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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-108

À l’avenir, seuls les riches pourront échapper à la chaleur insupportable induite par le changement climatique. En Irak, c’est déjà ce qu’il se passe

Par Richard Hall, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 18 octobre 2019, par JMT

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À l’avenir, seuls les riches pourront échapper à la chaleur insupportable induite par le changement climatique. En Irak, c’est déjà ce qu’il se passe

Le samedi 10 août 2019 par Richard Hall

En juin, à Bagdad, Un Irakien utilise une douche de trottoir pour se rafraîchir pendant une vague de chaleur ("AFP/Getty")

Bagdad offre un aperçu inquiétant d’un avenir dans lequel seuls les riches sont en mesure de résister aux effets du changement climatique, écrit Richard Hall.

"Ici c’est la mort ", dit Muhammad, 17 ans, alors qu’il se réfugie derrière le comptoir de la quincaillerie où il travaille dans le centre de Bagdad. La température est de 48°C et il n’y a pas moyen d’y échapper.

L’électricité est coupée dans son quartier et il n’a pas suffisamment d’argent pour se permettre un générateur qui alimenterait un climatiseur. Et c’est plus ou moins la même chose à son domicile. "Je me réveille pendant la nuit, couvert de sueur", dit-il à voix basse. "C’est épuisant. On se sent vraiment mal avec la chaleur."

L’Irak est habitué à la chaleur étouffante de l’été, mais les quelques équipements dont disposent ses habitants pour rester au frais deviennent inabordables pour les populations pauvres du pays.

Alors que les pays européens connaissent des températures parmi les plus élevées jamais enregistrées et que les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient, Bagdad offre un aperçu inquiétant d’un avenir où seuls les riches sont équipés pour résister aux effets du changement climatique.

Un rapport des Nations Unies publié le mois dernier a prévenu que le monde se dirigeait vers un scénario d’"apartheid climatique", "par lequel les riches paieront pour fuir la chaleur excessive, la faim et les conflits alors que le reste du monde subira tout de plein fouet".

À Bagdad, c’est déjà une réalité. Par les journées à 48°C, qui arrivent maintenant plus tôt dans l’année, les climatiseurs sont le moyen le plus efficace pour rester bien au frais. Mais une crise de l’électricité dans le pays rend cet outil essentiel encore plus inaccessible pour les familles à faible revenu.

La crise - provoquée par une combinaison de corruption, de mauvaise gestion et de dysfonctionnement du réseau électrique national - a aggravé le fossé énergétique du pays. Il en découle un écart énorme entre l’offre et la demande d’électricité, surtout en été.

Un générateur diesel peut être utilisé pour combler une partie du manque de courant, mais faire fonctionner un climatiseur à partir d’un générateur est un luxe que seuls quelques uns peuvent se permettre.

" Il est impossible de prévoir le fonctionnement de l’électricité ", explique Abu Ahmed, propriétaire voisin d’un magasin de métal dans la rue de Mohammed. "Parfois à 10 h on en a et ça dure toute la journée, parfois c’est pour une heure seulement. Le climatiseur est hors de question sans le réseau gouvernemental."

Abou Ahmed paie environ 50 livres par mois pour faire fonctionner un générateur qui lui fournit quatre ampères d’électricité. C’est tout ce qu’il peut se permettre. S’il dépasse cette puissance allouée, le courant est coupé. "Je peux faire fonctionner le frigo et les lumières, c’est tout", dit-il. "Je n’arrive pas à dormir la nuit et je transpire tout le temps."

La crise de l’électricité en Irak est peut-être un problème local, mais les inégalités devant la question de se rafraîchir est un problème mondial qui risque de prendre de l’importance à mesure que les températures augmentent.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), près de 2,8 milliards de personnes vivent dans des pays où la température moyenne quotidienne est supérieure à 25 °C, et moins de 10 % d’entre elles possèdent un climatiseur. L’agence estime qu’en 2050, 1,9 milliard de personnes vivant dans des pays chauds n’auront pas accès à un climatiseur.

Le professeur Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains est l’auteur du rapport sur "l’apartheid climatique", dans lequel il affirme que la vie des individus les plus pauvres du monde sera menacée.

"Les températures records de plus en plus élevées qui seront enregistrées en Irak et dans le monde entier mettront un grand nombre d’individus vulnérables en danger mortel. Les enfants, les personnes âgées, celles qui sont déjà malades ou qui ne sont tout simplement pas très solides, risqueront de mourir à cause de canicules excessives ", dit-il à The Independent.

"La seule façon pour certaines d’entre elles d’obtenir un certain degré de protection sera la climatisation. Mais cela coûte de l’argent, tant pour le système ou l’équipement que pour l’électricité. Les personnes les plus pauvres n’auront souvent ni l’accès ni l’argent nécessaire pour avoir recours à ces moyens de soulagement."

Les villes irakiennes ont certains avantages par rapport à l’Europe lorsqu’il s’agit de faire face à des températures extrêmes. Leurs quartiers et leurs maisons ont été conçus en tenant compte de la chaleur. Les rues étroites permettent au vent de circuler et de pénétrer par les hautes fenêtres, l’air frais remonte dans les vieilles maisons depuis les sous-sols.

Comme l’ont montré les récentes vagues de chaleur à Paris, Londres et Berlin, les pays européens sont nettement moins bien préparés à faire face à ces températures élevées.

Ventilateurs exposés dans un magasin de produits pour se rafraîchir et de ventilation à Bagdad (AFP/Getty).

La température record de 38,7°C enregistrée le mois dernier au Royaume-Uni a provoqué des manchettes apocalyptiques, le chaos dans les transports et une avalanche d’avertissements du gouvernement en matière de santé - et tout ça pour de bonnes raisons.

En Europe, les températures élevées s’accompagnent généralement d’une hausse du nombre de décès, généralement chez les personnes âgées et les personnes souffrant de maladies cardiaques et pulmonaires. En 2003, une vague de chaleur a causé 70 000 décès supplémentaires sur le continent.

La commission d’audit environnemental du Parlement britannique a averti que d’ici 2050, la Grande-Bretagne devra faire face chaque année à 7 000 morts liées à la chaleur, à moins que des mesures ne soient prises. Dans l’état actuel des choses, l’Europe est mal préparée. L’AIE estime que moins de 5 % des ménages européens ont la climatisation, mais elle ajoute que celle-ci pourrait devenir d’ici quelques décennies l’un des principaux responsables de la demande mondiale en électricité .

Le Met Office du Royaume-Uni décrit les vagues de chaleur comme des " événements météorologiques extrêmes ", mais ajoute qu’avec le changement climatique, elles sont susceptibles de devenir plus fréquentes. Ses propres projections montrent que des vagues de chaleur pourraient en moyenne se produire avec une régularité biennale d’ici le milieu du siècle.

« Les enfants, les personnes âgées, celles qui sont déjà malades ou qui ne sont tout simplement pas très solides, risquent de toutes mourir d’une chaleur excessive. » mentionne le Professeur Philip Alston, auteur du rapport de l’ONU sur l’apartheid climatique

L’augmentation de la température est susceptible d’avoir également un impact sur notre façon de travailler. Selon l’Organisation internationale du travail, les prévisions les plus optimistes concernant le niveau de réchauffement se traduiraient d’ici 2030 par une réduction de 2,2 % du temps de travail mondial dûe au stress thermique, soit l’équivalent de 80 millions d’emplois à plein temps.

Mais alors que l’Europe envisage un avenir de crises climatiques, là encore, l’Irak a des années d’avance. Muhammad, le bricoleur, sait très bien comment la chaleur peut vous stopper dans votre élan. "Ce travail est facile, je ne bouge pas tant que ça. Mais il me faut un effort supplémentaire pour faire quoi que ce soit. Pour d’autres métiers, comme l’agriculture, c’est bien plus difficile."

Et alors que les pays européens auront au moins du temps et les moyens pour s’adapter, l’Irak approche rapidement de la catastrophe environnementale.

Un vendeur de rue irakien utilise un morceau de carton pour se protéger du soleil en (AFP/Getty)

En 2018, un rapport publié par un groupe d’universitaires de l’EastWest Institute et du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) décrit l’Irak comme " l’un des pays du Moyen-Orient les plus vulnérables au changement climatique ".

"Le changement climatique se manifeste actuellement par de longues périodes de canicule, des précipitations irrégulières, des températures supérieures à la moyenne et une intensité plus grande des catastrophes ", indique le rapport, ajoutant que la température annuelle moyenne du pays devrait augmenter de 2°C d’ici 2050.

Mahmoud Abdul Latif Hamed, prévisionniste météorologique et responsable de l’environnement à l’Organisation météorologique irakienne, affirme que l’Irak connaît des températures extrêmes plus tôt dans l’année.

"En 2011, la température à Bagdad a atteint 50°C en août. Nous sommes maintenant en juin et la température à Bagdad est déjà de 49°C. Cela signifie qu’il y a eu une modification de deux mois dans la lecture de la température ", dit-il. "Cinquante degrés, c’est très dangereux si vous êtes dehors. Pour les personnes précaires, c’est encore plus dangereux. Elles n’ont pas l’air conditionné pour se rafraîchir."

Voir sur le site original la vidéo : « Une tempête de poussière mortelle s’abat sur le sud de l’Irak »

Selon Hamed, il y a des choses que le gouvernement peut faire pour faire face à la chaleur extrême. "La solution idéale est de faire pousser plus de végétation, ce qui peut faire baisser les températures. Et nous devons supprimer toutes les usines et les anciennes technologies ", dit-il.

Mais en dépit de l’énorme richesse pétrolière de l’Irak, la corruption entrave les réformes et les Irakiens sont furieux. L’été dernier, des manifestations meurtrières ont éclaté dans la ville de Bassorah, dans le sud du pays, pour protester contre l’incapacité du gouvernement à fournir eau et électricité.

Le gouvernement a promis d’investir des milliards de dollars dans l’amélioration du réseau national, mais peu de gens ont remarqué la différence jusqu’à présent. Les manifestants sont de nouveau dans les rues cette année en prévision d’un autre été étouffant. "Nous nous attendons à ce que le climat futur de l’Irak soit très dangereux ", dit Hamed. "Si le problème n’est pas réglé, je m’attends à ce que le gouvernement s’effondre."

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