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Directement issu du rapport du GIEC de 2018

La civilisation peut-elle survivre à ce qui s’en vient ?

Par Jeff Goodell, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 14 juin 2019, par JMT

Dans mille ans d’ici, quand une machine vaguement humaine creusera dans les cendres du 21ème siècle et tentera de comprendre ce qui est arrivé à ces animaux autrefois florissants appelés Homo sapiens, on ne comprendra peut-être pas pourquoi une espèce intelligente qui était capable de construire des fusées et écrire des chansons comme "Imagine" n’a pas réussi à tenir compte des avertissements en ce qui concernait sa propre destruction. Voilà la question clé pour les futurs historiens de l’univers : Quel était de toutes façons le degré de stupidité de ces humains ?

La civilisation peut-elle survivre à ce qui s’en vient ?

Le nouveau rapport du GIEC sur les changements climatiques vous remplira d’angoisse existentielle - à juste titre... (Oct.2018)

Par Jeff Goodell pour Rolling Stone

Un pompier regarde le Canyon Fire brûler le 25 septembre 2017 à Corona, en Californie. Photo : Luis Sinco/Los Angeles Times via Getty Images

Dans mille ans d’ici, quand une machine vaguement humaine creusera dans les cendres du 21ème siècle et tentera de comprendre ce qui est arrivé à ces animaux autrefois florissants appelés Homo sapiens, on ne comprendra peut-être pas pourquoi une espèce intelligente qui était capable de construire des fusées et écrire des chansons comme "Imagine" n’a pas réussi à tenir compte des avertissements en ce qui concernait sa propre destruction. Voilà la question clé pour les futurs historiens de l’univers : Quel était de toutes façons le degré de stupidité de ces humains ?

Un nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies, la référence en ce qui concerne la science climatique, décrit en termes épouvantablement sévères ce qu’il faudrait entreprendre pour maintenir la température de la terre en dessous de 1,5 °C de réchauffement, ce qui constitue le seuil pour éviter un changement climatique catastrophique comme la disparition des forêts humides et des récifs coralliens, la fonte rapide des glaciers qui pourraient inonder les villes côtières et la chaleur extrême qui pourraient entraîner des millions de réfugiés climatiques.

Voici, en résumé, ce que dit ce nouveau rapport du GIEC : Pour éviter de dépasser l’objectif de 1,5 C, les pays du monde doivent réduire la pollution due aux énergies fossiles aussi rapidement que possible. Pour être plus précis, les nations du monde doivent parvenir à zéro émission de carbone d’ici 2050.

Permettez-moi de le souligner : Il ne suffit pas que Portland, en Oregon, ou Berkeley, en Californie, parviennent à zéro émission de carbone d’ici 2050. Ou tout l’État de Californie, d’ailleurs. Ou même l’ensemble des États-Unis.Le monde entier doit éliminer (ou compenser) la pollution par le carbone d’ici 2050.

"C’est comme une alarme anti fumée assourdissante et perçante qui se déclenche dans la cuisine. Nous devons éteindre l’incendie ", a déclaré Erik Solheim, directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement, au Washington Post.

Est-ce que quelqu’un écoute l’alarme ? Voyez-vous une ruée d’exploitants de centrales au charbon qui se précipitent pour mettre fin à leurs activités afin de sauver la civilisation ? Les éleveurs de bétail font-ils la queue pour transformer leur parc de bétail en ranchs de tofu ? Les banlieusards se débarrassent-ils définitivement de leurs 4x4 ? Je ne le pense pas.

Et pourtant il s’agit d’un rapport novateur, ne serait-ce que parce qu’il expose en des termes aussi sévères à quel point notre situation est vraiment périlleuse.

Le monde dans lequel nos parents et nos grands-parents ont grandi a disparu à jamais. Il n’y a aucune possibilité de retour en arrière.

Voici deux points importants à retenir :

Tout d’abord, bien qu’il soit vrai que le défi d’atteindre l’objectif de zéro émission d’ici 2050 soit démoralisant, ce n’est pas le moment de relâcher la pression pour éliminer les combustibles fossiles du système énergétique mondial. "Le défaitisme climatique, écrit le futuriste Alex Steffan, est tout simplement une forme de négationnisme.

La réduction de la pollution due au carbone reste la mission la plus importante et elle représente le meilleur moyen de préserver un climat stable. Le climatologue Gavin Schmidt paraphrase Eliud Kipchoge, le récent vainqueur du marathon de Berlin : "Le meilleur moment pour commencer [à réduire les émissions] était il y a 25 ans. Le deuxième meilleur moment est aujourd’hui."

L’autre grande leçon de ce rapport à retenir est qu’il est temps de s’adapter sérieusement à un monde qui change rapidement. Si nous ne le faisons pas, un bon pourcentage de la civilisation telle que nous la connaissons aujourd’hui ne survivra pas.

Jusqu’à tout récemment, pour de nombreux militants du climat et de l’énergie propre, l’adaptation était un gros mot. Si vous parlez d’adaptation, le raisonnement serait que que cela reviendrait à sous-estimer l’urgence de réduire la pollution carbone. Cela a toujours été un argument peu convaincant, mais étant donnée la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons, il se révèle aujourd’hui carrément autodestructeur.

Comme l’indique clairement ce nouveau rapport du GIEC, il est trop tard pour arrêter le changement climatique. Notre monde change rapidement, et ces changements ne feront que s’accélérer - peu importe la rapidité avec laquelle nous réduisons la pollution par le carbone (bien que la réduction de la pollution par le carbone puisse avoir un impact important sur le rythme et la trajectoire de ces changements).

D’un point de vue purement économique, le coût de la négation du climat est déjà énorme. L’an dernier, les dommages causés par des conditions météorologiques extrêmes ont atteint 306 milliards de dollars aux États-Unis seulement, soit le montant le plus élevé jamais enregistré. Si nous ne repensons pas le lieu et la façon dont nous construisons nos maisons et nos infrastructures, ces coûts ne feront qu’augmenter.

Que représente l’adaptation ? Au sens large, cela signifie que nous devons penser différemment en ce qui concerne notre lieu de résidence, notre mode de vie, ce que nous mangeons et notre façon de voyager.

Plus précisément, cela signifie des choses comme adapter les villes côtières à la montée des eaux en repensant la démarcation entre la terre et la mer et en adoptant des politiques qui encouragent le recul par rapport aux terres basses, en augmentant les impôts pour financer l’amélioration des infrastructures, en réformant l’assurance inondation, en modifiant les lois de zonage pour empêcher la construction dans les zones de feux de forêt et, peut-être plus important, en luttant pour être sûrs que les milliards de dollars qui seront investis dans les projets d’adaptation climatique ne sont pas destinés à protéger les riches.

L’adaptation au changement climatique est déjà un grave problème de justice sociale, et la division entre ceux qui sont sauvés et ceux qui sont condamnés risque de s’accentuer à mesure que les effets du changement climatique se feront sentir.

Mais l’adaptation signifie aussi parler ouvertement de géo-ingénierie (souvent définie comme la manipulation à grande échelle du climat de la Terre pour réduire les risques de réchauffement). Il existe différentes technologies qui pourraient être utiles, mais la plus performante - et la plus controversée - est connue sous le nom de gestion du rayonnement solaire. En termes simples, vous injectez de minuscules particules dans la stratosphère pour aider à réfléchir une petite quantité de lumière solaire, ce qui refroidirait la planète.

Cela se révèle extrêmement complexe, surtout dans le domaine de la gouvernance et de l’acceptabilité sociale (pour en savoir plus à ce sujet, consultez mon livre How to Cool the Planet, ou l’excellent The Planet Remade d’Oliver Morton). Et ce n’est certainement pas une solution rapide pour résoudre bon nombre des problèmes causés par une trop grande quantité de carbone dans l’atmosphère (cela ne contribue en rien, par exemple, à la réduction de l’acidification des océans).

Mais exercée intelligemment (c.-à-d. guidée par une démarche scientifique sensée et une grande dose d’humilité), elle pourrait être une façon d’atténuer un réchauffement radical et de gagner un peu plus de temps pour éliminer les combustibles fossiles.

Le nouveau rapport du GIEC fait peu mention de la géo-ingénierie solaire, si ce n’est ce qu’on s’entend généralement pour dire qu’elle pourrait maintenir les températures sous 1,5°C. Mais ce silence n’est pas surprenant, étant données d’une part la controverse que suscite la géo-ingénierie et d’autre part la nouveauté de la science qui en est à l’origine.

Dans un article de Rolling Stone de 2011 que j’ai écrit sur Lowell Wood, un militaire du Pentagone qui a été l’un des premiers défenseurs de la géo-ingénierie, il le précise sans ménagement :

Wood pense que la géo-ingénierie du climat est inexorable, ne serait-ce que parce que la politique et l’économie l’exigeront. Les géo-ingénieurs, dit-il dans un récent courriel, n’auront qu’à attendre patiemment que les "élites politiques" décident qu’il est dans leur meilleur intérêt d’agir.

Une fois qu’ils réaliseront que la géo-ingénierie est la solution la moins chère, il prédit, "ils viendront sûrement et sans attendre faire du raffut à la porte de la géo-ingénierie. ? L’avenir nous appartient, Camarades - l’histoire (oui, bon, la géophysique et l’économie sont de notre côté ! :-)".

Bien sûr, vous pourriez rétorquer que, étant donné que nous n’arrivons même pas à nous mettre d’accord pour fermer les centrales au charbon, le fait de s’amuser avec le climat de la Terre est un moyen encore plus sûr de foutre en l’air notre planète que ce nous ne l’avons déjà fait. Et vous pourriez avoir raison.

Mais c’est le dilemme dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. À tout le moins, le nouveau rapport du GIEC nous dit que le monde dans lequel nous avons tous grandi - et le monde dans lequel nos parents et nos grands-parents ont grandi - est à jamais disparu. Il n’y a pas de retour en arrière.

Nous plongeons dans un monde qui change rapidement, un monde qui est différent de tous les mondes dans lesquels les humains ont vécu auparavant, et ces changements ne feront que s’accélérer dans les années à venir. Nous savons que c’est certain, aussi sûrement que nous savons que le soleil se lèvera demain.

Ce qui n’est pas encore clair, c’est le cas échéant, ce que nous sommes prêts à faire.

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