnérables du monde alors que nous transmettons cette planète aux générations futures ". La semaine suivante, elle a bloqué un accord commercial (l’accord États-Unis-Mexique-Canada) qui ne mentionne pas le changement climatique et qui permet aux États-Unis d’accroître l’exportation de leurs émissions à l’étranger, un accord que l’expert commercial du Sierra Club, Ben Beachy, a qualifié de " cadeau sans équivoque à Exxon et à Chevron ".

Une des versions du texte présenté par la présidence chilienne pour régler cette question a effectivement supprimé toute mention d’ambition, suscitant l’indignation des groupes de la société civile ainsi que de la High Ambition Coalition [La High Ambition Coalition est un groupe au sein des négociations de l’ONU sur le climat. Il a été vu pour la première fois lors de la COP21 à Paris NdT], composée d’un mélange de pays développés et de pays en voie de développement.

Les règles de l’accord de Paris " soulignent à nouveau avec une grande préoccupation le besoin urgent de combler l’écart important " entre les engagements d’aujourd’hui et ce qui est nécessaire, et " exhorte les parties concernées à prendre en compte " cet écart si elles choisissent de ne pas augmenter leur ambition et de doubler les CPDNs existants. Dimanche matin, les États-Unis se sont joints à d’autres pollueurs productifs pour bloquer une résolution non contraignante encourageant des objectifs plus ambitieux.

" Il semble qu’il y ait eu une déconnexion complète ", Sara Shaw, coordinatrice du programme international pour la justice climatique et l’énergie aux Amis de la Terre International. À la COP, ajoute-t-elle, il y a " des exposés stupéfiants des plus récentes données scientifiques, analysant dans quelle mesure le régime climatique international devra réduire les émissions, mais on n’a pas l’impression que cela transparaît dans la discussion proprement dite ".

Au lieu d’être dirigées par la science, on voit une situation où les négociations sont vraiment guidées par l’intérêt personnel et la politique. C’est une sorte de course vers le bas. ... Si les gens ordinaires savaient ce qui s’est passé ici, ils seraient absolument horrifiés."

Pertes et Dommages

Le financement du climat - ventilé entre mitigation, adaptation et " pertes et dommages " (fonds pour la réparation des impacts climatiques déjà en cours) - est l’une des principales lignes de division Nord-Sud depuis le début des négociations de la CCNUCC au début des années 1990.

Les États-Unis insistent depuis longtemps sur le fait que seules les mesures d’atténuation et d’adaptation méritent d’être financées par des fonds coordonnés par l’ONU, en faisant valoir que les pertes et les dommages devraient être traités en premier lieu par les gouvernements nationaux ou par des groupes d’aide comme la Croix-Rouge.

Avec le Mécanisme International de Varsovie - le dispositif pré-Paris pour superviser le financement des pertes et dommages - en cours de révision, beaucoup ont vu cette COP comme une occasion de résoudre des problèmes de longue date sur les pertes et dommages et de clarifier comment les fonds peuvent être collectés et distribués.

Un représentant de Tuvalu a déclaré que la pression constante des États-Unis pour bloquer le financement des pertes et des dommages " pouvait être considérée comme un crime contre l’humanité ".

Les États-Unis ont vu un autre type d’ouverture. À l’époque où l’Accord de Paris était en cours de négociation, les républicains au Congrès ont menacé de soumettre l’accord à un vote s’il comportait quoi que ce soit en terme d’engagement contraignant.

Le compromis trouvé a consisté en un court paragraphe déclarant " que l’article 8 de l’accord " - celui qui traite du financement - " n’implique ni ne prévoit aucune responsabilité ou indemnisation ". Moins d’un an après avoir quitté l’Accord de Paris, les négociateurs américains ont tenté d’utiliser un débat sur la gouvernance du MIV [Mécanisme international de Varsovie NdT] pour étendre cette exonération de responsabilité à l’ensemble de la CCNUCC, dont ils continueront de faire partie après avoir quitté l’Accord de Paris.

Cela saperait la capacité du MIV de collecter des fonds et remettrait effectivement à zéro les comptes des responsables des émissions mondiales. Les négociateurs américains n’ont pas eu gain de cause, mais la question sera de nouveau débattue l’année prochaine. Ils ont également insisté sur toute " bifurcation " des responsabilités entre les pays développés et les pays en voie de développement.

Le dernier jour des négociations, un représentant de Tuvalu - l’un des pays les plus vulnérables de la planète au changement climatique - a déclaré que les pressions incessantes des États-Unis pour bloquer le financement des pertes et des dommages " pouvaient être considérées comme un crime contre l’humanité ".

Les pays vulnérables au changement climatique ont déjà recours à des mesures désespérées pour payer la facture de la hausse des températures. Sans une autre réserve de fonds dans laquelle puiser, le Mozambique - déjà englué dans les dettes envers le Credit Suisse et le capital russe VTB - a été contraint de contracter un prêt de 118 millions de dollars auprès du FMI pour se remettre du cyclone Idai, qui a tué plus de 1 000 personnes et causé des milliards de dollars de dégâts en avril.

L’allégement généralisé de la dette a été une demande clé des groupes qui font pression pour un financement plus équitable du climat, mais en l’absence de ces changements et d’un financement solide des pertes et dommages, le Mozambique et d’autres pays pourraient bien être contraints de se conformer aux exigences du FMI en matière de remboursement des prêts, ce qui pourrait rendre la mitigation, l’adaptation et la réhabilitation encore plus difficiles.

Sur le front financier, on a enregistré quelques modestes victoires à Madrid, notamment la création d’un groupe d’experts sur les pertes et dommages, le consensus pour établir un " Réseau de Santiago " pour la coordination entre les pays en ce qui concerne cette question, et l’adoption de la formulation demandant instamment " l’intensification de l’action et du soutien " en matière de pertes et dommages.

Pourtant, avec les questions qui subsistent quant à la gouvernance et l’absence de nouveaux engagements de déblocage de fonds, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’en arriver à un système fonctionnel de pertes et dommages .

"Il nous faut comprendre que nous sommes dans une situation absolument désespérée. Nous avons vu comment l’inaction des dix dernières années augmente la pression sur les pays en voie de développement afin qu’ils assument et portent le fardeau des pays développés qui ont en permanence trainé des pieds ", a dit M. Singh à The Intercept, en faisant référence aux États-Unis.

Le programme californien de plafonnement et d’échange fixe un prix pour le carbone émis par les pollueurs, comme la raffinerie de pétrole Valero Benicia vue ici le 12 juillet 2017, à Benicia, en Californie. Le programme exige des entreprises qu’elles réduisent leurs émissions ou qu’elles achètent des permis leur permettant de continuer à polluer. Photo : Rich Pedroncelli/AP

Le marché du carbone

Même si les États-Unis auront probablement quitté l’Accord de Paris quand on en arrivera au moment où les questions qui subsistent après la COP25 seront reprises à Glasgow l’année prochaine, leur adhésion à la CCNUCC qui est maintenue signifiera qu’ils pourraient encore jouer un rôle considérable dans les négociations, y compris en ce qui concerne les finances.

Et les plus grandes entreprises polluantes du monde, qui n’ont pas l’intention de s’en aller de sitôt, se mobilisent concernant le point le plus important de cette COP, toujours non résolu : le nouveau marché du carbone en pleine expansion de l’Accord de Paris.

Les systèmes d’échange de droits d’émission comme celui de l’article 6 de l’Accord de Paris décrivent comment les pays peuvent acheter et échanger des crédits d’autres pays qui ont déjà réduit leurs émissions. Lorsqu’ils ne peuvent pas atteindre les objectifs de réduction à l’intérieur de leurs propres frontières, ils peuvent acheter des crédits " compensatoires " qui correspondent théoriquement à des réductions d’émissions ailleurs.

Une seule partie de l’article 6 - 6.8 - traite des mécanismes non marchands, et elle doit encore être étoffée. Sauf changements importants, les marchés du carbone resteront le principal moyen par lequel les pays collaborent pour réduire les émissions.

" Ce n’est pas le processus que je remettrai en cause", dit Harjeet Singh d’ActionAid. "Certaines personnes ont vraiment fait en sorte que ce processus ne fonctionne pas."

L’échange de droits d’émission de carbone a été très controversé. Poussé activement aux Nations Unies par BP et le Fonds de défense de l’environnement dans les années 1990 - et dans l’Accord de Paris, au moins en partie à l’instigation de Shell - il a un bilan douteux en matière de réduction de la pollution. Les critiques soutiennent que c’est un danger pour les écosystèmes, les droits humains et la souveraineté autochtone, avec peu ou pas d’avantages pour la planète.

Peu après la mise en place du système d’échange de quotas d’émission de l’UE en 2005, le prix des crédits de carbone échangés dans le cadre de ce système s’est effondré et est resté bas jusqu’en 2017, ce qui a rendu le coût de la pollution peu élevé.

Le système RGGI de la côte Est [ Regional Greenhouse Gas Initiative : il s’agit d’ une initiative régionale de 10 États du Nord-Est des États-Unis visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, c’est un programme de plafond et d’échange d’émissions destiné aux centrales électriques NdT] est surtout un moyen d’augmenter les revenus - et non de réduire les émissions - et un rapport récent de ProPublica montre que les émissions des secteurs couverts par le système californien de plafonnement et d’échange ont augmenté depuis sa mise en œuvre en 2010.

Le Protocole de Kyoto comprenait un système d’échange de carbone connu sous le nom de Mécanisme de développement propre qui a été entaché de scandale, par lequel les entreprises pouvaient vendre des crédits pour produire et détruire des émissions qu’elles n’auraient pas produites autrement.

Tant des groupes industriels que des pays tels l’Australie, l’Inde et le Brésil se battent maintenant pour faire entrer les crédits du système de Kyoto dans la mise en œuvre de l’article 6 de l’Accord de Paris, ce qui leur permettrait de comptabiliser les crédits déjà existants - ce qui représente plus que les émissions annuelles de l’UE - dans leurs réductions d’émissions.

Pendant ce temps, de nombreux défenseurs autochtones et groupes de la société civile ont fait valoir que les marchés du carbone devraient être purement et simplement supprimés et qu’ils ne sont rien d’autre qu’un moyen de faire de l’argent pour les pires pollueurs.

Les détracteurs du marché du carbone, tout comme ceux qui sont plus favorables aux mécanismes du marché ont fait pression pour l’inclusion de normes plus strictes en matière d’environnement et de droits humains dans le texte régissant sa mise en œuvre.

Ils veulent également éviter le double comptage, en vertu duquel l’acheteur de crédits compensatoires et le pays où le projet a lieu peuvent chacun compter les réductions qu’il produit. Le Brésil, mais aussi d’autres pays avec des gouvernements de droite comptant de nombreux projets de compensation ont combattu de telles réformes.

Les industriels dans le secteur des combustibles fossiles cherchent à s’assurer qu’ils tirent également un bon profit de l’article 6. La CCNUCC n’a jamais établi de politique en matière de conflits d’intérêts, et les représentants de l’industrie actifs sur cette question et sur d’autres - par exemple les badges d’observateurs comme ceux qui sont remis aux représentants de la société civile - bénéficient d’un large accès aux équipes de négociation des pays, les associations commerciales comme l’Association internationale pour l’échange de droits d’émission organisent des happy hours et des événements en parallèle dans les pavillons du " Business Hub " qu’elle a montés ces dernières années. La délégation de l’IETA [International Emissions Trading Association NdT] avec 140 délégués assistant aux négociations de 2019 était plus importante que celle envoyée par l’UE.

"Ce n’est pas le processus que je remettrai en cause", dit Singh, d’ActionAid. "Certaines personnes ont vraiment fait en sorte que ce processus ne fonctionne pas. Ils ne se sont souciés que de leurs propres intérêts et de protéger leurs sociétés. Nous n’avons pas d’alternative à ce processus. Ce sont le blocage et l’obstruction qui sont en cause, ne permerttant pas à tous les pays vulnérables d’avoir à égalité un droit de parole et un espace.

La thèse de l’industrie et des pays alliés, a dit M. Madhusoodanan, est que " Nous ne pouvons pas appliquer efficacement l’Accord de Paris si nous n’avons pas le monde des affaires à nos côtés à chaque étape du processus ". Et c’est fondamentalement en opposition avec l’idée que certaines de ces sociétés sont ici pour faire avancer des intérêts très précis à leurs profits. ... quand on en arrive à la prise de décision dans le cadre de négociations auxquelles les observateurs peuvent assister, il y a déjà eu beaucoup de coordination à huis clos avec ces entités très puissantes, ce qui sert à faire avancer un programme favorable aux entreprises ".

La façon dont les entreprises sont accueillies à bras grands ouverts contraste fortement avec la façon dont la société civile est traitée cette année, puisque, en plus d’être exilée en masse mercredi, celle-ci a vu ses bulletins d’information quotidiens interdits de diffusion au début de la COP, la CCNUCC ayant imposé des restrictions sur le nombre de feuilles de papier que les ONG étaient autorisées à imprimer. Le déplacement des négociations du Chili vers l’Espagne - un appel lancé au milieu des protestations généralisées contre le gouvernement néolibéral de Sebastián Piñera dans ce pays - a multiplié les obstacles à la participation.

Bert De Wel, directeur de la politique climatique du Congrès syndical international, déclare que plusieurs syndicalistes qui avaient prévu de se joindre à la délégation de la CSI (Confédération syndicale internationale) - dont beaucoup venant d’Amérique latine - ont été contraints de rester chez eux en raison des frais de voyage et d’autres difficultés.

" Les personnes qui suivent le travail politique sur le terrain dans les syndicats ont particulièrement tendance à se désister ", dit-il. " Les patrons et les dirigeants trouveront des subventions et des commandites pour y arriver, mais il devient beaucoup plus compliqué d’avoir une représentation des gens qui sont beaucoup plus près de notre niveau de travail. ... Nous ne pouvons pas nous permettre les événements parallèles ou les pavillons de luxe."

Au cours du week-end, les représentants des pays en voie de développement ont été tenus à l’écart des négociations menées dans les coulisses, tard dans la nuit, alors que les textes définitifs étaient discutés. Et le dernier jour, la plénière finale a été retardée parce que la CCNUCC n’était pas sûre d’avoir le quorum des deux tiers requis pour aller de l’avant. Plusieurs représentants de pays en voie de développement n’ayant pas les fonds nécessaires pour changer leurs vols.

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