AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Montée des eaux : une erreur est corrigée dans les données et notre avenir est (...)

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-133

Montée des eaux : une erreur est corrigée dans les données et notre avenir est redessiné

Par Jeff Goodell, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 29 novembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Montée des eaux : une erreur est corrigée dans les données et notre avenir est redessiné

31 Octobre 2019 par Jeff Goodell

Un train se fraie une voie au milieu des crues de moussons au Bangladesh Raihan Hasan/Zeppelin/SIPA/Shutterstock

Une nouvelle étude sur la montée du niveau des océans révèle que certaines parties de l’Asie et du Moyen-Orient sont bien plus menacées que nous le pensions.

Ce qui se passe actuellement en Californie - pannes de courant, incendies de forêt, évacuations massives - devrait vous dire tout ce que vous avez besoin de savoir sur l’urgence de la crise climatique. Mais la dure vérité, c’est que les flammes en Californie ne sont qu’un des aspects de la vie d’une planète en surchauffe. De temps en temps, les climatologues publient une nouvelle étude qui précise à quel point la crise climatique est grave pour des millions de personnes dans le monde.

L’un de ces articles a été publié dans Nature Communications cette semaine par des scientifiques de Climate Central. [Nature Communications est une revue scientifique à comité de lecture, la plus prestigieuse en sciences de l’environnement, NdT] [Climate Central est une organe de presse à but non lucratif qui analyse et fait le point sur la science du climat, NdT]

L’article corrige ce qui était avant tout une erreur dans les données des calculs précédents quant au nombre de personnes qui sont exposées au risque d’une montée des eaux. Les résultats ont abasourdi même certains des meilleurs climatologues du monde : cette étude réalisée par des collègues de Climate Central m’a choqué moi-même, car je n’étais pas au courant de ce problème.

Il ne s’agit pas de projections plus élevées de l’élévation concernant le niveau de la mer ; il s’agit de données plus précises sur la topographie, montrant que plusieurs régions sont plus proches du niveau de la mer et donc plus vulnérables que prévu.

Voir sur Christopher Flavelle

Selon cette nouvelle analyse, environ trois fois plus de personnes risquent d’être submergées par la montée des eaux que ce qui avait été rapporté précédemment - 150 millions de personnes vivent maintenant sur des terres qui se retrouveront en dessous des zone inondées d’ici 2050.

Et c’est un scénario optimiste, où le réchauffement est contenu à 2 degrés C et où les calottes glaciaires ne s’effondrent pas dans un avenir proche. Dans un scénario plus pessimiste, les chiffres doublent pour atteindre 300 millions de personnes submergées d’ici 2050. Cela équivaut à peu près à toute la population des États-Unis submergée au cours des trois prochaines décennies.

L’étude révèle qu’environ 70 % des personnes actuellement à risque se trouvent dans huit pays asiatiques : Chine, Bangladesh, Inde, Vietnam, Indonésie, Thaïlande, Philippines et Japon. Dès 2050, la majeure partie du Sud Vietnam pourrait disparaître à marée haute, ce qui mettrait 20 millions de personnes sous l’eau. En Thaïlande, 10 % de la population vit sur des terres qui seront inondées, contre 1 % actuellement. Une grande partie de Bangkok et de Mumbai, deux centres financiers d’Asie qui abritent des dizaines de millions de personnes, risquent d’être inondés dans les décennies à venir.

Pourquoi cette importante réévaluation de notre perception du risque d’élévation du niveau de la mer ?

Jusqu’à présent, le calcul du risque d’élévation du niveau de la mer dépendait largement de deux variables : premièrement, la vitesse à laquelle les émissions de carbone continueront d’augmenter, ce qui affecte la vitesse à laquelle le climat continue de se réchauffer ; deuxièmement, la réactivité des glaciers à cette augmentation, particulièrement dans la région occidentale de l’Antarctique qui représente le joker des projections futures en ce qui concerne la montée des océans (il en est beaucoup plus question dans The Big Melt, un nouveau livre audio sur ma dernière expédition en Antarctique). [ La grande fonte : ouvrage non traduit NdT]

Cependant, une des variables largement négligée est la hauteur réelle des terres le long des côtes, ainsi que le nombre de personnes qui y vivent. Après tout, lorsqu’il s’agit de l’élévation du niveau de la mer, ce qui importe, ce n’est pas seulement la hauteur de l’eau, mais aussi la hauteur de la terre qui se trouve au niveau de l’eau.

Trois pieds d’élévation du niveau de la mer dans le sud de la Floride, qui est une région basse, plate et densément peuplée, auront un impact beaucoup plus important que trois pieds d’élévation le long de la côte élevée, rocheuse et peu densément habitée de l’Orégon et du Maine.

Cela fait des années que les scientifiques savent que les mesures de relief des côtes sont approximatives. Les altitudes sont basées sur les données de la mission Endeavor de la navette spatiale de 2000, qui a utilisé un radar spatial pour créer une carte topographique du monde civilisé (l’Arctique et l’Antarctique en étaient omis).

Cela a bien fonctionné dans certaines régions, mais le radar a souvent mal interprété la partie supérieure des bâtiments et la cime des arbres les prenant pour la surface des terres, ce qui a entraîné des mesures altimétriques qui étaient décalées de 10 pieds ou plus [3 m et plus NdT]. Et c’est un vrai problème lorsque l’on essaie de calculer le risque d’inondation, où même 6 pieds d’altitude a de grandes implications.[1,82 m NdT

Aux États-Unis, en Europe et en Australie, les problèmes de mesure de la hauteur des côtes ont été corrigés grâce au LIDAR (Light Detection and Ranging), qui est en fait une méthode pour tirer au laser depuis un avion pour mesurer le contour du sol. C’est beaucoup plus précis que les radars spatiaux, mais c’est aussi coûteux et prend beaucoup de temps.

Mais il n’existait pas de données LIDAR accessibles au public pour l’Asie, l’Afrique et le Moyen-Orient, ce qui rendait difficile pour les scientifiques le calcul précis des risques d’élévation du niveau de la mer dans ces régions. C’était particulièrement un problème en Asie, où la région est basse et plate et où la végétation dense permettait de confondre facilement la cime des arbres avec la terre qui se trouvait au-dessous.

"Dès 2014, nous savions que les données topographiques conduisaient à une forte sous-estimation du risque d’élévation du niveau de la mer", explique Ben Strauss, co-auteur de ce rapport. "Nous avons passé quelques années à chercher de meilleures données. Puis, il y a trois ans, j’ai perdu patience. Au lieu d’attendre de meilleures données, nous avons décidé de les faire nous-mêmes."

Strauss et Scott Kulp, informaticien à Climate Central, ont en substance trouvé un moyen pour recourir à l’intelligence artificielle afin d’ imiter le travail du LIDAR. Nous avons examiné 50 millions de points de données sur la côte américaine et avons dit à l’ordinateur : "Voici l’altitude, voici ce que le radar de la navette spatiale pense que la donnée est, et donc fais un modèle qui répare l’erreur."

Strauss et Kulp ont comparé leur modèle aux données d’autres régions des États-Unis et de l’Australie, où ils disposent de données altimétriques précises et ont découvert le modèle d’IA (connu sous le nom de CoastalDEM) qui pouvait faire la correction précise des altitudes et à certains endroits cela allait de 10 pieds (3 m) à 1 pouce (2,5 cm).

Lorsqu’ils ont réanalysé les données de la navette spatiale avec le nouveau modèle, les résultats ont été étonnants. Et pas dans le sens positif du terme.

D’une part, Strauss et Kulp ont découvert que les variations au niveau des risques dues à des erreurs antérieures dans les données altimétriques " dépassent les effets combinés du niveau des émissions, du comportement de l’Antarctique, et de l’intégration des inondations annuelles, évalués en utilisant [données de la navette spatiale] ".

En d’autres termes, une simple correction des données altimétriques a éclipsé tout calcul de l’élévation du niveau des océans résultant de la quantité de combustibles fossiles que nous consommons, ou de leur augmentation si les grandes banquises deviennent aussi fragiles que certains scientifiques le craignent.

Par exemple, l’analyse précédente des risques d’inondation à l’aide des données de la navette spatiale, dans le cadre de scénarios d’émissions élevées et d’instabilité en Antarctique, a révélé que 95 millions de personnes vivront sous la ligne de haute mer moyenne en 2100. Dans la nouvelle analyse, même avec un scénario de faibles émissions et des calottes glaciaires relativement stables, 190 millions de personnes vivront sous la ligne de flottaison.

En d’autres termes, avec ces nouvelles données, même le meilleur scénario concernant les risques d’inondation futurs est deux fois plus mauvais que le pire scénario précédent.

Les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises dans cette étude. En positif, Strauss et Kulp ont constaté que 110 millions de personnes vivent déjà dans des zones situées sous de hauts niveaux marins, principalement derrière des digues et autres barrières. "Cela me laisse un certain espoir quant à notre capacité d’adaptation ", dit Strauss, bien qu’il souligne également que ces barrières et digues ne seront probablement pas suffisantes à mesure que le niveau de la mer montera en flèche dans les années à venir.

Aussi importante que puisse être cette étude, dit Strauss, "ce n’est pas le dernier mot." De nouveaux satellites dotés d’une meilleure technologie seront lancés au cours des prochaines années, ce qui ouvrira la voie à des mesures altimétriques plus précises depuis l’espace.

Et l’étude ne tient pas compte de la nature dynamique de la terre elle-même, comme l’érosion qui se produit lorsque la mer monte. Ou le fait que, dans de nombreux endroits, les terres s’enfoncent rapidement, souvent à cause du pompage des eaux souterraines. (C’est ce qu’il se passe à Jakarta, où le président indonésien Joko Widodo a récemment annoncé qu’il avait décidé de déplacer la capitale vers un terrain plus élevé à Bornéo.)

L’étude fait également abstraction du fait que l’élévation du niveau de la mer n’est pas la même partout. Par exemple, de 2011 à 2015, une étude coécrite par Andrea Dutton, lauréate du prix MacArthur, a révélé que les mers ont augmenté trois fois plus vite que la moyenne mondiale sur certaines parties de la côte atlantique, en partie à cause des impacts d’El Niño.

Comme la plupart des sciences du climat fondées sur des données, la chose la plus importante que l’étude laisse de côté est l’élément humain. Elle ne tient pas compte du type de nouvelles défenses qui pourraient être construites pour se protéger contre la montée des eaux - murs, barrières, digues.

Ou comment les gens pourraient s’adapter d’autres manières, avec des canaux de type Venise ou des structures flottantes. Elle ne tient pas compte non plus des facteurs politiques et économiques, tels que la rapidité avec laquelle la valeur des propriétés diminuera à mesure que le risque d’inondation augmentera et l’impact que cela aura sur les recettes fiscales et les administrations locales.

Ou à quel point les gens se battront pour rester sur leur terre en voie de submersion, même s’il est plus sensé de fuir. Ou, plus important encore, combien de millions de personnes seront déplacées, et où elles iront, et comment elles seront traitées par les gens qui vivent sur des territoires plus élevés.

Il est impossible de penser à la submersion du sol sous les pieds de centaines de millions de personnes et de ne pas penser aux misères, à la souffrance, à la guerre. En fin de compte, le véritable facteur X de cette étude n’a rien à voir avec l’élévation du sol ou la montée des mers, et tout à voir avec les vastes mystères du cœur et de l’esprit humains.

Version imprimable :