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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-125

L’élargissement de la loi sur le secret pour les agents de renseignement inquiète les défenseurs de la liberté de la presse

Par Charlie Savage , traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 19 novembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’élargissement de la loi sur le secret pour les agents de renseignement inquiète les défenseurs de la liberté de la presse

Le 10 juillet 2019 Par Charlie Savage

Charlie Savage est correspondant en matière de sécurité nationale et de politique juridique à Washington. Lauréat du prix Pulitzer, il a travaillé auparavant au Boston Globe et au Miami Herald. Son livre le plus récent est "Power Wars : The Relentless Rise of Presidential Authority and Secrecy." [ livre non traduit : La guerre du pouvoir : la montée implacable de l’autorité présidentielle et du secret NdT].

La C.I.A., citant son programme aboli de torture et des groupes comme WikiLeaks, veut que la loi protège l’identité d’un plus grand nombre d’agents et d’informateurs secrets.

Le siège social de la C.I.A. à Langley en Virginie. Un porte-parole de l’agence déclare que "la protection de l’identité des officiers contre les adversaires étrangers est cruciale."Larry Downing/Reuters

WASHINGTON - La C.I.A. pousse discrètement le Congrès à élargir considérablement la portée d’une loi qui criminalise la divulgation de l’identité d’agents secrets, suscitant l’inquiétude des défenseurs de la liberté de la presse.

L’agence propose de proroger et d’étendre une loi de 1982, la loi sur la protection de l’identité des agents du renseignement, qui criminalise l’identification des agents secrets qui ont été postés à l’étranger au cours des cinq dernières années. Selon la C.I.A., la loi s’appliquerait de façon permanente en ce qui concerne les gens dont les relations avec la communauté du renseignement sont classifiées — même si elles vivent et travaillent exclusivement sur le territoire national.

Les législateurs ont joint le texte proposé par la C.I.A. aux projets de loi sur la défense et le renseignement soumis au Congrès. Ces dispositions ont soulevé des objections parmi les défenseurs de la liberté de la presse et de la transparence gouvernementale. Les amendements potentiels au projet de loi doivent être présentés d’ici jeudi [12 Juillet, NdT] pour être pris en compte lorsqu’il arrivera à la Chambre.

Pour Emily Manna, analyste politique pour "Open the Government", un groupe de promotion de la responsabilité [Open the Government est une coalition non partisane et inclusive qui travaille à renforcer notre démocratie et à autonomiser le public en proposant des politiques qui créent un gouvernement plus ouvert, plus responsable et plus réactif, NdT], la proposition de la C.I.A. "élargit sérieusement le domaine des sanctions pénales qui pourraient être utilisées contre les journalistes, les lanceurs d’alerte et les organisations d’intérêt public. " On ouvre la porte, dans une bien plus grande mesure, aux abus et au secret ".

La proposition interdirait également l’identification des citoyens américains qui servent d’agents classifiés ou d’informateurs pour les agences de renseignement ou qui les aident de toute autre manière. Actuellement, la loi sur l’identité ne couvre que les informateurs classifiés qui résident et agissent à l’étranger.

Cette mesure visait à protéger les officiers clandestins, a déclaré Timothy Barrett, attaché de presse de la C.I.A.. Au cours des cinq dernières années, a-t-il dit, "des centaines d’agents secrets ont vu leur identité et leur couverture divulguées sans autorisation" et, en vertu de la loi actuelle, l’identité des agents qui se trouvent sur le territoire national mais qui voyagent fréquemment à l’étranger n’est pas protégée.

"Les agents de la C.I.A. se mettent en danger pour mener à bien la mission de la C.I.A., quel que soit l’endroit où ils se trouvent ", a déclaré M. Barrett. "Protéger l’identité des officiers contre les adversaires étrangers est crucial."

La C.I.A. a également soutenu que la justification initiale des législateurs pour ne protéger que les agents à l’étranger — alors qu’ils font face à un danger physique particulier — n’était "plus valable" parce que "des organisations comme WikiLeaks" sont prêtes à aller très loin pour publier des secrets gouvernementaux et, selon une copie de l’argumentaire écrit pour soutenir la proposition de l’agence obtenue par le New York Times, en raison des conséquences des révélations sur le programme aboli de torture de la C.I.A..

Pourtant, les critiques ont déclaré que le texte proposé par l’agence est trop large, couvrant des gens qui depuis des années ne sont nullement en danger à l’étranger.

Cette proposition intervient également à un moment où les avocats de la défense des commissions militaires de Guantánamo Bay, à Cuba, tentent d’identifier des témoins oculaires de sites clandestins de la C.I.A. qu’ils pourraient éventuellement joindre pour leur demander de témoigner du traitement de leurs clients, notamment dans l’affaire contre Khalid Shaikh Mohammed et quatre autres détenus accusés d’avoir contribué aux attaques du 11 septembre.

Le mois dernier, lorsque le comité sénatorial du renseignement a dévoilé son projet de loi annuel sur le renseignement, le sénateur démocrate de l’Oregon, Ron Wyden, a fait part de sa crainte, en effet la disposition voulue par la C.I.A. pourrait permettre la protection des identités secrètes de façon permanente.

"Je ne suis pas encore convaincu que cette expansion soit nécessaire et je crains qu’elle ne soit utilisée pour éviter d’avoir à rendre des comptes ".

La pression de la C.I.A. s’inscrit dans le contexte d’une forte augmentation des poursuites judiciaires contre les fonctionnaires, actuels et anciens, accusés d’avoir fourni des secrets d’état aux médias au cours des dernières années. Elle s’inscrit également dans celui de la décision sans précédent prise par le ministère de la Justice en mai dernier d’élargir la procédure pénale contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, pour y inclure des accusations relevant de la loi sur l’espionnage pour avoir sollicité, obtenu et publié des informations confidentielles —notamment des dossiers identifiant des personnes ayant aidé les Américains dans des pays à risques.

Le Congrès a promulgué la loi sur l’identité après l’assassinat en 1975 du responsable de l’agence de la C.I.A. à Athènes et la révélation de l’identité de nombreux officiers secrets par Philip Agee, ancien officier de la C.I.A. qui s’était opposé à la politique étrangère américaine.

La loi sur l’identité complète la loi sur l’espionnage qui criminalise plus largement le fait de divulguer, à une personne non autorisée, des informations potentiellement préjudiciables à la défense nationale. La loi sur l’identité est plus étroite, mais plus facile à utiliser à certains égards : les procureurs ayant alors seulement à prouver que l’identité divulguée relève de la définition du "secret".

Les procureurs n’ont que rarement utilisé la loi, mais ils ont obtenu une condamnation en vertu de cette loi dans une affaire en 1985 impliquant un greffier de la C.I.A. au Ghana et en 2012 dans l’affaire John Kiriakou, ancien officier de la C.I.A., qui a plaidé coupable pour avoir révélé à un journaliste le nom d’un agent secret impliqué dans les interrogatoires menés par l’agence.

Une autre section de la loi sur l’identité, et que les procureurs n’ont pas utilisée, pourrait s’appliquer aux journalistes dans certaines circonstances. Elle concerne les personnes de l’extérieur qui n’ont pas d’autorisation d’accès à des informations classées, mais qui cependant découvrent et divulguent des identités secrètes, "dans le cadre d’un ensemble d’activités visant à identifier et exposer des agents secrets".

Pour Steve Aftergood, expert du renseignement gouvernemental pour la Federation of American Scientists, la loi a peut être besoin d’être mise à jour en raison des progrès technologiques enregistrés depuis 1982, tel que l’arrivée d’Internet. Mais il juge la nouvelle proposition de loi prématurée.

"Je n’y vois aucune justification", précise-t-il. "Parce qu’elle affecte l’accès du public à l’information, elle exige des explications publiques et cela n’a pas été fait. Je suis prêt à me laisser convaincre, mais pas sans que cela ait été étudié"

Dans un rapport de comité de la Chambre accompagnant le projet de loi de 1982, les législateurs avaient souligné qu’ils avaient l’intention de limiter son champs d’action aux agents clandestins à l’étranger, ou aux agents qui peuvent être "temporairement aux États-Unis pour se reposer, s’entraîner ou être réaffectés" avant de retourner à l’étranger, car ils sont confrontés à des dangers particuliers.

Le rapport de 1982 disait aussi que le public devrait pouvoir débattre du cas des informateurs du renseignement vivant aux États-Unis, affirmant qu’ils "peuvent être des employés d’universités, d’églises, de médias ou d’organisations politiques. Le niveau d’implication de ces groupes dans les agences de renseignement est un sujet légitime de débat national."

Mais dans son argumentaire au Congrès, la C.I.A. précise que les changements intervenus depuis 1982, y compris les "cyber-menaces", signifient que la justification du Congrès de limiter la protection aux seuls agents à l’étranger est obsolète.

"Trente-sept ans plus tard, les menaces auxquelles font face les agents qui sont en infiltration évoluent et ne se limitent plus aux agents qui sont actuellement ou ont été récemment à l’étranger", écrit la C.I.A..

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