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Sombre anniversaire

Le dérèglement climatique anthropique est connu depuis 40 ans

par Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID

lundi 9 décembre 2019, par JMT

Mi-septembre 2019, deux grandes institutions scientifiques françaises impliquées dans la modélisation du climat – le Centre national de recherches météorologiques et l’Institut Pierre-Simon-Laplace – ont publié leurs dernières projections : dans le pire des scénarios, fondé sur une croissance économique soutenue par la combustion des ressources fossiles, la température moyenne mondiale pourrait s’élever, d’ici à 2100, de 6 à 7 °C par rapport au climat préindustriel. Les dernières simulations de ces deux équipes, utilisées dans le dernier rapport du GIEC, sous-estimaient donc l’élévation de la température de près de 1 °C. Comment imaginer l’adaptation des sociétés et des économies dans un monde accablé par de telles chaleurs ?

Le dérèglement climatique anthropique* est connu depuis 40 ans

*lié aux activités humaines.

Sur la question climatique, tout regard rétrospectif produit deux réactions : regret et consternation d’une part, effroi d’autre part. Regret et consternation, car rien n’a été entrepris pour infléchir le cours des choses. Effroi, car les nouvelles connaissances conduisent à aggraver les prévisions antérieures.

Mi-septembre 2019, deux grandes institutions scientifiques françaises impliquées dans la modélisation du climat – le Centre national de recherches météorologiques et l’Institut Pierre-Simon-Laplace – ont publié leurs dernières projections : dans le pire des scénarios, fondé sur une croissance économique soutenue par la combustion des ressources fossiles, la température moyenne mondiale pourrait s’élever, d’ici à 2100, de 6 à 7 °C par rapport au climat préindustriel. Les dernières simulations de ces deux équipes, utilisées dans le dernier rapport du GIEC, sous-estimaient donc l’élévation de la température de près de 1 °C. Comment imaginer l’adaptation des sociétés et des économies dans un monde accablé par de telles chaleurs ?

Aujourd’hui, le thermomètre terrestre ne pointe qu’à +1 °C de réchauffement, mais la situation est difficilement gérable dans les régions du monde les plus exposées aux sécheresses, canicules, inondations. A +1 °C, les océans se sont élevés de 20 cm environ, l’acidité de leurs eaux de surface s’est accrue de 25 % et l’avenir réserve d’autres surprises. Chaque été boréal charrie son lot de catastrophes.

A La Réunion, l’année 2019 aura été la plus chaude jamais enregistrée, et les trois premiers mois de l’année, caniculaires, ont vu un record d’étiage de la nappe phréatique.

En France, moins exposée, on comptait moins de deux épisodes caniculaires par décennie entre 1950 et 1990, alors qu’on en dénombre seize entre 2010 et 2019. Huit fois plus.

Juillet 2019, le mois le plus chaud jamais mesuré, a vu s’enchaîner les désastres : incendies en Sibérie, trente mille km² de forêt partie en fumée en quelques mois ; deux canicules en France, avec des températures supérieures à 40 °C dans une cinquantaine de villes, et un record absolu de 46 °C, à Gallargues-le-Montueux, dans le Gard ; températures excédant 20 °C à Alert, au-delà du cercle polaire ; en Inde, les dix millions d’habitants de Chennai ont dû être ravitaillés en eau douce par trains… Au Sahel, la sécheresse deviendrait chronique.

Tout cela n’est qu’avant-goût. Au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre (GES), rien ne semble en mesure d’empêcher le franchissement, dès 2040, du seuil de 2 °C de réchauffement par rapport au climat préindustriel, fixé par la COP21. Le seuil qu’on ne devait pas dépasser en 2100. En 30 ans, la diplomatie climatique n’a rien donné : la réalité s’est identifiée avec le pire scénario des chercheurs.

Les températures ne sont pas tout. Inaccessibles aux sens, les bouleversements qui frappent la physico-chimie et la biologie des mers sont gigantesques. L’océan a absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire introduite dans le système Terre par les émissions de GES humaines produites depuis l’après-guerre. Il éponge aussi une grande part du CO2 émis par les humains et poursuit son acidification excédant les capacités d’adaptation de nombreuses espèces.

Acidification, réchauffement, mais aussi baisse de la teneur en oxygène et accumulation des effluents de l’agriculture intensive : les zones mortes de l’océan augmentent imperturbablement : +3 à 8 % de leur surface entre 1970 et 2010, la tendance s’accélère, menaçant la productivité biologique, c’est-à-dire la capacité de l’océan à fabriquer et à maintenir la vie.

Une grande part de l’impact du réchauffement sur les sociétés passe par l’océan, qui fournit une portion importante des protéines du régime alimentaire d’un milliard d’individus. Tout comme 680 millions d’individus vivent aujourd’hui en zones côtières de basse altitude, vulnérables à l’élévation du niveau marin. Celui-ci pourra grimper d’un mètre d’ici à la fin du siècle, en cas de poursuite des émissions. Le GIEC projette que les populations exposées à l’érosion des côtes et à l’avancée des eaux atteindraient un milliard.

Tous les aspects de l’organisation des sociétés humaines seront touchés. De la production primaire à la production énergétique, de la stabilité des services écosystémiques à la disponibilité des ressources en eau : tous les secteurs économiques devront s’adapter tout en tentant de réduire leurs émissions de GES. Rien ne dit que cela sera possible : avec quelques °C de plus, des pans entiers du globe ne seront plus habitables.

La rapidité des changements survenus entre le milieu et la fin des années 2010 a surpris les opinions. Malgré Trump aux Etats-Unis et Bolsonaro au Brésil, un basculement s’est opéré entre le scepticisme de 2010 et la prise de conscience brutale de la gravité du problème moins de 10 ans plus tard.

Cette bascule ne reflète pas l’évolution de la connaissance. Au contraire, celle-ci est relativement stable depuis la fin des années 1970. En 1979, le sujet est à l’agenda de la diplomatie mondiale lors de la première Conférence internationale sur le climat, tenue à Genève sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale. La réunion conclut qu’il faut intensifier la recherche mais, la même année, la Maison Blanche demande à l’Académie nationale des sciences américaine son expertise sur le sujet. L’institution rassemble les meilleurs spécialistes américains, conduits par Jule Charney (1917-1981), physicien de l’atmosphère et professeur au MIT.

Le « rapport Charney » est le premier document consensuel dans lequel la science moderne prédit un réchauffement par l’effet de serre. Les experts du rapport estimaient qu’un doublement de la concentration du gaz carbonique dans l’atmosphère conduirait à un réchauffement compris entre 1,5 et 4,5 °C. Soit une estimation plus optimiste que celle produite aujourd’hui.

Le rapport annonçait déjà la tragédie à venir. Et précisait que, si les pouvoirs publics attendaient de voir les premiers effets du réchauffement se manifester, ce serait trop tard, du fait de l’inertie du climat, pour en éviter les désagréments majeurs. Ainsi, la communauté internationale a attendu qu’il soit trop tard.

Cette connaissance n’est pas demeurée loin du débat public et des décideurs. En juillet 1979, la grande presse américaine se saisit du sujet et traite du risque climatique dans ses éditoriaux. La haute probabilité de la catastrophe à venir n’empêche pas le scepticisme. Car derrière la procrastination et le peu d’intérêt manifesté par les politiques se cachent la faible mobilisation et l’incrédulité de l’opinion. Un scepticisme savamment entretenu. Tout au long des années 2000, des sommes considérables sont investies dans un travail visant à décrédibiliser la science climatique, discipline présentée comme incertaine et motivée par des considérations idéologiques.

Une myriade de think tanks ou d’organisations-écrans financées par les industries des énergies fossiles, ou par les fondations philanthropiques de grandes familles conservatrices américaines, recrutent des pseudo-experts qui accaparent les médias, maintiennent une armada de blogs et de commentateurs anonymes inondant la Toile de contre-vérités. Avec succès.

Des manœuvres d’autant plus choquantes que certaines des grandes entreprises pétrolières américaines avaient elles aussi, dès la fin des années 1970, pleinement conscience de l’ampleur des risques liés à la combustion des énergies fossiles. En 2015, le Los Angeles Times et le site InsideClimate News ont révélé des dizaines de documents internes du pétrolier Exxon, montrant que les ingénieurs et les scientifiques de l’entreprise n’avaient aucun doute sur l’ampleur de ce qui était à l’horizon.

Après le rapport Charney, un petit groupe de scientifiques, militants et responsables de l’administration américaine se sont démenés, tout au long des années 1980, pour contraindre à l’action les États-Unis, et à leur suite le reste du monde. En vain. Le rapport Charney a été « oublié ». Il faudra attendre une décennie pour que l’affaire s’installe, pour de bon, au centre de l’attention médiatique. Qu’elle devienne « un sujet ».

La prise de conscience a une date et un lieu précis : le 23 juin 1988, au Sénat des États-Unis, au début de l’une des pires saisons estivales qu’ait connues l’Amérique du Nord. La presse américaine égrène les records de températures et compte les jours sans pluie. Les états céréaliers courent à la catastrophe ; la moitié du parc national de Yellowstone est en feu ; le porte-parole du président Reagan appelle sans rire ses compatriotes à « prier pour que la pluie tombe ».

Le 23 juin, une commission parlementaire auditionne des scientifiques. Parmi eux, James Hansen, directeur du Goddard Institute for Space Studies, le laboratoire d’étude du climat de la NASA, fait sensation. Il annonce que l’ampleur des événements excède la variabilité naturelle du climat et que la Terre est entrée dans une phase de réchauffement dû aux activités humaines.

Le lendemain, les déclarations de James Hansen font la « une » du New York Times : le changement climatique est désormais mis à l’agenda médiatique et politique mondial. La création du GIEC, sous l’égide des Nations unies, lui permettra d’y rester.

Mais rien de sérieux ne sera entrepris pour lutter contre la dérive climatique. « Pour comprendre la réalité du réchauffement, il faut avoir de l’eau dans son salon, confiait en octobre 2010, le président des Maldives (2008-2012), Mohamed Nasheed. Un jour, à New York, ils verront de l’eau dans leur salon et ils se diront : “Tiens, le changement climatique est une réalité !” Chez nous, aux Maldives, l’eau est déjà dans la maison. »

Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID
D’après le Monde du 02/12/2019

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PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du Mercredi 11 Décembre 2019 - 14:17

* Courrier des lecteurs de Clicanoo.com du Mercredi 11 décembre 2019, 14h38

* Chronique de Témoignages.re du Jeudi 12 décembre 2019

* Tribune libre sur Imaz-Press Réunion du Mercredi 11 Décembre à 12H24

* Courrier des lecteurs du QUOTIDIEN du vendredi 20 décembre 2019

LIENS

* Le réchauffement climatique lié aux activités humaines est connu depuis 40 ans
Par Stéphane Foucart, publié le 01 décembre 2019 à 18h00 - Mis à jour le 02 décembre 2019 à 06h03

* Ecologie. Il y a 40 ans, le rapport Charney annonçait le réchauffement anthropique

* Réchauffement climatique sur Wikipédia

* Controverses sur le réchauffement climatique