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Première séance d’un mini cycle de 2

CAFECO 238 - "Deux degrés avant la fin du monde"

par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

mercredi 18 avril 2018, par JMT

RDV à « L’ArbraDélis’ » Mercredi 25 Avril 2018 de 18h à 20h30, 1 Place Sarda Garriga (Barachois) Tel 0262 56.96.22.

Repas partagé ensuite pour ceux qui désirent continuer à échanger

L’ARBRADELIS’

AFFICHE A4

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du Vendredi 20 Avril 2018 - 08:23

* Courrier des lecteurs d’Imaz-Press Réunion

* Courrier des lecteurs du QUOTIDIEN

PRESENTATION

Le changement climatique, l’impuissance de l’ONU, les noeuds dans notre cerveau pour changer de modèle et rendre notre Terre plus vivable... Ce film de 80 mn tourné au moment de la COP21 nous permet de voir le chemin parcouru par le monde dans sa lutte contre le changement climatique en deux ans. Un documentaire de plus sur les modifications climatiques et ses conséquences, me direz-vous.

Certes, mais d’abord il n’est jamais inutile de répéter les risques qu’encourt la vie sur cette bonne vieille Terre depuis l’ère anthropocène.

Ensuite l’intérêt de ce mini-cycle de deux conférences, la deuxième, dans 15 jours, le mercredi 9 mai, sur la surpopulation, nous permet de comparer l’ambitieuse COP21 avec le désastre de la COP23 à Bonn, à la fin 2017.

Enfin, cela permet toujours un débat de haute qualité, puisque le sujet, sans cesse rebattu, permet aux échangeurs de se cultiver sur le sujet, et d’apporter un peu de grain à moudre dans cette lutte. D’ailleurs, on pourrait dès ce soir en faire une idée à développer : que peut-on faire à notre petite échelle réunionnaise ?

Alors rendez-vous le 25 avril à l’Arbradélis à 18 heures pour un débat dans la bonne humeur et la convivialité sur ce sujet grave entre tous.

VIDEO

* sur Youtube : « Deux Degrés avant la fin du monde »

Le changement climatique, l’impuissance de l’ONU, les noeuds dans notre cerveau pour changer de modèle et rendre notre Terre plus vivable...Tout ça en data, interview, graphisme et reportage, ça valait bien 90 minutes de #Datagueule spécial. (en fait 1:22:02)

SOMMAIRE : 0:00 Crédits 0:07 En mode Mozinor 1:31 Début 6:57 Gilles Boeuf - Biologiste 10:37 Jose Luis Zambonino - Biologiste Ifremer 13:06 Jean Jouzel - GIEC 14:10 G. W. Bush - Pdt US 2004-2008 23:39 Lucile Martens - Chercheuse 24:22 “C’est clair ?!” 26:46 Laurent Fabius - Pdt de conf. COP21 France 28:35 Pascal Canfin - Conseiller WRI 32:45 Anabella Rosemberg - Conf. Syndicale Internationale 32:55 Jean-François Juilliard - Greenpeace France 34:09 Armelle Le Comte - Oxfam France 34:41 “Sorry… !” 37:50 Al Gore - Vice-Pdt US 1993-2001 40:42 Agnes Sinaï - Journaliste (et présidente Institut Momentum) 42:19 Mr Poulpe - Pub 44:26 Dominique Bourg - Philosophe Lausanne 50:36 Etienne Koechlin - Inserm 53:26 Mr Poulpe - Témoignage 57:09 François Taddeï - Enseignant chercheur 1:02:08 Jean-François Caron - Maire EELV de Loos-en-Gohelle 1:04:11 *Salut Michel ! 1:04:24 Pierre Damageux - Agriculteur Bio Loos-en-Gohelle 1:05:10 Christian Traisnel - Drt CD2E 1:05:46 Remi Chimot - Anim. ‘Chaîne des Terrils’ 1:07:26 *Apéro ?! 1:07:35 Jocelyne Niemiec - Habit. Loos-en-Gohelle 1:07:59 “Allez j’y vais !” 1:08:47 Romain Felli - Enseignant chercheur Genève 1:13:11 Razmig Keucheyan - Sociologue 1:18:36 Vandana Shiva - Philosophe Inde 1:21:14 Générique de fin Un grand merci à Spiréal, Montcuq, TerraNova et Azarias92 du site www.ncvostfr.com

* Site du script

Bonjour, et bienvenue dans ce documentaire.

La COP 21, c’est génial ! Tous ensembles, on va régler tous les problèmes. On va sauver la planète Terre. Et ça va être extraordinaire ! En une semaine, on va tout changer. Enfin, nous on n’est pas invités... Mais je fais vraiment confiance aux industriels, et aux gouvernants, et aux industriels, pour avancer ensemble main dans la main. Une nouvelle ère s’ouvre devant nous. Ils vont tous venir dans des très gros avions. Nos dirigeants vont prendre des décisions déterminantes. Mais pas trop déterminantes quand même. Bah oui, pas trop ! Faut être réaliste. Ne faut pas trop bouleverser l’économie, bien sûr. On doit continuer à consommer toujours plus, c’est normal. Ben ouais, faut pas déconner ! On va se redire des trucs qu’on se dit depuis 15 ans et qu’on va appliquer dans 30 ans. Ça va être génial ! Si tous les acteurs économiques et tous les États sont d’accord. Bien évidemment ! Oui, faut avant tout que tout le monde soit content. Ça va être réellement incroyable. Ils vont absolument tout changer. Mais vous y croyez, vous ? Tous ensembles ! On va faire n’importe quoi ! Et sinon, ça serait possible de regarder ce documentaire ? Merci !

Quand la bouilloire siffle, c’est que l’eau est chaude. 2°C d’augmentation d’ici 2100, voilà l’objectif à ne pas dépasser. 2 petits degrés par rapport aux températures moyennes relevées lors des premières mesures modernes en 1880. Sauf qu’entre 1880 et 2012, la température du globe a déjà augmenté de 0,85°C. Et oui, le changement c’est maintenant ! Il ne nous reste donc qu’un crédit de 1,15°C. Et pour une fois, en matière de croissance, celle des températures est fulgurante. 60% de la hausse des températures depuis 1880 s’est concentré sur les 40 dernières années. Depuis 1875, l’Arctique s’est même réchauffé 2 fois plus vite que le reste de la planète avec une hausse de 1°C. La vie est injuste !

Désormais, chaque année, les records de température mensuelle sont battus 3 fois plus souvent que si le climat était stable. Notre cher 21 siècle compte déjà à lui seul 13 des 14 années les plus chaudes jamais enregistrées En Australie, depuis 2013, le bureau météorologique a même dû rajouter une couleur : ce violet incandescent permet désormais ne signaler les températures au-delà des 50°C. Et ce petit coup de chaud modifie en profondeur la machine terrestre. Il y a les données spectaculaires comme celles des catastrophes naturelles. Depuis les années 1960, elles ont plus que triplé. Puis, il y a celles plus quotidiennes... Entre 1960 et 2013, les rendements de production ont chuté de 2% pour le blé et de 1,2% pour le maïs. Moins de nourriture pour une population en pleine croissance, ça risque de poser quelques problèmes. La hausse des températures est aussi problématique pour notre système énergétique. En France, 61% des prélèvements d’eau douce servent à refroidir nos centrales nucléaires. Or quand les eaux de surfaces se réchauffent, les centrales aussi. Lors de la canicule de 2003, 17 réacteurs ont été ralentis ou arrêtés. Soit 4 GigaWatts d’électricité en moins. 3,5% de la capacité totale de production française. Été 2009, nouveau coup de chaud. Et cette fois-ci, 8 GW de puissance en moins.

Mais piquons une tête pour nous rafraîchir ! Entre 1901 et 2010, le niveau des océans a augmenté de 20cm. Comme pour les températures, le phénomène s’accélère. Alors que le rythme moyen était de 1,7mm/an depuis les années 1900, entre 1993 et 2010, il a presque doublé, passant à 3,2mm/an. Et le système terrestre est un petit blagueur. Admettons que nous stoppions toute émission de gaz à effet de serre dans 3 secondes. 3. 2. 1. Maintenant ! Et bien l’augmentation des températures à la surface du globe ne commencerait à ralentir que dans 10 ans... à minima. Car les océans qui capturent l’essentiel du réchauffement continueraient à relâcher en surface une partie de la chaleur accumulée. La température des eaux profondes, elle, pourrait augmenter pendant des siècles, voir des millénaires. Et comme en devenant plus chaude l’eau se dilate, le niveau des océans continuerait à monter inexorablement. Et ne compter pas sur les forêts pour changer la donne ! La sur-abondance de CO2 dans l’atmosphère mène les arbres à l’overdose. Depuis le milieu des années 1980, dans ce grand poumon qu’est la forêt amazonienne, leur mortalité aurait augmenté de 1/3. De façon plus générale, entre 1959 et 2012, le taux d’absorption des puits de carbone naturel, que sont les océans et les forêts, aurait chuté de 1/3. Aujourd’hui, la question n’est plus d’éviter le péril environnemental comme un trou sur la route. Mais bien de s’adapter en trouvant d’autres voies plus praticables. Dites "bonjour" au changement climatique, car il est déjà là !

Citoyen(en)s : C’est vrai qu’on ne le perçoit pas vraiment au quotidien. Nous directement, ça ne nous touche pas directement. Moi, je ne suis pas plus chaud qu’avant ! Je ne suis pas beaucoup plus chaud, je l’avoue. En fait, c’est pas vraiment la première fois que je vois ce genre de truc. Nicolas Hulot, Ushuaïa et ces conneries là, on les connaît depuis longtemps et c’est juste que.... le temps passe et on ne voit pas plus de changement, en fait. Moi j’ai juste l’impression que ça fait 20 ans, depuis que je suis née, que j’entends la même chose. Moi justement, j’ai vu des différences de comportement. Mais finalement, on n’avance jamais. Mes parents, ils étaient déjà conscients de ça, avant ma naissance ! On le sait mais au final, il n’y a pas vraiment plus de gens qui prêtent attention à ça. Je n’ai pas senti de réchauffement. Ou plus de tempêtes. Tout ça, je ne le ressens pas. On entend un peu tout, mais on ne connait pas les faits spécifiques.

Les faits spécifiques... Du concret... Du palpable... Comme l’écorce de ces arbres. Ou le manteau rouge de cette femme. Si nous, bien au chaud dans nos habits d’occidentaux, nous ne ressentons rien. Alors qui perçoit ce changement climatique ? À l’échelle de la planète, nous ne sommes qu’une espèce parmi des millions. Et si, parmi ces espèces, d’autres habitants du globe avaient des histoires de climat à nous raconter ?

Gilles Boeuf : D’abord, ce qu’il faut dire, c’est que le climat a toujours changé. Aujourd’hui, on connaît 2 millions d’espèces vivantes sur la Terre. Si elles sont là, c’est grâce au climat qui a changé. Sinon, on aurait quelques espèces marines et quelques espèces continentales. Le problème actuel, c’est que le climat change trop vite. Il dit souvent que dans les sept grandes plaies écologiques d’aujourd’hui, la seule sur laquelle on puisse plus acter, c’est le changement climatique. Il est parti. On intervient trop tard. Le CO2 qu’on a émis depuis trois siècles est là. Donc, ce qu’il faut, c’est qu’on limite les dégâts aujourd’hui. Que le climat change, la planète, elle en a rien à faire du climat qui change ! C’est nous qui avons des problèmes aujourd’hui sur la planète. Ça veut dire que le principal révélateur du changement climatique, c’est le vivant. Qu’est-ce que fait le vivant ? Le vivant mobile, donc les animaux, réagissent par la migration. Ici, on est dans une pièce. Si brusquement, ça ne va plus... Il fait trop chaud, trop froid, ça sent pas bon. Qu’est-ce qu’on fait ?

On s’en va. C’est ce qu’ils font. Le climat, c’est vrai en mer et sur terre, change d’environ 200 kilomètres tous les 10 ans. Tous les 10 ans, il faut qu’ils soient dans l’hémisphère nord 200 kilomètres plus au nord. Et dans l’hémisphère sud, 200 kilomètres plus au sud. Alors, on a des cas fabuleux, comme sur les mésanges. Dans le sud de la France, elles migrent vers le Nord. Le problème, c’est qu’elles arrivent dans des endroits où ils font leurs bébés. On est au printemps. Les chenilles sont pas arrivées. Donc on a des grosses mortalités sur les bébés des mésanges. On a des cas inverses, où les papillons sont déjà là, les chenilles sont là, les oiseaux sont pas encore arrivés. Un problème qui est assez grave, c’est de voir que la déconnexion entre les proies / prédateurs en relation avec ces températures qui changent. C’est le cas des grands manchots empereurs. Où les fronts thermiques en mer étant beaucoup plus au large, font que la maman revient un peu trop tard. Vous savez que la maman mange de la faune aquatique, la garde dans son estomac sans la digérer, et la restitue au bébé en arrivant. Et là, elle revient trois jours trop tard ou quatre jours trop tard. Les mâles, qui couvaient les oeufs en attendant, sont déjà partis. Donc des taux de mortalité qui peuvent être effroyables ! C’est l’histoire de quelques jours en fait.

Et souvent, quand on parle de températures qui changent ou de climat qui change... De très faibles températures qui changent peuvent avoir des effets absolument considérables. La question aujourd’hui, c’est s’adapter au manque d’eau, aux sécheresses terribles qui sont associées au changement climatique, et à la température qui varie. Donc les animaux migrent. Les plantes migrent. On le voit très bien sur les fleurs. La fructification change aussi. Les fruits ne sont plus du tout à la même époque. Vous ramassez vos pruneaux à Agen pas du tout comme avant. La vigne, la vendange n’est pas comme on l’a faisait avant. La vigne est contrainte par l’activité humaine. Mais, c’est clair que demain, on va avoir des remontées de vignobles vers le Nord. Ou alors, ce qu’on voit très nettement avec le changement climatique, c’est ce qu’on appelle la phénologie. C’est que ce climat contraint les vendangeurs à travailler un mois plus tôt. Et les viticulteurs estiment que pour l’instant, ils pourront suivre le système, uniquement en avançant la date de vendange.

Un jour, ça ne marchera plus. Comment on fera quand on devra déplacer les vignes ou changer les cépages des vignes ? Pour trouver des cépages du Sud mieux adaptés dans des régions, où effectivement le climat aura changé. Ce qu’on observe très clairement aujourd’hui, c’est que ces migrations sont nettement engagées. C’est très clair chez les oiseaux, chez les papillons. Qui bougent bien. Chez les mammifères aussi. Et chez les poissons, c’est spectaculaire aussi. C’est Gould qui disait : dans l’évolution, vous avez de très longues périodes durant laquelle il ne se passe pas grand-chose. Parce que ça ne change pas. Et quand ça change, ça oblige le vivant à réagir. Donc l’humain oblige en ce moment le vivant à réagir. Mais ça va trop vite, et comme il détruit les écosystèmes au fur et à mesure, notre histoire, elle risque de mal se terminer finalement.

Jose Luis Zambonino : Je pense qu’on prend pas conscience du fait que les effets du changement climatique sont en train de se passer actuellement. On a tendance à s’attendre à voir des choses très spectaculaires. Et finalement, ce que l’on voit, ce que l’on mesure, c’est que des phénomènes qui passent complètement inaperçus sont en train de se produire. Et ils ont des effets sur la faune, aquatique en particulier.

Les poissons sont des echtothermes. Ils sont sensibles à la température extérieure. Et donc, de ce fait, si la température dépasse un certain seuil, l’animal va commencer à fonctionner beaucoup moins bien. Le loup, en Méditerranée les gens le connaisse plutôt sous ce nom-là. Eh bien, globalement, dès qu’on dépasse les 17°C pendant la phase larvaire, pendant les très jeunes stades, on va avoir une proportion de mâles beaucoup plus importante. On arrive à 80% de mâles. On va se retrouver à avoir une population diminuée du fait de l’absence de femelles. Et bien entendu, la génération future va se retrouver impactée.

Je pense que ces phénomènes seront de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses. Si les personnes prenaient conscience du fait que c’est en train de se produire. On sait très bien qu’actuellement, même si on arrête tout, tout ne va pas forcément revenir comme avant. Et donc cette prise de conscience, à mon sens, est très importante. Parce que beaucoup de personnes n’ont pas forcément conscience que tout est en train de changer à l’heure actuelle.

Tout change. Le constat est là. Et après ? Nous semblons si intelligents au milieu de ces squelettes. Le regard fier du haut de notre piédestal. Au sommet de notre évolution. Nos cerveaux, bien faits, ont produit une science qui démontre notre rôle dans la situation climatique actuelle. Mais nos oreilles... Sont-elles bien entendues ?

On sait tous qu’il y a un changement climatique, un réchauffement. Mais on ne connait pas, on ne peut pas quantifier. Il y a toujours eu des phases dans le monde et... peut-être qu’on va vers un truc qui nous attend de toute façon. Qu’on l’a peut-être un eu accéléré ou j’en sais rien...

Jean Jouzel : La température augmente, mais il y a une relation directe entre les activités humaines et ce réchauffement. Il faut regarder ce qui est d’origine naturelle. On voit que dans le réchauffement récent, on peut expliquer 1/10ème de degré par la variation de l’activité solaire, par la variation de l’activité volcanique... Tandis que ce qu’on observe, c’est-à-dire 2/3 de degré, on peut l’expliquer complètement par les activités humaines. Qu’est-ce qu’il s’est passé dans les années 80 ? Les scientifiques poussent un cri d’alarme. Ils disent que si on continue à émettre des gaz à effet de serre, on irait, au milieu des années 2000, vers des réchauffements de quelques degrés. Avec des conséquences importantes. On en est toujours là d’ailleurs hein... On a à peu près le même message. Ça s’est passé rapidement entre les résultats scientifiques dans les années 80 le GIEC 88, premier rapport 90, la convention sur le climat se met en ordre de marche en 95, et à la troisième COP, il y a des décisions qui sont prises par les politiques.

Là où le bât blesse, c’est qu’après, nous sommes rentrés dans l’ère Bush fils. "Si on avait ratifié le traité de Kyoto, ça aurait coûté beaucoup d’emplois à l’Amérique. C’est un de ces deals qui vise à vous rendre populaire dans les cours d’Europe. Alors vous signez un traité. Mais je pense que ça va nous coûter trop cher. Depuis que je suis élu, l’air est beaucoup plus pur. Je pense qu’il y a une meilleure manière de faire les choses. Je pense vraiment que pour ne pas perdre le confort de vie auquel nous sommes habitués, et aussi pour protéger l’environnement, il faut mettre de l’argent dans les nouvelles technologies."

Le fait que les Etats-Unis se soient retirés du protocole de Kyoto, n’y soit pas vraiment entré, a été extrêmement dommageable. Parce qu’il est presque trop tard par rapport à l’objectif 2°C. Le réchauffement climatique va avoir des impacts très importants. Si rien n’était fait pour lutter contre le réchauffement climatique, nous aurions des réchauffements de 4 à 5°C à la fin du siècle et qui se poursuivrait par la suite. Jusqu’à 6-7°C à la fin du siècle prochain. Et des conséquences dans tous les domaines : l’acidification de l’océan, la perte des récifs coralliens, tous ces problèmes d’extrêmes climatiques qui seraient à l’origine de plus de désastres. Les problèmes de réfugiés climatiques, de ressources en eau, de sécurité alimentaire, de sécurité aussi.

On voit bien que beaucoup de tensions peuvent naître de l’accès à l’eau, d’une compétition pour l’accès à l’eau entre des pays. Les problèmes comme la biodiversité, la perte de biodiversité serait exacerbée. La pollution également, les rendements agricoles seraient diminués. Les écosystèmes naturels seraient modifiés. Bien sûr, il y a des phénomènes irréversibles... Comme l’élévation du niveau de la mer. Peut-être jusqu’à un mètre à la fin du siècle. Voir plus par la suite...

Donc on voit bien que ce monde à 4-5°C nous emmènerait vers un monde où tous les indicateurs sont au rouge. Où que l’on regarde, nous-mêmes, les animaux, la faune, la flore qui nous entoure. Tout est là pour nous dire que c’est un monde vers lequel il ne faut pas aller. Cet objectif de limiter le réchauffement climatique à long terme, que le réchauffement climatique lié aux activités humaines n’excèdent jamais deux degrés par rapport au préindustriel, c’est un véritable défi. Le problème actuellement, c’est entre ce constat qui est partagé entre le monde scientifique et le monde politique, et puis l’action. Là où ça va pas, c’est comment on met tout ça en action. C’est toujours possible, mais il est quand même un peu trop tard si on veut qu’à long terme, on respecte cet objectif 2°C.

On est quand même une civilisation humaine, on va vers notre déclin et là on voit très clairement qu’on touche au bout des capacités de la planète pour le moment. Y’à un moment où ça suffira, ça suffira... On va finir par s’auto-détruire nous-mêmes. On est tellement partis loin dans l’évolution, dans la nouveauté et dans les nouvelles choses qu’on est parti dans quelque chose qu’on ne maitrise plus et... Il faudrait retourner en arrière ! On sait que ce système n’était pas censé durer sur le long terme. Et je ne pense pas qu’il va durer longtemps. Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’on fait... qu’on analyse que les causes finales. On ne fait pas les origines en fait. On n’essaie pas de déterminer ce qui pollue le plus et du coup par rapport à ça, qu’est-ce qu’on pourrait vraiment faire pour que ça réduise au maximum.

Depuis des centaines de millions d’années, sous terre, le bois se fossilise pour donner du charbon. Et des milliards de micro-organismes s’y transforment en gaz ou en pétrole. Un paisible processus naturel. Cyclique. Imperturbable. Ou presque... Jusqu’aux premiers coups de pioche humains, puis une explosion, un forage, et bien d’autres techniques. Place à la chasse aux fossiles. La nature a longtemps résisté. Jusqu’au XVIIIème siècle, le charbon coûte cher car les mines sont en permanence noyées. Mais en 1712, c’est l’étincelle. L’ingénieur anglais Thomas Newcomen conçoit une machine qui en brûlant du charbon, actionne une pompe, permettant d’assécher les galeries des mines. Il donne à cet ancêtre de la machine à vapeur un nom prophétique : le moteur atmosphérique.

Bienvenue dans une nouvelle ère. Le précieux charbon, plus accessible, devient moins cher. Entre 1794 et 1814, sa production en France est multipliée par 3. Grâce à lui, le fer se transforme en acier, qui, coulé en rails, donne naissance aux premiers chemins de fer. En Angleterre, la vapeur des locomotives se propage jusqu’aux bateaux de la marine britannique, qui reviennent d’Inde, chargés de coton. De quoi alimenter les manufactures, fraichement bâties. Dans les fumées du charbon, le tissage à la main disparaît. Les machines sont plus rapides et plus productives. L’extraction du charbon a ouvert la voie. Aux Etats-Unis, dès le milieu du XIXème siècle, on creuse également le sol pour extraire du soufre. À grands coups d’eau à très haute température. Et grâce à ce soufre, l’industrie chimique accède aux précieux phosphates, permettant de créer les premiers fertilisants industriels. Les rendements agricoles peuvent enfin exploser.

Aujourd’hui, 80% de la déforestation est directement liée à l’agriculture, détruisant du même coup les puits capables d’absorber nos excès carbonés. Mais la mode est lancée. Les usines poussent comme des champignons, produisant toujours plus de biens de consommation qu’il faut écouler. Et histoire de bien huiler la machine, les banques fournissent un autre carburant. Dans les années 1920, nait le crédit à la consommation. En 1926, plus de 30% des ménages américains disposent de cette coûteuse invention qu’est la voiture. Les 2/3 sont achetées à crédit. La Seconde Guerre Mondiale enfonce le clou de la surproduction. Pour soutenir l’effort de guerre, les usines tournent à plein régime. Et les armées avalent des quantités considérables d’énergie fossile. Entre la Première et la Seconde Guerre Mondiale, la consommation d’énergie du soldat américain moyen a été multipliée par 228. Au sortir de la guerre, le volume du pétrole transporté dans les pipelines américains a été multiplié par 5. Maintenant que les infrastructures sont là, pour les rentabiliser, il va falloir trouver un remplaçant à l’effort de guerre.

Bonjour la consommation de masse. Ainsi, au fil du temps, depuis le moteur atmosphérique, les outils de forage se sont modernisés, libérant des torrents de nouveaux combustibles. Pétrole et gaz qui alimentent aujourd’hui chaque seconde de nos vies. Impossible d’acheter des cerises en hiver ou des écrans plats dernier cri sans ces porte-conteneurs longs comme des immeubles de 100 étages. Ils sillonnent les murs sous l’impulsion de groupes électrogènes, produisant assez d’électricité pour alimenter 15 000 habitants. Avec du fuel, évidemment.

Loin d’être une solution miracle, la high-tech échauffe de plus en plus le climat. 10 minutes de vidéo sur Youtube pèse 1g de CO2. Et chaque recherche Google, quelques centigrammes. C’est peu de choses. Sauf qu’avec la mondialisation de ces usages, l’infrastructure numérique produirait aujourd’hui 2% des émissions de gaz à effet de serre. Autant que les lignes aériennes qui quadrillent la planète. Et les fossiles arrivent jusque dans nos assiettes. À coup de steaks, de burgers et de yaourts, les ruminants et leurs produits laitiers rejettent à eux seuls chaque année 5,7 milliards de tonnes d’équivalent-CO2. La moitié provient du méthane de leurs pets et de leurs rots. Et un quart est dû à l’usage de pesticides sur les champs où poussent leurs nourritures.

Aujourd’hui, plus de 80% de l’énergie qui fait tourner notre Monde provient toujours du charbon, du pétrole et du gaz. Depuis le début de la Révolution industrielle, les 2/3 de ces émissions ont été produites par seulement 90 entreprises. Avec au premier rang, les producteurs de pétrole comme Chevron, Exxon, BP ou Shell. Du coup, le mythe reste. Ces fossiles nous offrent le rêve d’un confort universel et bon marché. Nos étiquettes discount sont suffisamment larges pour masquer une réalité aussi sombre qu’un puits de pétrole. En 200 ans, nous avons vidé quasiment tous les gisements les plus accessibles. Les pétroliers s’attaquent à de nouvelles réserves. Mais comme elles sont plus difficiles à exploiter, elles sont forcément plus gourmandes en énergie.

Dans les années 1950, il fallait brûler un baril de pétrole d’énergie pour extraire 50 barils de pétrole brut. Désormais, il faut consommer 12 fois plus d’énergie pour extraire la même quantité de pétrole des couches de schistes ou des sables bitumineux. Mais heureusement, le réchauffement climatique, provoqué par nos émissions de CO2, va nous donner accès à de nouveaux gisements, pour continuer à émettre toujours plus. Au Pôle Nord, à raison d’un recul moyen de la banquise de 13,4% par décennie, l’Arctique se transforme progressivement en un banal océan. Et, à quelques centaines de mètres sous cette nouvelle étendue liquide, les géologues ont déjà identifiés 400 gisements d’hydrocarbures, renfermant environ 40 milliards de barils de pétrole et plus de 30 000 milliards de m3 de gaz. Alors, on refait le plein, non ?

Voilà tout notre confort résumé en un paradoxe. On aime ce mode de vie qui ronge la planète. Mais ce confort moderne, combien de temps va-t-il durer ? Ça peut nous sembler encore lointain le changement climatique, les histoires d’oiseaux, de manchots et de fonte des glaces... Mais peut-être que les conséquences sont déjà bien plus proches que nous ne l’imaginons...

Lucile Maertens : Aujourd’hui, on peut définir finalement l’insécurité climatique autour de 3 grandes dimensions : la première dimension, ce serait que le changement climatique a un impact sur la disponibilité des ressources naturelles et sur l’intégrité territoriale. Et donc conduirait à des conflits, des tensions entre les Etats, et à l’intérieur des Etats. La deuxième dimension, ce serait que le changement climatique, au quotidien, exacerbe la vulnérabilité de populations qui sont déjà dans des situations difficiles. Et donc met en péril, finalement, la sécurité humaine de ces populations. Et la troisième dimension, c’est que le changement climatique, aussi, affecte l’environnement et la biodiversité.

Donc l’insécurité climatique, c’est ces 3 dimensions (C’est clair ?) Ce qu’il s’est passé au Nigéria, on a une multiplication de sécheresses, une disponibilité des ressources en eau qui est en diminution, ce qui conduit des populations extrêmement dépendantes de l’agriculture à devoir abandonner leurs moyens de subsistance et à devoir migrer. Ca a créé des foyers de population qui sont extrêmement vulnérables et qui peuvent être facilement récupérés politiquement. Notamment dans le cas du Nigéria, avec Boko Haram, qui a pu utiliser ces populations pour augmenter ses forces. La situation migratoire actuelle en Europe est effectivement une conséquence indirecte de ce qu’il s’est passé en Syrie, en terme de changement climatique. C’est-à-dire qu’effectivement, on a eu ce lien de causalité entre le changement climatique, la sécheresse. La sécheresse qui a poussé les populations à se déplacer. Et qui a favorisé le conflit en Syrie. Et donc le conflit en Syrie est quand même la cause principale de ces migrations aujourd’hui en Europe.

Alors l’armée américaine, et dans une certaine mesure le ministère de la Défense britannique, s’interrogent sur ces foyers de tension qu’on pourrait finalement modéliser et identifier en lien avec le changement climatique. On peut citer deux zones qui sont souvent mentionnées pour des questions très différentes. D’une part, on peut citer la zone de l’Arctique, puisque l’ouverture des eaux de l’Arctique créait déjà une forme de tension entre la Russie et les Etats-Unis. Donc là, ce sera un conflit classique finalement, entre deux Etats, qui cherchent à s’approprier des ressources. Histoire de la guerre depuis des millénaires. Le deuxième cas, ce serait l’Afrique, qui est souvent mentionnée notamment, pour des questions plutôt de sécurité humaine, où ce serait les conséquences du changement climatique sur les moyens de subsistance des populations qui conduirait, à la fois, à favoriser de l’instabilité politique chronique et la récupération politique, notamment, par des groupes terroristes.

Le secrétaire général Ban Ki-Moon a publié un premier rapport en 2009 où il affirme que le changement climatique est un multiplicateur de menaces. Et en 2011, lors de son intervention au Conseil de Sécurité, il affirme même que non seulement le changement climatique est un multiplicateur de menaces, mais également une menace à la paix et à la sécurité internationale Donc aujourd’hui, on a effectivement une reconnaissance progressive au niveau de la scène internationale que le changement climatique est une menace à la paix et à la sécurité.

Laurent Fabius : En décembre 2015, à Paris, le monde aura rendez-vous avec l’avenir de la planète. Nous accueillerons en effet ce qui s’appelle la Conférence des Nations Unies sur le Climat, c’est-à-dire la COP21. L’objectif est simple. Il s’agît d’aboutir à un accord mondial afin que notre planète reste vivable. Nous savons que si nous n’agissons pas maintenant, ce qui nous menace, c’est un dérèglement climatique catastrophique avec des conséquences dans tous les domaines. Notre responsabilité est donc historique, puisque nous sommes la première génération à, à la fois, prendre vraiment conscience du problème, mais nous sommes la dernière génération à pouvoir agir.

Mon rôle, en tant que Président de cette conférence, au nom de la France, ce sera d’écouter chacun et de promouvoir une vision partagée par tous les pays, pour arriver à un vrai engagement. Comme le dit le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon, il n’y a pas de plan B, parce qu’il n’y a pas de planète B. La mobilisation de toute la France sera donc totale. Avec Paris Climat 2015, la France s’engage au service de notre avenir.

Mais oui, la France s’engage ! La voilà notre réponse d’homme moderne. Réunir les puissants du Monde à Paris, sous l’œil bienveillant de notre belle Tour Eiffel, symbole flamboyant de l’ère industrielle. Une 21ème conférence qui, bien sûr, réussira là où les vingt précédentes ont échoué. Ok. Jouons le jeu. Concrètement, c’est quoi les enjeux de la COP21 ?

Pascal Canfin : Le processus onusien, jusqu’à présent, a produit un protocole, qui s’appelle le protocole de Kyoto, à la fin des années 1990, et qui est encore en place mais qui ne couvre plus que 15% de la totalité des émissions mondiales. Tout l’enjeu de l’accord de Paris, et c’est pour cela que cette COP21 est spécifique et particulière, - on peut le dire - historique, C’est que c’est à Paris que l’on doit trouver le nouvel accord international sur le climat qui va être universel. Qui va englober tous les pays, y compris ceux aujourd’hui qui ne sont pas couverts par le protocole de Kyoto. Et au premier rang desquels évidemment, les principaux émetteurs : la Chine, les Etats-Unis, l’Inde ou le Brésil.

Le premier élément financier pour réussir la COP21, c’est d’honorer la promesse qui a été faite en 2009 aux pays du Sud, à savoir transférer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Ça, c’est important, parce que c’est la demande première des pays du Sud, qui est de dire : "Attendez, vous me demandez de signer un nouvel accord, alors que la promesse que vous avez faites en 2009 n’est toujours pas honorée." Et le deuxième élément, c’est que finalement l’enjeu, c’est bien d’intégrer le climat dans les règles de financement de l’économie mondiale et les règles de fonctionnement du système financier. Donc il faut notamment qu’il y ait un accord, mais en plus que cet accord soit financé, d’où la question des 100 milliards vers les pays du Sud. Et que cet accord nous permettent de revenir à ce que les scientifiques nous demandent, c’est-à-dire ne pas dépasser 2 degrés de réchauffement de la température moyenne de la planète.

Aujourd’hui, nous sommes sur une trajectoire de 4°C, au moins. L’enjeu, c’est donc de passer de 4°C à 2°C seulement, ce qui a déjà des conséquences, mais au moins on limite le dérèglement climatique. Et, au moment où nous parlons, à quelques semaines de la COP21, nous avons fait la moitié du chemin. Puisque l’ensemble des contributions nationales qui sont déjà sur la table, de la part de l’Union Européenne, des Etats-Unis, du Brésil, de la Chine, font à peu près 1°C de contrôle du réchauffement climatique. Donc il reste l’autre moitié, pour passer non plus de 4 à 3, mais de 3 à 2. Et c’est tout l’enjeu des dernières semaines, qui mènent dans la dernière ligne droite de la COP21, que de trouver les mécanismes qui vont nous permettre de crédibiliser ce retour vers les 2 degrés.

Citoyen(en)s : - Déjà, 2°C, c’est une mascarade, quoi ! Donc on est dans le changement climatique, il va falloir s’adapter et la seule question, c’est : est-ce que c’est 3°C, est-ce que c’est 8°C ? Est-ce qu’on en fait un désert ? Est-ce qu’on en fait une planète invivable ou est-ce qu’on peut encore vivre dessus ? - Pour moi, la COP21, c’est une bonne chose, mais je suis sûr que ça va être une grosse blague. - Ouais, mais tu vois, tu pars défaitiste. Merde, quoi ! Non, mais c’est vrai ! Ok, imaginons que c’est une grosse blague, mais quand même, ayons un tout petit espoir de "peut-être", tu vois. - Le problème, c’est qu’éveiller une conscience, ça prend des années. Et puis jeter une pile dans une poubelle, ça prend 2 secondes. Et les gens, ils s’en foutent. Il faudrait mettre une charge financière parce que... - Mais ça, ça m’embête. - On met un prix, le prix est purement financier, il prend en compte le coût de production, tout ça. Le prix des choses ne prend jamais en compte le coût environnemental. - Ouais, mais ça m’embête que tu es toujours ce spectre de la marchandisation qui est là... - Mais il faut une carotte ! On marche comme ça... Il faut une carotte. La COP21 n’a même pas commencé que tout le monde sait que ça ne va pas marcher. Y’a un désintéressement total, peut-être... Je sais pas pourquoi, mais tout le monde sait au fond de soi-même que la COP21 ne changera rien et que ces discussions ne mèneront à rien.

Le mieux, c’est peut-être de plonger au coeur du réacteur. Juste un aller-retour pour observer la valse des négociations autour du climat. Direction Bönn, en Allemagne. À quelques semaines de la COP21, tous les négociateurs s’y retrouvent. C’est la dernière ligne droite. Et y’a quoi au bout ? Un mur ou un nouveau monde ?

Anabella Rosemberg : Alors là, on est à l’entrée de la conférence, du centre de conférence de Bönn, où se tiennent les négociations préliminaires en préparation de la COP de Paris.

Jean-François Julliard : C’est un peu le dernier round des négociations où y’a, je sais pas combien de personnes, plusieurs milliers de personnes qui sont là pour essayer de faire en sorte que tout soit prêt pour la COP de Paris. Qu’il y ait un texte qui soit le meilleur possible, qu’il y ait tous les éléments qui soient suffisamment avancés pour que lorsque les chefs d’Etats, les ministres et les délégations officielles vont arriver à Paris, l’essentiel du travail soit fait.

Anabella Rosemberg : Il faut sortir de là avec un texte qui fasse sens aux ministres, aux élus. Et on est très loin du compte, en fait, on est très très loin du compte. On a un texte d’une trentaine de pages. Dans lequel il y a plusieurs options qui coexistent. Plusieurs options qui vont de : presque ne rien faire à faire de façon ambitieuse.

Jean-François Julliard : Il a fallu je ne sais combien de réunions, je ne sais combien de milliers de contributions, pour arriver à un texte que trois associations comme les nôtres pourrait écrire en deux heures sur un coin de table. C’est rempli de formulations qui sont les plus vagues possibles. Il y a aucune direction, aucun engagement pour les pays. Donc on se retrouve aujourd’hui avec un bout de phrase qui démarre : "Les Etats vont s’engager à", et puis après, y’a 15 possibilités qui sont entre crochets, parce que tant que c’est entre crochets, ça veut dire que c’est pas officiel, donc on peut continuer à discuter là-dessus.

Armelle Le Compte : Est-ce que c’est "les Etats devront" ou est-ce que c’est "les Etats devraient" ou... Il y a toujours ce langage diplomatique du verbe qu’on utilise, de la conjugaison qu’on utilise. Est-ce que c’est du conditionnel ? Est-ce que c’est du futur, où là, vraiment c’est engageant. On discute, et puis finalement, on est toujours en train d’attendre la prochaine réunion qui permettra de tout régler.

Anabella Rosemberg : Il faut savoir que les arbitrages ne sont pas encore là. Les États sont censés négocier jour et nuit, pendant les 2 jours et demi à venir. Et ils ont décidé, justement, que pour pouvoir le faire en paix, il fallait éjecter les observateurs des salles de discussion.

Armelle Le Compte : On n’a pas la possibilité d’assister à ces réunions sur ces différents éléments de l’accord. C’est-à-dire qu’on ne peut pas entendre ce qui se dit, ce que les différentes délégations échangent dans les salles de réunion. Ça veut dire qu’on n’a pas les informations. Donc y’a quand même un problème au niveau du manque de transparence et de la circulation de l’information.

Anabella Rosemberg : Les négociations des Nations Unies n’ont jamais été totalement à porte ouverte. Il y a toujours des négociations qui se tiennent à huit clos. Parfois, il faut un espace d’une certaine intimité pour finaliser les accords. On est très loin de ce moment-là. On est là à la première lecture d’un texte qui n’est pas encore le texte des négociations. Et on nous laisse déjà dehors, ce qui me fait penser que plutôt que d’une question de faire avancer rapidement les positions, il y a un certain nombre de gouvernements qui ont peur qu’on sache les propositions qu’ils vont mettre sur la table. Tellement ils sont en désaccord avec ce que le public attend de leur part.

Jean-François Julliard : Pour moi, ce qui est sûr, c’est que les COP qui existent depuis 25 ans ne sont pas la réponse au dérèglement climatique. Ne sont pas la réponse parce que ça fait 25 ans qu’on essaie, 25 ans qu’on échoue. Malheureusement, on n’a encore rien inventé de mieux pour faire face à ce challenge complexe qu’est le dérèglement climatique. Parce que ça concerne tout le monde, donc il faut que tous les États de cette planète trouvent des solutions ensemble. Et le souci aussi, c’est qu’on a le sentiment que les négociateurs qui sont dans ces salles et ces bâtiments sont parfois complètement déconnectés de ce qu’il se passe dans la vraie vie. Le monde réel avance beaucoup plus vite que ces négociations. Il y a beaucoup de gens qui s’engagent, des citoyens, des villes, des entreprises, qui s’engagent. Et ici, on a l’impression qu’on n’avance pas. Qu’on est un peu hors-sol. Qu’on est un peu déconnecté de tout ça.

Alors quoi, c’est perdu d’avance ? Toute cette énergie diplomatique serait dépensée pour rien ? Comment on reconnecte ces diplomates avec les citoyens, avec nous ? Il y a bien une chance à saisir dans cet océan d’échecs.

Anabella Rosemberg : La COP est presque un miracle. Il y a beaucoup d’intérêts qui sont représentés, beaucoup d’intérêts qui sont contradictoires. Donc les pays pétroliers ont évidemment un intérêt très différent des petits États insulaires qui ont eux-mêmes un avis très différent des pays développés. Et pourtant, on a quand même réussi à avoir, il y a 20 ans, la Convention sur le Climat. Qui est un bel objet, plein de principes louables. Et qui, pour la première fois, a fait que tous les gouvernements reconnaissent qu’il faut réduire les émissions et qu’il faut faire quelque chose de sérieux.

"Dans mon pays, les industriels du tabac ont longtemps expliqué que fumer n’était pas mauvais pour la santé... À ceux qui vont s’opposer à notre démarche, nous disons : Nous ne laisserons pas imposer que des intérêts privés priment sur le destin de l’espèce humaine."

Anabella Rosemberg : On est arrivés, il y a 5-6 ans, avec la conférence de Copenhague, à un moment où il y a eu finalement des principes de réalité qui se sont abattus sur la tête des négociateurs et des chefs d’États. Qui leur ont dit : "Vous allez où vous ?". Tout ce que vous êtes en train de négocier peut peser sur notre croissance, peut peser sur notre développement. Ça se reflète aujourd’hui dans les mandats que les États donnent à leurs négociateurs. Le coût politique du manque d’ambition, de la part des États, est encore très faible. Quand les chefs de gouvernement sont rentrés de la conférence de Copenhague, chez eux, personne ne les attendait à l’aéroport pour se plaindre de leurs échecs. Du coup, si ces coûts politiques de la faible ambition ne changent pas, ne remontent pas, alors on a un problème. On a un rôle à jouer pour faire monter ces coûts politiques et les rendre de plus en plus pesants pour faire en sorte qu’aucun gouvernement ne puisse venir à une COP ou à une conférence climat avec un mandat si faible qu’il nuise finalement à l’ensemble du processus.

Moi, en tant que citoyen, je pourrais faire grimper ce coût politique de l’échec d’une COP ? Qui d’autre après tout ? Le mandat des négociateurs à Bonn est défini par celles et ceux qui nous dirigent. Mais leurs mandats à eux, d’où vient-il ?

Citoyen(en)s : Mais la COP21, de toute façon, il va pas falloir faire confiance aux États, il va falloir faire confiance aux citoyens, aux pétitions... Les politiques aujourd’hui sont vus comme des agents économiques, des représentants de commerce. On le voit en ce moment avec tous les contrats négociés par le gouvernement à l’étranger. Ils sont poussés par les industries à rester aussi dans leurs sens, en fait. Pour être obligés de continuer à satisfaire les entreprises et les lobbys pour avoir aussi la paix. Il va falloir, à mon avis, que... les citoyens, en tout cas, rendent cette COP21 beaucoup plus populaire. - En se réunissant, avoir plus de pouvoir pour pousser justement le pouvoir à faire des décrets, à faire des lois... C’est mettre la pression, voilà.

Donc, plus on va comprendre les blocages actuels, plus on va pouvoir agir dessus. Mettre la pression.

Agnès Sinaï : Les mécanismes financiers du protocole de Kyoto et du système de négociation climatique actuel sont des mécanismes de droit à polluer. Ce sont des formes d’indulgence que les grandes entreprises énergétiques ou sidérurgiques se paient en s’autorisant à polluer ici et à compenser là-bas. Mais, sur le fond, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, s’il est construit avec ces deux pistes sur les marais actuels, ce sera matériellement une réalité qu’aucune compensation n’aura permis d’éviter. Le fait de pouvoir acheter des crédits d’émission permet à la Norvège de continuer à forer du pétrole dans des plateformes offshore. Rien ne change à la source. La Norvège s’est offert la possibilité de rester un régime fossile en quelque sorte.

Pour le moment, les atermoiements des États montrent que leur proximité avec les grandes entreprises de l’énergie... La porosité entre le monde politique et le monde économique est tel aujourd’hui que pour le moment, à moins d’un événement inattendu ou du surgissement d’un ensemble d’individus nouveaux, qui porteraient des messages nouveaux... Et ça, c’est toujours possible. L’inattendu est toujours possible. Dans l’état actuel du jeu d’acteurs, et de la rhétorique des négociations, on est loin du compte.

Mr. Poulpe : Hahahahaha ! Ça, c’était moi avant. J’étais pas terrible, hein, oooooouh ! Et ça, c’est moi maintenant ! C’est mieux, hein ? Sérieux, je me sens au top du top. Non, parce qu’avant, c’était le protocole de Kyoto. Et c’était de la bonne grosse merde ! Les Américains voulaient pas ratifier, les Canadiens se sont carrément barrés, les Russes ont trafiqué des faux projets de réduction des émissions de CO2... Haaaaaaaan ! Aya ! Ah ! A... Les Chinois et les Indiens étaient pas dedans. T’imagines pas le bordel, hein ! Pfffff... Haaaaaaaan... Comment veux-tu que ça marche ?

Mais depuis, j’ai découvert la COP21. Aaaaah ! Alors déjà, ça se passe à Paris, c’est vachement mieux. Perso, j’aime pas les sushis, ça m’arrange. Et puis, c’est Fabius qui préside ! Fabius... Pfffff ! Pfffffffffff Putain, déjà ça, ça envoie du rêve, hein ! Hahahahahahaha ! En plus, la conférence est au Bourget, comme l’aéroport ! Un aéroport bio. Les mecs, ils viennent dans des Airbus alimentés par des chiures de pigeons. Aaaaaah aaaaah ! Pfffff ! Aaaaah aaaaah ! Han hahaha ! Rapport à Paris, tu vois, ça c’est un bon point. En plus, ils se rendent dans des salles de réunion en Renault Zoé édition limitée COP21... Je serais le changement climatique, je commencerais déjà un peu à flipper, hein ! Je flipperais bien ma race. Bon, après, on sait pas trop ce qui va se passer parce que ça va se régler dans les couloirs... Mais attention, ce sera des couloirs en bois. Et ça, bah c’est déjà plus cool, hein ! COP 21, c’est vachement bien. (et nous, on est contents...)

Comment on vit sur cette planète ? Comment ne pas la consommer entièrement ? La question est bien plus large qu’une petite semaine de discussions internationales. La COP21 n’est qu’un élément dans la balance, nécessaire mais, pas suffisant... Et si on pensait au-delà ? De façon collective ? Peut-être qu’on trouverait des réponses sur un temps bien plus long...

Dominique Bourg : Le drame des questions environnementales, c’est que les difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, on ne peut pas les percevoir avec nos sens. Que on ait perdu la moitié des mammifères, des oiseaux, des poissons, entre 1970 et 2010... Je ne peux pas le savoir ! Que le rythme d’érosion de la biodiversité s’accélère, je ne peux pas le savoir ! Nos sens ne nous disent rien sur les problèmes d’environnement. Et ça, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles on réagit aussi peu. On va se bouger quand on est confrontés à un danger immédiat qu’on perçoit avec nos sens. Et là, c’est pas le cas avec l’environnement. Si je n’étais pas né, ça ne changerait rien. Donc comment puis-je me sentir responsable ? Puisque si je n’avais pas existé, la situation serait la même...

Ça, c’est aussi le piège environnemental. Nous avons produit des difficultés auxquelles l’évolution ne nous a absolument pas préparés à réagir. Le fondement du contrat social, c’est que chacun puisse produire, tranquillement, le plus possible, et ensuite jouir tranquillement, le plus possible, des fruits de sa production. On s’est mis à penser que le seul moyen d’accomplir son humanité, de la développer, c’était de consommer. Et ça a très très bien marché ! Et aujourd’hui, ça marche beaucoup moins bien... Quand on parle d’économie, de gestion, de construction, d’agriculture, et bien ça a un impact sur le système Terre.

Donc, on ne peut plus séparer les questions comme on le faisait. On ne peut plus séparer société. On ne peut plus séparer nature. Et on va devoir faire de la politique autrement. La politique, ça ne pourra plus être les petits intérêts des uns contre les autres. Si on voulait que nos structures politiques soient à même de répondre, il faudrait qu’elles soient capables d’imposer aux grandes multinationales, notamment qui exploitent le pétrole, comme nous le demande le GIEC, de laisser 80% des fossiles accessibles sous le sol.

Du jour au lendemain, si on les laisse, c’est 30 000 milliards d’actifs qui disparaissent. Cela fait une trentaine d’années, 4 décennies pratiquement, que nos systèmes politiques ont réduit la fonction de l’Etat à un facilitateur du commerce international. Comment voulez-vous qu’un facilitateur du commerce international prenne à bras le corps ces questions climatiques ? Regardez, en même temps que l’on prétend négocier la COP21 à Paris, négocier le changement climatique, en même temps on fait tout pour accroître les échanges entre les 2 rives de l’Atlantique, alors que c’est totalement contradictoire avec la lutte réelle contre le changement climatique.

On va continuer. On va avoir des difficultés. De plus en plus lourdes. Et puis finalement, la petite minorité de la société qui repose les vraies questions, elle finira par se faire entendre. Et de façon plus large, on sera bien obligés de reposer des questions. Qu’est-ce qu’être un homme ? Qu’est-ce que vivre ensemble ? Qu’est-ce que la justice ? On sera bien obligés de se reposer ces questions. Il fallait produire, changer le monde. Et bien peut-être qu’il faudra réapprendre aussi à le contempler.

Il y a une multiplicité d’initiatives. Des villes en transition, des éco-villages, des fablabs écolos... Donc il y a énormément d’acteurs qui entreprennent des expériences. Y’a même une espèce d’ébullition aujourd’hui. Une des valeurs qui a le vent en poupe, c’est une forme de sobriété volontaire, c’est assez étonnant. Mais on voit bien qu’il y a une vague de fond, même si elle reste minoritaire, qui est en train de faire que les gens commencent à voir qu’on est à une charnière, qu’on est en train de changer de civilisation, qu’on va glisser... Et que ceux qui tiennent à l’ancien Monde, alors eux ils vont employer tous les moyens pour qu’on ne parvienne pas à changer ce Monde.

Citoyen(en)s : Là, la vidéo est bien, mais après, on ne sait pas trop ce qu’on peut faire non plus à notre échelle... - C’est sûr qu’il faut que la population se bouge parce qu’on est quand même beaucoup. - C’est difficile aussi de changer ces habitudes. - C’est même pas des habitudes, c’est changer une société, c’est changer une culture... - Mais si on change déjà un petit truc chacun, c’est bien, mais c’est difficile. Moi j’essaie de devenir végétarienne, d’utiliser des produits naturels... Mais c’est compliqué, ça coûte cher, faut savoir où les trouver... Pareil, pour manger bio, il faut avoir de l’argent.

On est dans un système où c’est déjà un engrenage, donc c’est difficile d’arrêter de prendre la voiture, c’est difficile de changer nos habitudes parce que c’est devenu obligé... - C’est difficile, il y a plein de choses qui sont décourageantes quand on veut commencer à changer ces habitudes de vie pour être plus en phase avec la nature. - Pas forcément de s’y mettre à fond, mais d’aller dans le sens de... - Ouais, mais y’a plein de gens qui pensent qu’il faut "faire tout" ou "rien". Donc y’a plein de gens qui disent : "Ah, tu fais que ça ? Bah ça sert à rien. Fais rien, c’est mieux." - Et les gens qui disent, eux y font... - Oh, bah ils font rien du tout ! Et au-delà de ça, aujourd’hui la politique, elle est faite par des quinquagénaires, des sexagénaires... C’est des gens qui n’ont pas grandi avec toutes ces réflexions-là, qui ont d’autres manières de penser, qui ont évolué et qui ont pris des décisions dans un monde où il n’y avait pas de limitation énergétique... Moi je comprends, à 50 ans, je serais incapable de changer de manière de réfléchir et de fonctionner. Beaucoup de gens ont laissé s’éroder en eux la capacité à penser... ... qu’il est possible de faire autrement.

Merci ! On a oublié qu’il était possible de faire autrement. Ah ça fait du bien de l’entendre ! Comme une bonne douche froide après une gueule de bois. On a mal au crâne... mais on recommence à marcher. Ok. Mais pourquoi ? Pourquoi nos neurones sont si feignants quand on essaie de changer ? Pourquoi dès que ça bouscule nos habitudes, on est fatigués avant d’avoir commencé à agir ?

Etienne Koechlin : Ce qu’on sait aujourd’hui, c’est que chez l’Homme, la prise de décisions s’effectue via 2 systèmes. Un système, on va dire, émotionnel et un système cognitif. Sachant que le système émotionnel est pris en charge par les ganglions de la base et un certain nombre d’autres structures sous-corticales, qui sont situées en fait sous le cortex cérébral. Ce système interagit avec un autre système, qui est particulièrement développé chez l’Homme, qui est le système cognitif et qui lui se situe au niveau du cortex cérébral. La région qui est plus particulièrement impliquée dans la prise de décisions, c’est ce qu’on appelle le cortex pré-frontal. Une prise de décisions, on va dire, efficace, efficiente, va résulter de l’interaction de ces deux systèmes. Le système émotionnel, c’est un système qui est rapide, qui peut être mobilisé très rapidement, et qui va permettre de faire des "choix intuitifs". Et puis, vous avez le système cognitif, qui lui est plutôt lent, mais a des capacités anticipatrices, qui permettent de se projeter dans l’avenir et d’anticiper sur les conséquences et de faire des choix plus raisonnés.

Tout le champ du climat est un domaine où les deux systèmes sont un peu pris en défaut. Ce qui rend en fait ce champ assez difficile, pour un individu, à appréhender en matière de choix qu’il va faire au quotidien. L’expérience émotionnelle d’un réchauffement climatique, envisager le fait qu’il va y avoir un réchauffement, on va dire, de 4°C par exemple, on va se dire : "Il va faire plus chaud...". Émotionnellement, on n’a pas une expérience véritablement très négative de ce réchauffement. Ce qui rend en fait la capacité de choisir ou de prendre des décisions informées par cette problématique climatique difficile pour l’individu lambda, comme moi par exemple ou comme vous. Le système cognitif de prise de décisions, tout le cortex pré-frontal, il a des ressources de traitement très limitées. Son but, c’est d’essayer de rendre tout comportement le plus habituel possible. Le système cognitif travaille à l’économie.

Donc, toute notre vie mentale est conçue pour construire des habitudes au maximum. Et donc, aller à l’encontre d’une habitude, il y a toujours une résistance, parce que notre système cérébral pousse à toujours vouloir mettre en œuvre des habitudes plutôt qu’à envisager le changement. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’est pas capables de changer, on est évidemment capables de changer. Mais ça a un coût cognitif, un cout mental. C’est très difficile de prendre des décisions si on n’a pas une expérience émotionnelle des conséquences des décisions. Et donc on peut dire que pour éviter le désastre, il faut avoir une expérience émotionnelle négative il faut avoir cette projection émotionnelle pour que cette connaissance de l’apparition du désastre puisse avoir une influence sur nos choix effectifs aujourd’hui.

Mr Poulpe : Je prends pas l’avion. J’ai plus Internet, j’ai pas d’iPhone, j’ai pas d’iPad, j’ai pas d’ordi non plus. J’ai troqué ma vieille radio contre des endives. Des endives bio. J’aime pas les endives, ça... Bon. Moi, je mange local au moins. Et puis je mange plus de viande. Je mange pas d’oeufs, je mange pas de lait. Ah bah du coup je suis végétalien, j’avais pas... Et je bouffe que des plantes mortes ! De mort naturel, hein. Parce que je suis contre la maltraitance. Et sans emballage, hein. Hé ! J’ai pas de toilettes, rapport aux broyeurs et à l’électricité nucléaire. Bah je chie dans la sciure ! Mais je coupe moi même les arbres. Parce qu’il parait sinon qu’on les importe de loin, dans des porte-conteneurs au diesel... Alors bon ! Je vais les chercher en forêt. À pied. Ouais, parce que j’ai pas de bagnole, j’ai pas de scooter. Je voulais m’acheter un vélo, mais on m’a dit qu’ils les fabriquaient au Vietnam avec tous les petits chinois et tout...

J’ai pas de chaussures non plus. Les semelles, c’est des dérivés de pétrôle. Donc, du coup... J’ai un peu mal aux pieds... Mais je met rien dessus parce que les crèmes sont testées sur les animaux. Parfois, j’ai un peu froid ! J’ai pas de chauffage, faut dire. J’ai pas la télé non plus, du coup... J’ai lu tous les livres de Pierre Rabhi. 6 fois, hein... Mais seulement de jour parce que j’ai pas l’électricité... On l’importe d’Allemagne maintenant, c’est les centrales à charbon qui font ça. J’ai pas de lampe de toute manière, je m’en fous hein. Bref, j’ai décidé d’agir contre le changement climatique ! Ca a intérêt à la sauver la planète, parce que putain je m’emmerde ! Je m’emmerde bien là. Je me fais bien chier. Voilà. Bon allez, je vous laisse, c’est l’heure du goûter.

Après, il y a toujours moyen de se rendre utile, mais est-ce qu’il est encore temps ? On arrive trop tard alors qu’on a déjà rien fait. On est des gros lards assis sur des canapés, on veut pas bouger notre petit doigt ! Que chacun se foute un grand coup de pied au cul, mais ça, c’est à chacun de le faire, on peut pas le faire à la place des autres. Tu t’adresses à des habitudes de consommation qui sont tellement ancrées dans le temps, que les changer, même par des beaux discours, ça va marcher quoi ? 5 jours, 10 jours ? C’est vrai qu’après la question aussi, elle est : "Quels sont vraiment les choix qu’on fait ?" "Qu’est-ce qu’on choisit vraiment ?" Je sais que quand je voyage, je me pose des questions par rapport aux modes de transport. Comment on consomme ? On en rigole même quand on mange : "Ah, t’as pris des pots jetables, aujourd’hui !"

J’essaie d’avoir une attitude de consommateur pertinente et essayait d’acheter des produits qui dans leur fabrication respecte l’environnement. J’ai eu accès à plein de choses dans ma vie. Et j’ai réduit tout ! Pour vivre le plus simplement possible. En harmonie avec mes conceptions de la vie. Je sais que mon alimentation, chez moi aussi, chez mes parents, change et va plus vers le responsable, vers le biologique. J’ai énormément réduit ma consommation de viande par rapport à ce que mes parents me faisaient manger quand j’avais 14-15 ans. Moi, je pense que les jeunes sont plus... Ils font plus d’efforts que nous. Par exemple, avec le covoiturage, ça marche impeccable ça. C’est impeccable, mes enfants prennent les covoiturages, ils prennent pas leurs voitures pour aller quelque part. Et ça moi, je pense que c’est un sacré effort. Ce que les gens de mon âge, ne sont peut-être pas prêts à faire justement.

Alors, c’est possible. Des choses bougent. Imperceptibles, et pourtant déjà là. Ça prend juste du temps. Faut apprendre à l’accepter... C’est drôle, c’est comme si la crise climatique nous forçait à réapprendre à apprendre. Apprendre à se poser des questions. À discuter. À chercher des réponses. Peut-être que changer, ça s’apprend ?

François Taddeï : L’éducation, par définition, forme les citoyens de demain. Les changements climatiques vont se produire sur un siècle. On a besoin de former, dès maintenant, ceux qui vont contribuer à résoudre le problème demain. Et en même temps, quand on agît sur les enfants, indirectement on agît sur leurs parents, familles... Et donc on a un effet de levier très puissant. Après, comment est-ce qu’on les incite à penser ces problèmes différemment ? Je pense qu’on doit repenser l’éducation au passage. On est un système éducatif qui est aujourd’hui basé sur la compétition et la sélection progressivement des meilleurs, et donc on forme une petite élite. On a commencé à faire ça dès le XVIIIème siècle. On a fait la Révolution, on avait besoin d’une élite. Parce qu’on avait coupé la tête à l’élite précédente. Donc on avait besoin de former ça très rapidement. Cette élite, basée sur la compétition, elle a une limite : c’est que dans un monde où il y a toujours plus d’intelligence collective et distribuée, où il y a toujours plus de gens qui sont diplômés, on va vers 60% d’une génération qui va être diplômée de l’université.

Donc on voit bien qu’il y a besoin d’une autre manière de faire. Effectivement, on passe d’un monde de compétition à un monde de coopération. Si on veut préparer nos enfants au monde de demain, il faut qu’on les prépare à coopérer pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui. Donc on a besoin de toute forme d’intelligence, et de toute forme de regards, pour comprendre la complexité des problèmes d’aujourd’hui. Et pas, de quelques élites qui pourraient décider pour tous les autres... Et si on se dit, simplement par exemple : "Personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose, et donc on a à gagner à échanger nos idées", on voit bien que déjà on a progressé par rapport à : "Je vais tous vous noter, en fonction de ce que vous avez retenu de ce que j’ai pu vous dire". On disait déjà à l’époque de Socrate, qu’il était le plus sage de tous les Grecs, parce qu’il savait ce qu’il ne savait pas. Donc l’enseignant peut être facilement le plus sage de toute sa classe, parce qu’il sait ce qu’il ne sait pas et il sait même une partie de ce que les élèves ne savent pas. Mais, en même temps, il sait aussi comment on apprend, il connait l’esprit critique, il connait cette maïeutique, cette capacité à accompagner les enfants dans leurs explorations intellectuelles et canaliser leurs intelligences individuelles et leurs intelligences collectives.

Mais en fait, rien ne nous empêcherait de créer une grande école, une grande université des enjeux de la planète ou des enjeux climatiques qui inviterait tous les étudiants qui le souhaitent à documenter leurs réflexions et leurs actions et à les partager pour que, à chaque fois que l’un d’entre eux apprend et innove, un autre puisse apprendre plus facilement et innover plus facilement et se mettre au service de la planète. Aristote nous définissait 3 formes de connaissances :- épistémè, qui a donné la science - technè, qui a donné la technologie - phronesis, résumé comme l’éthique de l’action. Donc cette éthique de l’action, on voit bien qu’elle est nécessaire, à la fois individuellement, mais aussi collectivement, et même au niveau planétaire aujourd’hui. Puisque notre action individuelle peut avoir des conséquences à long terme, qui peut avoir des conséquences à une autre échelle de temps, et à une autre échelle d’espace que celle où on a l’habitude de penser.

Je pense que si Aristote était là aujourd’hui, il nous demanderait encore plus de faire attention à l’éthique de l’action puisqu’on se rend compte que ce n’est pas simplement notre action individuelle et son impact sur le collectif, instantanés et ici, mais sur un impact à long terme et sur l’ensemble de la planète. Il y a un poème de T.S. Elliot que j’aime bien. Où il disait : "Où est passée la vie que l’on a perdue en la vivant ? Où est passée la sagesse que l’on a perdue dans la connaissance ? Où est passée la connaissance que l’on a perdue dans l’information ?" Aujourd’hui, on pourrait rajouter : "Où est passée l’information que l’on a perdue dans les datas ?" On nous parle toujours plus de datas. Et la question, c’est comment est-ce qu’on va, si on prend ce poème de T.S. Elliot à l’envers, comment est-ce qu’on va des datas à l’information, de l’information à la connaissance, de la connaissance à la sagesse, et de la sagesse à la vie. On a tous besoin de données pour comprendre le climat. Mais on a besoin également de réfléchir sur l’information, sur la connaissance, sur la sagesse et sur la vie en commun sur cette planète qui est finalement notre véhicule commun pour la vie dans l’espace.

Donc on a absolument besoin de préserver notre planète commune et on a besoin de s’interroger effectivement sur nos valeurs, de réfléchir à finalement : Quel est le sens de tout ça ? On voit bien que s’interroger, c’est à la fois le propre de l’Homme, mais c’est également toujours plus nécessaire. C’est pour cela qu’on a besoin de nourrir le questionnement des enfants. En fait, on a tous des barrières cognitives. J’ai une photo où vous voyez quelqu’un qui tient des barreaux. Et si vous faites un zoom arrière, vous vous rendez compte, qu’en fait, il est au milieu de la nature. Mais il tient des barreaux ! S’il lâchait ces barreaux, il pourrait explorer la nature... Mais en fait, il est dans une prison, qui est une barrière mentale. Et si on ne questionne pas nos barrières mentales, alors on restera dans nos prisons.

Éviter l’enfermement. Prendre la route. Marcher, se déplacer, aller voir ailleurs. Faut qu’on bouge, pour tenter de comprendre comment d’autres font autrement. Nous voilà dans le Nord-Pas-de-Calais ! Loos-en-Gohelle, 6 647 habitants, comment cette ancienne cité minière, avec ses terrils classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO, est devenue ville pilote du développement durable ?

Jean-François Caron : La nature a été détruite. L’eau est très polluée par les nitrates. L’image de la région est catastrophique. Et donc, quelqu’un comme moi, qui suis arrivé au moment de la fermeture de la mine, c’est comme s’il y avait eu plein de richesses produites, mais parties ailleurs. Nous, on récupérait toutes les séquelles. Une population qui souffre. Un territoire qui souffre. Il nous fallait nous redonner un avenir.

En fait, le fil rouge du développement de la ville, ça a été de dire : "On était l’archétype du non-durable, de ce qu’il ne fallait pas faire", et donc notre projet de ville, c’est de tirer les leçons du passé. Sauf s’il y a quelqu’un ! Ah oui... Vous pouvez venir, hein ! 40% de l’eau potable utilisée en France, c’est pour vider les WC... Sur la ville de Loos, on récupère les eaux de pluie depuis maintenant plus de 15 ans, on a 3 semaines d’autonomie et donc on ne consomme quasiment plus du tout d’eau potable pour les services de la ville. Donc ici, on est sur une résidence un peu originale puisque ça a été, en 2001, la première résidence de logement social de France avec les critères "Haute Qualité Environnementale". Là, ce qui est intéressant, c’est qu’on est devant cette église, dont on devait refaire la toiture. Donc on a fait toute la face sud intégralement en toiture solaire. On a un panneau qui indique le nombre de kilowatts produits et de tonnes de CO2 évités et l’énergie cumulée depuis que la toiture est installée. Et là, on a mis en place un potager symbolique. Bon, là, ça c’est de la sauge ! On va avoir du thym, du romarin, ici, on retrouve des fraises 4 saisons, et donc ça, on l’installe en début d’année, et ensuite ce sont les riverains qui s’en occupent.

Pierre Damageux : Là, la mairie a récupéré une douzaine d’hectares qu’elle maitrisait. Et donc, elle l’a proposé, dans un appel à projet, aux agriculteurs de Loos-en-Gohelle, on est encore une quinzaine. Une des premières conditions, c’est que ces terres seraient attribuées en bio. On est 5 agriculteurs à Loos à être en bio. Le fait d’être membre du conseil municipal, où l’environnement, où le développement durable est toujours mis en avant, forcément, ça fait avancer dans la tête et à un moment donné, on se lance !

Christian Traisnel : Alors, on est sur le territoire de Loos-en-Gohelle, et ici donc c’est un des premiers champs expérimentaux à niveau national et international, sur l’usage et la performance des panneaux photovoltaïques. Pourquoi on ne serait pas capables de maitriser la production d’énergie, qui a été aussi dans un temps ancien, la région qui savait le maitriser pour toute la France ? Eh bien, sur ces nouvelles énergies renouvelables, on a l’ambition d’être la région qui maitrise tout ça pour la France.

Remi Chimot : Et bien là, on est sur un terril ! C’est toutes les roches non combustibles qui étaient remontées du fond de la mine. Donc au départ, c’est ça le terril, hein ! C’est un mont de caillou. Donc ici un petit mont... sur un terril qui est gigantesque, finalement. Et aujourd’hui, ces terrils sont devenus des sites qui sont tournés vers le développement durable. Ce qui est tout à fait original, même paradoxal, dans le sens où on est au départ sur un site industriel et ces zones-là sont devenues les zones les plus biodiversifiées du bassin minier. Les plus riches en terme de faune, de flore. Et chaque année, on retrouve des espèces supplémentaires qui s’installent sur ces sites. On a connu plus d’un siècle d’exploitation des mines. À la fermeture, on a eu des grosses conséquences puisque cette exploitation a causé des dégâts. Des dégâts sociaux, économiques, mais aussi environnementaux. En tout cas, à Loos, on s’en sort parce que les choses, on essaie de les faire ensemble. J’ai une formule qui dit : "participation sans responsabilisation, c’est un piège à con". Je suis partisan à fond de ce que j’appelle la "participation habitante". Je dis aussi "habitant acteur". Par contre, je suis de plus en plus en... Attends ! Bon juste, je dis bonjour ! Vous voulez voir ma tomate ?

Jocelyne Niemec : Je sème, je récolte et après je distribue. Des tomates, du céleri, des betteraves, du persil... Et puis chacun peut se servir comme il veut. Ça nous fait repenser à l’ancien temps, quand on était jeunes, le partage revient quand même. Bon allez, j’y vais ! Il est très important que chacun connecte qu’on est tous comptables de ce que l’on fait. Pour notre ville, pour notre planète, pour éviter le dérèglement climatique, pour la nature au sens large ! On a des résultats. Et c’est important de montrer que c’est possible. C’est ça l’intérêt d’être dans une commune. Dans le bassin minier, on a pas les mêmes ressources qu’à Nice ou Nanterre. Donc si c’est possible ici, ça l’est partout.

Faut juste accepter que ça prenne du temps. Il a fallu 20 ans pour que Loos-en-Gohelle change. Et ça reste un combat de chaque jour ! La question climatique n’est pas juste une histoire de science ou de thermomètre. C’est nous ! C’est comment on choisit de vivre ensemble.

Romain Felli : Si on parle du changement climatique uniquement du point de vue d’un phénomène physique, on rate ce qui fait l’aspect véritablement catastrophique du réchauffement climatique, qui est qu’il renforce les inégalités sociales actuellement existantes sur la planète. Au Bangladesh, vous avez des paysans pauvres qui ont été dépossédés de leurs terres ces dernières années, au profit de grands propriétaires. Et que, dès le moment où il y a ce stress additionnel du réchauffement climatique qui vient mettre à mal les récoltes, qui vient créer de la sécheresse et qui produit des manques de récoltes pour ces paysans pauvres, et bien ceux qui n’ont pas de ressources sont obligés de vendre leur "maigre capital", et peuvent être même conduits dans un deuxième temps à migrer, à se déplacer, parce qu’ils n’ont pas d’autres ressources.

Dans une même situation, dès lors que vous êtes dans une situation de sécheresse, qui induit par exemple là aussi des récoltes plus faibles, il y a au contraire une mutualisation des ressources restantes, une distribution du grain, qui donc permettent dans le fond de s’adapter à ce stress du réchauffement climatique. Dès la convention des Nations Unies à Rio en 92, les pays du Sud ont très vite commencé à demander des compensations économiques aux pays du Nord pour les dégâts qu’ils subissent en terme de réchauffement climatique. Les pays du Nord ont toujours refusé de payer ces compensations.

S’adapter au réchauffement climatique, ça veut dire développer des systèmes de santé, développer des systèmes d’éducation, développer des bâtiments qui résistent aux intempéries, développer des services publics d’aide en cas de catastrophe... Bref, c’est l’ensemble des éléments, qui font ce qu’on appelait autrefois le développement, qui vont permettre à un pays d’être en fait beaucoup plus résiliant qu’un autre au réchauffement climatique. Donc il est possible d’essayer de faire de l’adaptation en réduisant la vulnérabilité. Cette réduction de vulnérabilité, elle implique de donner plus de pouvoir. Plus de pouvoir démocratique, plus de pouvoir économique aux populations les plus vulnérables. Mais au vu de l’état général du Monde, si on veut parler de manière extrêmement globale, c’est plutôt ça qui est l’exception que la règle, malheureusement.

Citoyen(en)s : Je suis un français moyen, pas plus con, pas meilleur qu’un autre. Mais qui, de temps en temps, se pose des questions ! Regarde, en 100 ans, ce qu’on a foutu dans la gueule à la planète, c’est pas en éteignant les bureaux la nuit ou en mettant 2-3 éoliennes à droite à gauche qu’on va changer les choses. Faut pas se mentir ! Regarde La Défense, c’est allumé 24h/24h. À moins que d’un seul coup, au-dessus, il y ait une réelle prise de conscience et qui chie dans leur froc, un peu comme Obama, parce que "ah, c’est vrai que mon pays, il en prend plein la gueule et que c’est peut-être dû au changement climatique". Pfffff...

Le problème, c’est pas nous, c’est eux. Changer la politique, c’est nous qui devons la faire, et pas les politiques qui sont attachés au système. Il faut changer de système. Il faut changer le logiciel, absolument. Les hommes politiques, aujourd’hui, sont complètement dans la roue de l’économie de marché. Et avec les grandes croyances qu’ils continuent à générer : la main invisible, il faut laisser l’économie de marché faire et d’elle-même, elle trouve effectivement le point d’équilibre. L’idéologie du trickle-down, quand on met l’argent en haut, naturellement il revient en bas. Toute cette idéologie pernicieuse, qui effectivement empêche beaucoup de gens de penser l’économie.

Ça viendra des gens de la base. J’ai pas vraiment l’impression que les politiques... Si, ils sont convaincus qu’il faut faire quelque chose, mais est-ce qu’ils en ont les moyens ? Est-ce que les enjeux économiques ne sont pas trop importants ? Je pense que ce n’est sûrement pas les politiques, en tout cas ces politiques-là, qui vont faire changer. C’est ça. C’est si tout le monde s’y met, là oui on pourrait y arriver. Je pense qu’un des plus gros problèmes, c’est de s’y mettre à plusieurs... Oui, certes, on est au tout bas de l’échelle. Mais qu’on est quand même les 90%, les mecs ! Donc si on gueule un coup, qu’on leur met un coup de chaud, à un moment, ils se diront "Ah merde" !

Razmig Keucheyan : La qualité de l’environnement que l’on a autour de nous, les chances que l’on a d’être frappé de plein fouet par une catastrophe naturelle, ce sont des aspects de la crise environnementale qui sont inégalement distribués dans la population. Et par conséquent, cette idée qui est mise en avant par l’écologie dominante, selon laquelle l’humanité va subir dans son ensemble, de manière indiscriminée, les effets du changement climatique est une idée tout simplement fausse. On parle souvent de la pollution de l’air en Ile-de-France. Mais où les pics de pollution les plus importants sont-ils mesurés ? Eh bien systématiquement dans le 93. Le 93 qui est le département le plus pauvre de France métropolitaine et qui est aussi le département qui accueille, proportionnellement, la plus grande part d’immigrés récents. Selon la catégorie sociale à laquelle on appartient, selon que l’on est ou non un immigré récent, on va subir davantage les effets de la pollution de l’air sur l’organisme, sur la santé.

Un argument qu’on entend souvent concernant la crise climatique, c’est que les institutions de la démocratie représentative sont inadaptées à résoudre cette crise. Pour la raison suivante, c’est que la représentation politique est renouvelée tous les 4-5-6-7 ans dans le meilleur des cas, par conséquent, il y a une sorte de court-termisme. La classe politique est peu incitée de ce fait à régler le problème du changement climatique, qui est lui un problème de longue durée.

En effet, il va falloir faire évoluer les démocraties représentatives et les rapprocher de la base. Faire en sorte que des formes de démocraties directes émergent, qui vont conduire les individus à s’organiser à la base pour mettre en place des institutions résilientes dans un contexte d’adaptation obligatoire au changement climatique. Les Etats ont tout à fait les moyens, pour peu qu’ils le décident, à re-réguler le commerce international, à imposer des contraintes très fortes aux industries polluantes. Bref, l’État est une institution extrêmement puissante, qui au cours des décennies passées, l’époque qu’on qualifie parfois de néo-libérale, c’est volontairement délaissé de certaines de ces prérogatives. Dans le cadre d’un rapport de force certes défavorable avec les industriels, mais avec un rôle actif, consistant à non pas déréguler mais re-réguler en faveur des intérêts du capitalisme.

L’Etat pourrait très bien décider, et il faut pour cela que la société civile le lui impose à l’État, de re-réguler cette fois-ci en faveur des catégories populaires. C’est tout à fait possible, cela a déjà été fait par le passé. Entre le moment où le suffrage universel a été proclamé, en gros à la Révolution Française, et le moment où il a été généralisé, en gros après la Seconde Guerre Mondiale, il s’est passé plus d’un siècle. Plus d’un siècle de lutte. De lutte féministe. De lutte du mouvement ouvrier. De lutte des mouvements des droits civiques, un peu partout au Monde, notamment aux Etats-Unis mais ailleurs également. Cette transition énergétique, il faut l’obtenir. Il faut l’obtenir par des luttes. De même qu’on a obtenu l’extension du vote et son universalisation. Et pour ceci, les classes populaires peuvent s’appuyer sur des traditions de lutte qui existent. Et je suis sûr qu’elles le feront dans les années et les décennies qui viennent.

L’une des choses dont il faut prendre conscience, c’est que les secteurs industriels concernés sont à l’offensive dans le contexte de la crise climatique. Donc le paradoxe, c’est que les principaux responsables de la crise climatique, les industriels, les financiers, sont aussi ceux qui aujourd’hui cherchent à tirer leurs épingles du jeu. Il faut nécessairement et impérativement couper ce lien existant, entre d’un côté la finance, les secteurs industriels pollueurs, et de l’autre l’État. En d’autres termes, il faut reprendre possession de l’État, il faut re-démocratiser l’État par l’entremise d’un mouvement profond venu d’en bas, et c’est par l’entremise de ce processus de radicalisation et de démocratisation que des solutions au changement climatique pourront être trouvées.

Quelle déambulation ! Quel chemin parcouru en presque 90 minutes. Je suis un peu sonné...

Citoyen(en)s : J’y crois ? Ouais, j’y crois quand même. Je suis tunisienne et le peuple s’est mobilisé pour faire changer la politique du pays. Ca a fonctionné. Maintenant, il y a d’autres problèmes, mais c’est possible ! - Moi, je suis assez optimiste sur l’humanité. Je pense que l’humain est... - Bon par nature ? - Non, pas bon par nature, je crois pas. Vu qu’il a besoin de cadre pour être bon, sinon il déconne. Toutes les dictatures tombent à un moment donné. Ça n’existe pas une dictature qui a commencé à l’époque des Romains, puis qui existerait encore aujourd’hui, ça n’existe pas...

Tôt ou tard, la soif de liberté, la soif de fraternité, on ne peut pas museler un peuple. Je pense profondément que c’est eux qui vont faire leur société, qu’on a rien nous à leur apporter. On va essayer le maximum. Enfin, je vais dire des trucs à la con, ça va faire marrer tout le monde. Des messages de paix, des messages de fraternité, d’envie de se parler, de se poser, de se regarder, de savoir qu’on est avant tout des humains et puis que cette planète, c’est un capital incroyable. Donc il faut la préserver. C’est effectivement notre environnement, c’est pas l’environnement. C’est là où on vit, là où on fait ce qu’on fait. Il faudra bien à un moment s’en rendre compte et en prendre soin.

En fait, qu’on soit homme ou femme politique, industriel ou simple citoyen, on est tous au même niveau. Celui du choix individuel. Y’aura pas de solutions miracles. Y’aura forcément des luttes. Car changer est une lutte. Contre soi-même, avant tout. Mais il peut y avoir des envies communes. Et elles sont déjà là. Qui pourraient nous permettre de sortir de l’impasse.

Vandana Shiva : Je pense que nous devons prendre conscience que les changements profonds, les révolutions des sociétés viennent toujours du peuple lui-même. Pas des gouvernements. Et nous vivons dans une époque où les entreprises dont la pollution a provoqué le changement climatique ont pris les Etats en otage en soutenant de mauvaises lois et en empêchant toute décision d’émerger de ces COP, jusqu’à les détourner. Par exemple : Monsanto va présenter son "agriculture intelligente face au climat", les fabricants d’engrais nous parlent "d’agriculture intelligente" pour prolonger une agriculture destructrice. Destructrice des sols, de l’eau, de la biodiversité, de la santé humaine. Une agriculture aliénante.

Les gouvernements peuvent échouer à la COP21, les humains ne peuvent pas échouer à sauver la Terre. En tant que citoyens du monde, notre premier devoir va à notre planète. Le chaos climatique nous offre l’occasion de changer de paradigme. Nous devons réagir en nous appuyant sur l’espoir. Nous devons réagir en nous appuyant sur la solidarité. La terre donne assez pour les besoins de chacun mais pas pour satisfaire l’avidité de quelques-uns. Nous ne pourrons faire face au changement climatique qu’en créant une démocratie ancrée dans la terre. En créant cette démocratie ancrée dans la terre, nous ne résoudrons pas seulement le problème du changement climatique, nous résoudrons les problèmes de liberté, de l’exclusion, de la violence causée par la peur. Mais cela demande aussi de trouver des façons créatives de garantir la survie de notre espèce. Car la liberté des multinationales, sous la forme du libre-échange, du Tafta, ou de l’OMC, qui a fait tant de dégâts, cette liberté n’est pas la liberté de l’homme. Les jeunes qui regardent votre programme sont le futur. Les droits du futur, de la nature, de toutes les cultures sont un seul ensemble de droits indivisibles.Semez les graines de cette liberté. Avec une graine. Dans un pot. Commencez par là. Chacun de vous peut le faire.

Sources complémentaires

Changement climatique : les 8 apocalypses à venir (Usbek et Rica - résumé article du NYTimes) :

Crédits

Un film écrit par Henri Poulain, Julien Goetz et Sylvain Lapoix
Réalisé par Henri Poulain
Producteur délégué Luc Hermann
Production exécutive - StoryCircus Hervé Jacquet
Journaliste Antoine Cauty
Détournement clip COP21 Nicolas et Bruno
Montage Henri Poulain, Guillaume Talvas
Réalisation graphique Laurent Kinowski
Monteur additionnel Julie Milouh
Images Nils Ruinet, Pedro Brito Da Fonseca, Juliette Faÿsse, François Paturel, Maxime Maujean
Chef opérateur du son Benjamin Charier
Sound design Christophe Joly
Mixage Yves Zarka
Assistant son Bastien Planchenault
Étalonnage Sasha Savic
Directeur de production Aurélien Baslé
Assistante de production Mathilde Quéru
Assistante de production adjointe Emmanuelle Benharbon
Régisseur technique Benoît Bes
Directrice administrative et financière Marie Rochet
Directeur de post-production Julien Beaupé
Assistant de post-production Matthieu Bogo
Moyen techniques tournage Vidéo Plus, Visual Impact, DCA, Vizibul, Stritlab, Aina Films, Jangala Films
Un grand merci à Monsieur Poulpe
Remerciements Bastille Design Center, Marie Ville de Paris, Florence Labalette, Carole Gehendges, Sandrine David, Aude Rodet, Alexandre Hannoun, Blanche Tivolle, Alain Cerni, Martin Arnaud, Michel Blay, Romain Morel, Sébastien Treyer
Musique Cezame Music Agency
Crédits Avec l’aimable autorisation Du Muséum National d’Histoire Naturelle - France, Grande Galerie de l’évolution Rénovée par Paul Chemetov et Borja Huidobro, et mise en scène par René Allio - France
Crédits images Getty Images (Tous droits réservés)
Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
Avec la participation de France Télévisions
Attachée de presse Sophie Desquesses
Production Armèle Montfort, Valérie Vancauwemberge
Programme Boris Razon, Renaud Allilaire


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