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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-59

Dix minutes avant la guerre

par Joe Lauria , traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 28 juin 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Dix minutes avant la guerre

Le 21 juin 2019Joe Lauria, En exclusivité pour Consortium News

Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant du Wall Street Journal, du Boston Globe, du Sunday Times of London et de nombreux autres journaux. On peut le joindre à joelauria@consortiumnews.com et le suivre sur Twitter @unjoe .

Jeudi soir, à seulement 10 minutes de la fin du compte à rebours, Donald Trump a renoncé à déclencher une guerre potentiellement désastreuse dans le golfe Persique, et pour Joe Lauria, les faucons extrémistes dont il s’est entouré reviendront probablement à la charge.

Jeudi soir, le commandant en chef a agi comme tel, même si ce n’est que l’espace d’un instant, lorsqu’il a déclaré avoir annulé les frappes aériennes contre l’Iran - et peut-être même une guerre dévastatrice - alors que le compte à rebours indiquait qu’il ne restait que 10 minutes, la raison en est qu’un général lui aurait dit qu’il fallait s’attendre à environ 150 victimes civiles iraniennes.

Donald Trump a tweeté vendredi matin :
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"Ce Lundi (sic), ils ont abattu un drone survolant les eaux internationales. Hier soir, sur 3 sites différents, nous étions prêts à riposter, le matériel était chargé, quand j’ai demandé, combien de personnes y trouveraient la mort. Un général a répondu 150 personnes. 10 minutes avant la frappe, je l’ai arrêtée, car non ... proportionnée au fait d’abattre un drone sans pilote. Je ne suis pas pressé, nos forces armées ont été mises à niveau, elles sont modernes et prêtes à l’emploi, ce sont de loin les meilleures au monde. Les sanctions déjà sévères ont été renforcées hier soir. L’Iran ne pourra JAMAIS avoir d’armes nucléaires, ni contre les USA, ni contre le MONDE !"
Il semble peu probable qu’un président ait à s’interroger à la dernière minute sur les éventuelles victimes civiles, à moins que le Pentagone ne soit devenu à ce point sans scrupules qu’il n’en tienne même plus compte dans ses plans de guerre. Plus vraisemblablement, Donald Trump et les plus extrémistes de ses conseillers en matière militaire - le secrétaire d’État Mike Pompeo et le conseiller à la sécurité nationale John Bolton - se sont livrés à une lutte féroce, et ce n’est que dans les dix dernières minutes que Trump a pris la décision de faire marche arrière, en invoquant les pertes civiles.

Les atermoiements de Trump en ce qui concerne l’Iran sont d’ordre public, principalement via Twitter. Il a envoyé des signaux très contradictoires : d’une part, il a dit à l’Iran qu’il voulait négocier pour remplacer l’accord nucléaire dont il s’était imprudemment retiré l’année dernière et, d’autre part, il est allé jusqu’à menacer de commettre un génocide.

Si Trump est engagé dans une stratégie de bon flic et de méchant flic avec l’Iran, avec Pompeo et Bolton jouant de très convaincants méchants flics, alors Trump est un désastre dans le rôle du bon flic. De fait, il a surtout joué les deux rôles à lui tout seul. On a ici trois méchants flics, Pompeo, Bolton et la moitié de Trump, et un bon flic, l’autre moitié de Trump.

S’il était vraiment attaché à la rhétorique anti-interventionniste de sa campagne, à laquelle beaucoup de ses partisans croient encore, pour commencer, il n’aurait pas nommé Pompeo et Bolton,sauf sous la pression extrême de quelqu’un comme Sheldon Adelson, l’homme de l’ombre, soutien inconditionnel d’Israël et grand mécène du parti Républicain, qui a un jour proposé de larguer une bombe nucléaire dans le désert iranien en guise d’avertissement des USA. Pompeo, et plus encore Bolton, ont démontré qu’ils essaient de mener eux-mêmes la politique iranienne des États-Unis, en dirigeant, voire en manipulant Trump ou en tentant de le contourner.

En première ligne de l’agenda de Bolton, on trouve depuis des années son objectif déclaré : bombarder l’Iran et faire chuter son régime.

Bolton a donc été l’élément moteur de l’envoi d’une force de frappe aéroportée dans le golfe Persique et, selon le New York Times, c’est lui qui, le 14 mai, a "ordonné" au Pentagone de préparer 120 000 soldats américains à être déployés dans le Golfe "si l’Iran attaquait les forces américaines ou intensifiait ses travaux sur les armes nucléaires".

Deux mois après que Bolton ait été nommé conseiller à la sécurité nationale, en juin 2018, Trump a retiré les États-Unis de l’accord des six nations qui avait conduit Téhéran à réduire son programme d’enrichissement nucléaire en contrepartie d’un assouplissement des sanctions américaines et internationales.

Au moment de la nomination de Bolton en avril 2018, Tom Countryman, qui avait été sous-secrétaire d’État en charge de la limitation des armes et de la sécurité internationale, tout comme Bolton, avait prédit à The Intercept que si l’Iran accélérait l’enrichissement nucléaire après que les États-Unis eurent quitté l’accord, ce serait " le genre de prétexte dont une personne comme Bolton se servirait pour créer une provocation militaire ou lancer une offensive directe contre l’Iran ".

En réponse à des sanctions de plus en plus sévères, l’Iran a déclaré le 5 mai (6 mai à Téhéran) son intention d’intensifier l’enrichissement d’uranium. Le jour même, Bolton a annoncé que le groupe de frappe aéroporté se dirigeait vers le Golfe. Le 10 juin, l’Agence internationale de l’énergie atomique a déclaré que l’Iran avait mis à exécution sa menace d’accélérer l’enrichissement de l’uranium.

S’ensuivirent plusieurs attaques suspectes contre des pétroliers dans le golfe Persique, les plus graves ayant eu lieu la semaine dernière à l’encontre de pétroliers japonais alors que le Premier ministre japonais était en réunion avec des responsables iraniens à Téhéran pour tenter de désamorcer la situation. L’incident qui a finalement conduit à deux doigts du désastre jeudi, a été déclenché par l’Iran qui a abattu un drone de surveillance américain RQ-4A Global Hawk. L’Iran estime qu’il s’agissait de son espace aérien. Les États-Unis clament que c’était au-dessus des eaux internationales. Une frappe aérienne américaine sur l’Iran entraînerait presque certainement des représailles de la part de Téhéran, au risque d’une guerre catastrophique qui submergerait les pays arabes sur les rives opposées du Golfe.

Cette fois, il ne s’agit pas d’un scénario du type des troupes de Saddam Hussein fuyant devant l’avancée des forces américaines. Le commandant des Gardiens de la Révolution a prévenu vendredi que les bases militaires américaines et le porte-avions USS Abraham Lincoln étaient à portée des missiles iraniens. [ Le corps des Gardiens de la révolution islamique, souvent appelé Gardiens de la Révolution ou Sepâh-e Pâsdârân — fréquemment abrégé en Pasdaran — est une organisation paramilitaire de la République islamique d’Iran dépendant directement du Guide de la révolution, le chef de l’État iranien. NdT]

Dans le salon des délégués, au siège des Nations Unies à New York, il y a plusieurs années, j’ai eu une conversation en tête-à-tête avec Javad Zarif, ministre iranien des affaires étrangères, qui était alors ambassadeur de Téhéran auprès de l’ONU. Je lui ai confié que je pensais que les États-Unis étaient l’agresseur, mais je lui ai demandé, si pour le bien de son pays et de la région et pour éviter un conflit dévastateur, l’Iran pourrait prendre la très difficile décision de céder devant Washington. "Nous préférerions nous battre et mourir plutôt que de céder", m’a dit Zarif.

Au lieu de tenir tête à Bolton et à Pompéo, qui ont tenté cette semaine de faire croire à l’histoire ridicule selon laquelle l’Iran chiite soutiendrait l’extrémisme sunnite d’Al-Qaïda (tout en le combattant en Syrie et selon un schéma identique aux mensonges de l’administration Bush liant Al-Qaïda à Saddam), Trump s’est plutôt précipité à Fox News pour murmurer à l’oreille de l’intervieweur, comme s’ils étaient seuls au monde, que le "complexe militaro-industriel" est réel et combien ses conseillers, vraisemblablement Pompeo et Bolton, "aiment la guerre.”

Il est obligé de dire ça. Le prétexte de dernière minute au sujet de la mort de civils ne fonctionnera probablement pas la prochaine fois que Pompeo et Bolton conduiront Trump à la catastrophe.

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