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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-83

Le Modèle de Propagande développé par Chomsky et Herman prédit que Facebook sera utilisé comme une arme

Par Daniel Broudy et Jeffery Klaehn, de Truthout, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 15 août 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le Modèle de Propagande développé par Chomsky et Herman prédit que Facebook sera utilisé comme une arme

Publié le 3 juin 2019 , par Daniel Broudy et Jeffery Klaehn, de Truthout

Daniel Broudy, Ph.D., est professeur de linguistique appliquée à l’Université chrétienne d’Okinawa.
Jeffery Klaehn est titulaire d’un doctorat en communication de l’Université d’Amsterdam et d’un doctorat en sociologie de l’Université de Strathclyde.

Dans un monde en ligne de discours marchandisés, les perceptions et les opinions deviennent facilement des armes BRILL / ULLSTEIN BILD VIA GETTY IMAGES

Ce qui est personnel est désormais public. Pensez à Facebook. En tant que chef de file mondial des plateformes d’interactions interpersonnelles avec un discours public au delà des frontières, Facebook jouit d’un quasi-monopole en matière de puissance miroir de la réalité.

La portée mondiale et massive de Facebook donne à la plateforme une immense influence pour façonner la perception, la prise de conscience et l’opinion du public. L’un des créateurs de la plateforme, Chamath Palihapitiya, a notamment admis que l’équipe "savait que quelque chose de mal pouvait arriver", ayant "créé des outils qui déchirent littéralement le tissu social déterminant le fonctionnement d’une société". Pourtant, bien que le public ait pris conscience du piège, cela ne change rien.

Pour une grande partie du monde industrialisé, la prégnance de la réalité sociale médiatisée dans la vie quotidienne n’a jamais été aussi importante. Les technologies de l’information et les réseaux sociaux évoluent dans des contextes politico-économiques au sein desquels les idées et l’information sont systématiquement adaptées pour satisfaire les marchés boursiers. En 2001, le chercheur et auteur Edwin Black a minutieusement expliqué comment les sociétés cotées en bourse peuvent (au propre comme au figuré) tirer le plus grand profit de l’acquisition et de la gestion des données privées au service des marchés particuliers.

En marge de prétextes altruistes tels que ses promesses de respecter les biens communs et de connecter le monde social, Facebook vend également les données des utilisateurs à des annonceurs et à d’autres institutions soucieuses de gérer l’opinion publique tout en utilisant aussi les données personnelles dans un but lucratif privé.

Ce qui est social aussi est maintenant marchandisé. Facebook est strictement orienté vers le profit maximum par la marchandisation des données des utilisateurs. Ainsi, le New York Times a expliqué en détail comment Facebook a permis à ses grands partenaires technologiques de violer les règles de confidentialité pour recueillir les données des utilisateurs.

De plus, la nature même des médias sociaux corporatifs a conduit les utilisateurs à devenir des acteurs actifs du marché, des produits à vendre. Comme le souligne Robert McChesney, professeur et théoricien des médias, dans une interview accordée à C-SPAN : "Tout ce que nous faisons en ligne est connu des vendeurs commerciaux et du gouvernement jusqu’au point où il le souhaite. Nous n’avons absolument aucune vie privée."

Facebook est strictement orienté vers le profit total dans la marchandisation des données des utilisateurs.

Aucun être humain sensé ne veut réellement être intégré dans la singularité de l’IA, transformé en cobaye, espionné, ou voir ses interactions privées emballées et vendues. Nous sommes conditionnés à croire que toute résistance à cette marche en avant est futile. Alors, comment les citoyens numériques de Facebook, qui rassemble aujourd’hui 2,3 milliards de personnes, pourraient-ils mieux percevoir et comprendre le pouvoir immense qu’a cette entreprise sur leurs opinions et leur liberté d’échanger des idées - le fondement même de la liberté ? Un modèle conceptuel de la fin des années 1980 peut contribuer à distinguer les capacités déconcertantes de ce monstre antisocial.

Un modèle façonné pour s’adapter à l’ère des médias de masse

Introduit pour la première fois dans "La fabrique du consentement : Gestion politique des médias de masse" (1988), le "Modèle de Propagande" concernant la performance médiatique d’Edward S. Herman et Noam Chomsky situe superbement l’air du temps technologique de notre époque. Le modèle est une représentation de la façon dont les grands médias d’une économie de marché trient la matière brute des informations qu’il convient d’imprimer ou de diffuser - ce qu’il en reste répand le statu quo socio-économique dans les sociétés dites démocratiques. A partir du moment où la " démocratie " implique la pratique civilisée de résoudre les différends par le débat public entre les groupes et les classes, Herman et Chomsky font le postulat que cinq grands filtres (propriété, taille et orientation lucrative des médias dominants ; publicité ; sélection des sources ; critiques ; idéologies dominantes, peur, autres) fonctionnent pour " fabriquer le consentement ".

Pourquoi de tels efforts seraient-ils même nécessaires ? Comme le fait remarquer le chercheur et auteur Tim Coles dans un entretien pour Renegade Inc., l’un des objectifs de la propagande est "de détourner le public de ses propres intérêts", il est donc naturel que "toutes les fois que les gens au pouvoir vous disent que les fake news minent la démocratie, ce qu’ils veulent vraiment dire est que des sources d’information alternatives mettent en question leur mainmise sur le pouvoir [choix éditorial de traduction de ne pas traduire Fake news, suffisamment clair, NdT]".

Depuis que des termes tels que "fake news" et "contrôler le récit" se sont largement répandus en cette époque Trump, la pertinence et l’importance du Modèle de propagande deviennent évidentes dans le discours public actuel et la marchandisation incontrôlée.

Étant donné que les annonceurs sont l’une des principales menaces à la vie privée, il n’est pas surprenant que les partenaires de Facebook soient très contestables.

Les citoyens qui sont assez téméraires pour rejeter le discours dominant officiellement approuvé sur Facebook sont les premiers à observer la façon dont leurs propres interactions en ligne sont activement remaniées (ou filtrées) par les contrôleurs des médias et les propagandistes. Quoi qu’ils fassent cependant, ceux qui ont le pouvoir de filtrer les contenus des médias ne peuvent pas contrôler à cent pour cent la perception d’un nombre croissant de participants qui critiquent courageusement les mythes du courant dominant sur les plateformes de réseaux sociaux comme Facebook.

Les filtres hypothétiques que Herman et Chomsky décrivent dans leur livre mettent en effet en évidence ces mécanismes réels de contrôle.

Concernant la production, le flux et le contrôle de l’information, Facebook est le propriétaire (premier filtre) et vend aux annonceurs (deuxième filtre) le contenu que ses participants génèrent et avec lequel ils interagissent. Comme le rapporte BuzzFeed, Facebook exploite gratuitement les données personnelles des utilisateurs. Au-delà de son "partenariat" avec divers titans de la propagande, il siège désormais au Conseil de l’Atlantique [L’Atlantic Council est un think tank américain spécialisé dans les relations internationales. Il constitue un forum pour des leaders internationaux dans les domaines politiques, d’affaires et intellectuels, NdT], ce qui démontre la nécessité du troisième filtre : Facebook a été "entraîné dans une relation symbiotique avec de puissantes sources d’information par nécessité économique et réciprocité d’intérêts". Réfrénez votre envie urgente d’une autre dose de dopamine et grattez le vernis séduisant de l’interface de la plateforme pour découvrir la réalité sur l’autre étrange partenariat de Facebook avec ses tout derniers " vérificateurs de fake news ", comme par exemple le site web de droite The Daily Caller financé, par Koch.

Facebook prévoit en outre "de capturer des données sur tout le monde, que vous utilisiez Facebook ou pas". La direction de Facebook est également la machine à critiques intégrée au système (quatrième filtre) - une sorte de flic de la plate forme qui discipline les utilisateurs et les médias alternatifs qui ne se soumettraient pas aux algorithmes destinés à filtrer les opinions divergentes.

En tant que commentatrice des nouvelles technologies et de leurs utilisations, Kim Komando, dans sa brève description des efforts de Facebook, a analysé chacun des filtres du Modèle de propagande. Peut-être en raison des origines surprenantes de ses sources de financement occultes, Facebook reste ouvert à des arrangements saisissants avec nombre d’agences gouvernementales et services de renseignements non gouvernementaux, qui souhaitent eux aussi passer au crible les contenus et autres données personnelles pour une surveillance pseudo-officielle du discours public visant à déceler d’éventuelles menaces idéologiques contre son système (cinquième filtre).

L’information peut éclairer et démocratiser. Elle peut tout aussi bien emprisonner et entraver les intérêts du bien commun.

Compte tenu des forces économiques exercées par les flux de financement de la stratégie de socialisation Facebook, les participants qui interagissent dans ces paysages servent à la fois de producteurs et de produits.

Étant donné que la volonté des annonceurs de traquer toutes les activités sur la toile représente l’une des principales menaces à la vie privée, il n’est pas surprenant que les partenaires de Facebook soient très contestables.

Il s’avère que WPP, la plus grande agence de publicité au monde, reçoit le soutien d’In-Q-Tel, un fonds d’investissement de la CIA qui développe des outils qui scrutent les réseaux sociaux sur la toile à la recherche de données pertinentes. [WPP est une entreprise, cotée à la bourse de Londres, qui regroupe des agences de publicité et de communication. C’est le plus important réseau d’agences de publicité et de communication mondial et emploie environ 179 000 personnes dans 3 000 bureaux à travers 111 pays, NdT]

L’embauche par Facebook de Jennifer Newstead, qui a contribué à l’élaboration de directives de surveillance électroniques de plus en plus sévères dans le cadre du PATRIOT Act sous l’administration Bush, a récemment exacerbé les préoccupations au sujet de la protection de la vie privée.

Comme le précise Komando, le pouvoir explicatif du Modèle de Propagande pour décortiquer ce style d’obscures machinations, permet de comprendre les raisons pour lesquelles, la partie la plus déterminante de "ce plan est de rester complètement occulte sur la nature des données collectées, l’identité des personnes qui y ont accès, et le type de profil qu’ils en tirent vous concernant".

Comme l’explique le Modèle de propagande de Herman et Chomsky, ces mécanismes de contrôle ne devraient-ils pas aujourd’hui faire partie de tout débat public sur la performance des médias ? Ou devrions-nous simplement nous contenter de termes vagues comme "fake news" et "contrôler le récit" ? Devrions-nous continuer de prétendre que les pratiques de légitimation et de mystification n’ont plus cours, ou que les structures de propriété et de publicité ne sont plus pertinentes ?

Dans notre monde contemporain, que Marshall Mc Luhan, théoricien des médias imaginait comme un "village global" où "tout le monde pouvait à tout moment prendre connaissance de tout", ce qui relève du personnel est de plus en plus public, et l’information devient souveraine dans sa suprématie, un monde d’illusions très efficaces qui se prétendent réelles et porteuses de sens.

Aujourd’hui, l’information peut éclairer et démocratiser. Elle peut tout aussi bien emprisonner et entraver les intérêts du bien commun. Les processus de standardisation et de marchandisation décrits ici sont soutenus par un système en grande partie contrôlé par Facebook, Google, Microsoft, Apple et Amazon, qui monopolisent le discours privatisé et commercialisé. L’émergence d’un tel pouvoir n’a rien de naturel.

Mais le discours interpersonnel et public peut-il être libéré des filtres de la standardisation ? La sécurité de ces prisons est à la hauteur de la conscience qu’ont les citoyens des chambres d’écho dans lesquelles elles nous maintiennent. Le Modèle de Propagande est une clé utile pour éveiller une conscience plus large de ces forces qui déterminent le contenu et le fonctionnement des médias. Il appartient à chacun de nous d’utiliser ses propres capacités d’observation pour constater le filtrage et la construction méthodique de notre réalité médiatique de masse, un monde d’illusions très efficaces qui se prétendent réelles et porteuses de sens.

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