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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-57

La science ne sauvera pas la planète

Par Jonathan Cook, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 24 juin 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

La science ne sauvera pas la planète

29 mai 2019 Par Jonathan Cook
Jonathan Cook est un journaliste indépendant basé à Nazareth. Il tient un blog sur Jonathan Cook.net.

Manifestation d’Extinction Rebellion, Londres 22 avril 2019 (Martin Hearn via Wikimedia Commons) [ Extinction Rebellion en abrégé en XR, est un mouvement social international qui vise à susciter par le biais d’actions directes et d’une résistance non violente un changement radical afin de limiter le réchauffement climatique et de minimiser le risque d’extinction de l’humanité et d’effondrement écologique NdT]

Il est urgent que nous nous désintoxiquions de notre addiction à la consommation, que nous cessions de nous identifier au système qui nous tue, écrit Jonathan Cook. Ce n’est pas souvent que je m’exprime de façon directe sur l’effondrement climatique, même si c’est de loin le problème le plus important auquel chacun d’entre nous sera confronté de notre vivant. Et d’après mes comptes rendus sur les médias sociaux, je peux m’apercevoir que, lorsque j’écris sur des questions environnementales, mes followers [ adeptes sur les réseaux sociaux NdT] - dont la plupart, je suppose, partagent mes positions progressistes - sont les moins susceptibles de lire ces billets de blog ou de les promouvoir.

Je dois me demander pourquoi. Comme je l’ai expliqué dans mon dernier article, c’est depuis le début des années 1980, à mon adolescence, que je me soucie de l’environnement. Cela devrait maintenant préoccuper tout le monde. Et bien que les sondages au Royaume-Uni montrent que la plupart des gens s’inquiètent peu ou prou du changement climatique et de l’état de la planète, une très grande partie d’entre eux ne s’inquiètent toujours que peu ou pas du tout.

Je commence à me dire qu’une partie du problème vient du fait que nous abordons le changement climatique de façon complètement erronée. Et que l’aborder de façon judicieuse est tout simplement trop difficile à envisager pour la plupart d’entre nous parce que cela exige quelque chose de profond de notre part, quelque chose que nous craignons d’être incapables de donner.

Lorsque je partage sur les médias sociaux du contenu sur le changement climatique , ce sont invariablement des graphiques produits par des climatologues qui montrent les tendances alarmantes d’une planète qui se réchauffe. D’autres internautes, je le constate, font la même chose.

Mais en réalité, est-ce de cela qu’il s’agit ? La plupart d’entre nous - du moins ceux qui partagent ce contenu - comprennent que ce que nous dit la science est maintenant incontestable. Et même, je soupçonne ceux qui nient les changements climatiques de le faire non parce qu’ils croient que les données sont erronées, mais parce que accepter la réalité est trop écrasant, trop terrifiant.

Et cela nous amène au plus près de ce dont nous devons parler. Ceux qui sont convaincus par les graphiques et les données n’ont plus besoin de ces contenus, et ceux qui ne sont pas encore persuadés ne tiendront de toutes façons aucun compte des données scientifiques.

Alors peut-être devrions-nous moins parler de science, de graphiques et de changements climatiques, et beaucoup plus d’idéologie, du fait incontestable que la planète est en train de mourir sous nos yeux et de la façon dont nous avons conspiré pour nous rendre coupable de ce crime d’écocide. Ce n’est pas la science qui nous a mis dans ce pétrin, mais bien l’idéologie.

Notre Dieu : le consumérisme

Dans mon dernier post de blog, j’ai noté que c’est au moment où ils avaient le plus besoin de s’exprimer, dans les années 1990 et 2000 que les scientifiques ont fait profil bas - en partie parce qu’on leur a refusé une plate-forme, mais surtout parce qu’ils n’ont pas réussi à s’imposer. C’est à ce moment-là que les preuves de l’effondrement du climat étaient irréfutables et qu’il était temps de commencer à changer nos sociétés pour y faire face.

La raison pour laquelle les scientifiques se sont abstenus est, je le pense, cruciale. Ce n’était pas parce qu’ils avaient des doutes, mais parce que le paradigme dominant de nos sociétés - le paradigme partagé par la quasi-totalité d’entre nous, y compris par les scientifiques - était si profondément en conflit avec ce qu’il était nécessaire de faire pour effectuer le changement.

Pendant des décennies - jusqu’à ce que l’effondrement financier de 2008 soulève les premiers doutes - nous avons été exclusivement guidés par un paradigme de croissance économique sans fin, d’exploitation sans cesse croissante des ressources, d’accumulation en spirale de biens personnels. Le consumérisme était notre dieu individuel et la Bourse notre dieu collectif.

Et cela n’a pas changé. C’est juste que le monde réel, physique - et non celui que nous avons construit à partir du récit et de l’idéologie - continue de nous ficher des claques dans la figure pour essayer de nous réveiller de notre torpeur.

La Garde nationale aérienne du New Jersey se prépare à installer des abris d’urgence avant l’arrivée de l’ouragan Sandy, le 28 octobre 2012. (U.S. Air Force/Mark C. Olsen)

Ce n’est pas l’année dernière que les océans se sont remplis de plastique. Ce n’est pas ce mois-ci que environ 1 million d’espèces ont commencé à disparaître. Et ce n’est pas cette semaine que l’atmosphère a été soudainement polluée par le gaz à effet de serre CO2. Cela fait des décennies qu’on peut observer ces phénomènes.

La question que nous devons nous poser est la suivante : pourquoi David Attenborough et la BBC ont-ils soudainement commencé à remarquer que partout où ils ont filmé - de la haute mer aux fonds marins les plus abyssaux - il y avait une pollution par le plastique ? Ce n’était pas quelque chose de nouveau. Ce qui est important, c’est que ce n’est que récemment qu’ils ont décidé de commencer à nous en parler.

Encore une fois, ce n’est pas comme si les scientifiques venaient juste de constater qu’il y a eu une perte massive de biodiversité même dans les jungles les plus reculées, mais aussi que les populations d’insectes nécessaires pour maintenir la santé de notre planète ont disparu. Cela fait des décennies que la mortalité massive des espèces se poursuit, avant même que les températures n’aient commencé à augmenter de manière significative. Alors pourquoi se fait-il que ce n’est que récemment que nous avons commencé à voir des articles à ce sujet dans les médias libéraux comme The Guardian ?

Et, alimentées par les gaz à effet de serre, cela fait également des décennies que les températures augmentent irrémédiablement. Mais ce n’est qu’au cours de l’année écoulée que tous les records, les incendies de forêt et les conditions météorologiques anormales ont été dénoncés - parfois - replacés dans le contexte de la dégradation du climat.

La plage de Singapour. (Vaidehi Shah via Wikimedia Commons)

S’identifier à l’ennemi

La cause de ces défaillances, c’est l’idéologie. La réalité, les faits n’allaient tout simplement pas de pair avec la façon dont nous avions organisé nos sociétés, la façon dont nous en étions venus à croire que le monde, notre monde, fonctionnait. Nous ne nous sommes pas vus - nous ne nous voyons toujours pas - comme appartenant à la nature, comme étant la nature.

Au contraire, nous nous sommes vus comme extérieurs à elle, nous avons vu la nature comme quelque chose pour nous divertir, comme un parc dans lequel nous pouvons jouer ou comme un endroit exotique à observer à travers un écran comme un récit rassurant de David Attenborough. Au lieu de nous considérer comme faisant partie de la nature, nous nous sommes vus la conquérir, l’apprivoiser, l’exploiter, l’éliminer.

Derrick Jensen, parfois décrit comme un éco-philosophe, nous offre une leçon de vie simple mais révélatrice. Il fait remarquer que lorsque vous obtenez votre nourriture depuis un commerce et votre eau depuis un robinet, votre survie même dépend du système qui vous fournit ces éléments essentiels à la vie. Vous vous identifiez inévitablement complètement au système qui vous nourrit et vous abrite, aussi corrompu soit-il, aussi corrompu que soit ce système. Même s’il détruit la planète.

Si il vous faut chasser et fouiller pour trouver votre nourriture, si vous devez recueillir l’eau depuis les cours d’eau, alors vous vous identifiez à la terre et à ses sources d’eau. Leur santé représente tout pour vous.

Nous avons observé ces deux systèmes d’identification entrer dans un terrible et tragique théâtre d’affrontements lors des manifestations de Standing Rock au cours des années 2016-2017, entre ceux qui tentaient d’arrêter un oléoduc qui allait détruire des ressources naturelles vitales, occasionnant la pollution des principales rivières et la police fortement armée qui faisait respecter le système - notre système - qui place les profits pétroliers des entreprises au-dessus de la planète et de notre survie.

Un Lakota [tribu des sioux NdT] enchaîné à un engin de construction dans une action directe contre l’oléoduc Access au Dakota, 31 août 2016 (Desiree Kane via Wikimedia Commons) [Le Dakota Access Pipeline, ou Bakken pipeline, est un projet de pipeline long de 1 825 km, aux États-Unis, dans les états de l’Illinois et du Dakota du Nord. En majeure partie construit, il est controversé quant à sa nécessité, ses effets potentiels sur l’environnement et ses effets sur le changement climatique NdT]

Quiconque voyant des images de ces manifestations aurait dû comprendre que la police n’était pas là seulement pour faire respecter la loi. Ils n’étaient pas là seulement au nom de l’État, des autorités fédérales et des entreprises. Ils étaient là pour nous. Ils étaient là pour garantir notre mode de vie, notre mode de vie suicidaire, jusqu’à la fin. Jusqu’à notre extinction.

Comme eux, nous sommes prêts au combat, lourdement armés, les soldats d’une idéologie, une idéologie insensée dont on a besoin pour protéger un système nihiliste et autodestructeur.

Un virus qui tue son hôte

Il ne s’agit pas d’une question de vérité scientifique. Aucun de ces tableaux, graphiques et données n’est en fait nécessaire pour comprendre que la planète est en train de mourir, que nous sommes devenus un virus qui tue progressivement son hôte. C’est évident si nous faisons un peu d’introspection, si nous nous souvenons que nous ne sommes pas des policiers, ni des fonctionnaires, ni des fabricants d’armes, ni des dirigeants pétroliers, ni des collecteurs d’impôts, ni des scientifiques. Que le système ce n’est pas nous. Que nous ne sommes pas obligés de nous y reconnaître. Que nous pouvons nous guérir en apprenant l’humilité, en redécouvrant notre vie intérieure, en étant dans la nature, en renouant avec les autres, avec les étrangers, en manifestant contre le système et ses valeurs, en écoutant ceux que le système veut dévaloriser et exclure.

En fait, la plupart des scientifiques font partie du problème. Comme les médias, ils nous disent maintenant à quel point les choses vont mal parce que le patient est sous assistance respiratoire, parce que son état est critique. Mais ces scientifiques ne sont pas des écologistes. Ils ne sont pas qualifiés pour offrir les solutions pour ranimer le patient, pour le ramener à la santé. Les scientifiques qui ont gravi les échelons dans ces institutions mêmes qui leur ont décerné des qualifications d’experts sont tout aussi attachés à ce système idéologique suicidaire que nous tous.

Ce dont nous avons besoin, c’est de sagesses plus anciennes, de sagesses en voie de disparition, celles des peuples indigènes qui essaient encore de vivre dans la nature, de vivre de la terre et en harmonie avec elle, alors même que nous le leur rendons impossible. Nous devons de toute urgence trouver les moyens de rendre nos vies plus simples, de nous sevrer de notre addiction à la consommation, d’arrêter de nous identifier au système qui nous tue et de chercher les personnes qui sont en avance sur nous dans cette quête de la sagesse.

Nuit au camp d’Oceti Sakowin Standing Rock, manifestation du Dakota Access Pipeline, novembre 2016. (Becker1999 via Wikimedia Commons)

Premiers bourgeons de résistance

Dans mon dernier billet de blog, j’en appelais à plus de populisme - non pas le populisme réactionnaire créé par nos dirigeants actuels pour nous embrouiller, justifier plus de répression, renforcer leur propre pouvoir - mais un populisme qui cherche à déposséder du pouvoir ceux qui nous gouvernent dans leur seul intérêt personnel, à nous faire comprendre que le système est une menace, que nous avons besoin de nouvelles structures sociales, politiques et économiques.

Certains de mes lecteurs se sont élevés contre mon appel pour plus de Extinction Rebellion, plus de Greta Thunbergs, plus de grèves scolaires, plus de New Deals verts, plus d’urgences climatiques. Selon eux, ces groupes, ces stratégies sont biaisés, ou même qu’il y a là une connivence avec nos dirigeants d’entreprise, cooptés par le système lui-même.

Laissons de côté pour un instant le cynisme qui supposerait que toutes les manifestations pour nous empêcher de tuer la planète sont inutiles, qu’elles ne sont en fait pas ce qu’elles paraissent être, ou qu’elles visent à faire foirer un réel changement.

Oui, c’est vrai, les compagnies chercheront à contrarier les efforts pour changer le système qu’elles ont créé. Ses dirigeants le défendront - et défendront leurs profits - de toutes leurs forces et jusqu’à la mort. Oui, c’est vrai, ils chercheront à saboter, y compris de l’intérieur, toutes les contestations de quelques sortes qu’elles soient contre ce système. Nous ne pouvons pas nous accommoder de ces structures de pouvoir. Nous devons les renverser. C’est une évidence. Souligner ces vérités flagrantes ne nous amènera aucune approbation.

Mais les mouvements de protestation sont tout ce que nous avons. Nous en tirons de l’expérience. Nous identifions plus clairement qui sont les véritables ennemis du changement à partir de leurs réactions, de leurs efforts de subversion. Nous grandissons en sagesse. Nous trouvons de nouveaux alliés. Quand nous découvrons que les obstacles institutionnels et structurels sont encore plus grands que nous ne l’imaginions, nous apprenons à lutter plus intelligemment, plus sagement, pour changer tout à la fois la réalité extérieure mais aussi la réalité intérieure. Nous trouvons de nouvelles valeurs, de nouveaux modèles, de nouveaux paradigmes à travers la lutte elle-même.

Extinction Rebellion et les grèves scolaires ne sont pas la fin du processus, ce n’est pas notre dernier hurlement. Ce sont les tout premiers bourgeons d’une évolution rapide de notre pensée, de notre compréhension de là où nous sommes par rapport à la planète et au cosmos. Ces bourgeons peuvent être coupés. Mais des pousses plus fortes et plus vigoureuses les remplaceront inévitablement.

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