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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-128

Cela s’est-il vraiment passé au pays de la Magna Carta ?

Par John Pilger, traduit par Jocelyne le Boulicaut

samedi 23 novembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Cela s’est-il vraiment passé au pays de la Magna Carta ?

Le 25 octobre 2019, John Pilger, en exclusivité pour Consortium News
https://consortiumnews.com/2019/10/25/john-pilger-did-this-happen-in-the-home-of-the-magna-carta/

John Pilger, de nationalités australienne et britannique, est réalisateur et journaliste demeurant à Londres. Site : www.johnpilger.com En 2017, la British Library a annoncé la création d’archives destinées aux travaux du journaliste et réalisateur. Le British Film Institute a classé son film de 1979 " Year zero : the silent death of Cambodia " ( "Année zéro : la mort silencieuse du Cambodge") parmi les 10 documentaires les plus importants du 20ème siècle .On peut trouver ici quelques-unes de ses précédentes contributions à Consortium News.

[Magna Carta, latin pour Grande Charte, désigne plusieurs versions de la grande charte des libertés arrachée au roi Jean sans Terre le 15 juin 1215, dont le texte définitif est promulgué en 1225. NdT]

Dans un article écrit en exclusivité pour Consortium News, le célèbre réalisateur et journaliste John Pilger, ami de Julian Assange, évoque la scène inquiétante qui s’est déroulée, cette semaine, dans une salle d’audience londonienne alors que l’éditeur de WikiLeaks comparaissait dans l’affaire concernant son extradition vers les États-Unis.

Ce pire moment était le dernier en date d’une longue série de "pires" moments. J’ai, en effet, assisté à beaucoup d’audiences et j’ai vu des juges abuser de leur pouvoir. Cette juge, Vanessa Baraitser — en fait elle n’est pas juge du tout ; elle est magistrate — a scandalisé tous ceux d’entre nous qui étions présents.

Son visage a reflété ses sentiments allant du rictus méprisant à l’implacable indifférence ; elle s’est adressée à Julian Assange avec une arrogance qui m’a rappelé un magistrat qui présidait le Bureau de classification des races dans l’Afrique du sud de l’apartheid. Il est arrivé à Julian de ne pas réussir à s’exprimer, ses mots sortaient avec difficulté et il a même hésité sur son nom et sur sa date de naissance.

Quand il s’est exprimé, fort de sa sincérité, et que son avocat a plaidé, Vanessa Baraister a très ostensiblement manifesté son ennui ; mais quand l’avocat de l’accusation a pris la parole, elle s’est montrée attentive. Elle n’en avait rien à faire ; tout était, à l’évidence arrangé à l’avance. En face de nous se trouvaient quelques officiels américains, dont les instructions au procureur étaient transmises par une assistante qui faisait des allées et venues pour délivrer les directives.

La juge a observé cette situation scandaleuse sans hasarder le moindre commentaire. Cela m’a rappelé un film d’actualités qui montrait un procès-spectacle dans le Moscou de Staline ; avec cette différence que ces procès-spectacles de Moscou étaient diffusés alors qu’ici, la chaîne d’état, la BBC, a censuré ce procès, tout comme les autres chaînes grand public.

Elle n’est pas allée jusqu’à bailler alors qu’elle faisait fi de l’évocation factuelle de l’avocat d’Assange quant à la façon dont la CIA avait engagé une compagnie de sécurité espagnole pour espionner son client au sein de l’ambassade équatorienne, mais son désintérêt était tout aussi manifeste. Elle a ensuite refusé d’accorder aux avocats de Julien Assange un délai pour étudier l’affaire —même si en prison, leur client n’avait pas eu le droit de recevoir de documents juridiques ou autres éléments utiles à sa défense.

Prison pour Assange

Elle a porté le coup de grâce en annonçant que l’audience suivante aurait lieu dans un endroit reculé, à Woolwich, juste à côté de la prison de Belmarsh, dans une salle disposant de très peu de sièges pour le public. Voilà qui confortera le confinement et fera de ce procès un procès aussi secret que possible. Est-ce que tout ceci a bien eu lieu dans le pays de la Magna Carta ? Oui, mais qui l’a su ? [ La Magna Carta protège la liberté individuelle en décidant que nul ne pourrait être arrêté ni détenu, lésé dans sa personne ou dans ses biens, sinon par la jugement de ses pairs et conformément à la loi ; pas plus que la force ne pourra être employé contre lui, sans un jugement légal de ses pairs ou selon les lois du pays. « Nous ne vendrons, refuserons ou différerons le droit d’obtenir justice à personne. » NdT]

Plus important que l’Affaire Dreyfus.

L’affaire Assange est souvent comparée à l’affaire Dreyfus, mais historiquement parlant elle est beaucoup plus importante. Personne n’en a le moindre doute — pas plus ses ennemis du New York Times, que les journaux de Murdoch en Autralie — s’il est extradé aux États-Unis et, conséquence inévitable, détenu sous haute sécurité ; c’est le journalisme même qui sera, lui aussi, incarcéré.

Qui osera alors dénoncer quoi que ce soit d’important, sans parler des crimes monstrueux commis par l’Occident ? Qui osera publier "Meurtre Collatéral" ? Qui osera dire au public que la démocratie, telle qu’elle est, a été pervertie par l’autoritarisme arbitraire des milieux d’affaires dont le fascisme tire sa force.

Autrefois, il y avait, dans le journalisme grand public, des espaces, des interstices, des refuges dans lesquels pouvaient se faufiler les journalistes indépendants, qui sont les meilleurs journalistes. Ils sont clos depuis longtemps. On peut certes garder un espoir et croire à la circulation sur le net de visions dissidentes, où se pratique encore un excellent journalisme qui sait désobéir [ à l’image de samizdat : Le samizdat (en russe : самиздат) était un système clandestin de circulation d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l’Est, manuscrits ou dactylographiés par les nombreux membres de ce réseau informel.NdT].

Mais on peut surtout espérer qu’un juge ou même des juges de la cour d’appel britannique, la High Court, redécouvre la justice et libère Assange. En attendant, il nous incombe de nous battre de toutes les manières que nous connaissons et, pour ce faire, il va nous falloir une bonne dose du courage dont fait preuve Julien Assange.

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