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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-54

Les prétextes pour attaquer l’Iran

par Ray McGovern, traduit par Jocelyne le Boulicault

mercredi 12 juin 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les prétextes pour attaquer l’Iran

15 mai 2019, Par Ray McGovern, Exclusivité pour Consortium News

Ray McGovern travaille avec Tell the Word, une maison d’édition de l’Église œcuménique du Sauveur dans le centre-ville de Washington. Il a été analyste de la CIA pendant 27 ans, puis conseiller présidentiel et cofondateur de Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS).

Enquête de Ray McGovern quant à la montée en puissance de l’attitude belliqueuse américaine envers un pays dont la menace stratégique est tout aussi inexistante que celle qui était posée par l’Irak.

Bolton le va-t-en guerre (Gage Skidmore via Flickr)

Une ré-édition de la guerre d’Irak est actuellement en préparation, les rôles principaux étant tenus par certains des mêmes protagonistes - le conseiller du président Donald Trump pour la sécurité nationale, ou par exemple John Bolton qui dit qu’il continue de penser que l’attaque de l’Irak était une bonne idée. Le secrétaire d’État Mike Pompeo en est la co-vedette.

Le New York Times a joué mardi (14 mai) son rôle habituel qui consiste à attiser les incendies, en publiant sur sa première page un rapport précisant qu’à la demande de Bolton, le ministre de la défense par intérim Patrick Shanahan avait présenté un plan actualisé visant à envoyer jusqu’à 120 000 soldats au Moyen-Orient, si toutefois l’Iran en venait à attaquer les forces américaines ou à accélérer son programme d’armement nucléaire. Ou du moins, l’auteur de la manchette du Times a estimé qu’il était judicieux de faire référence aux échos du passé : "La Maison-Blanche passe en revue ses plans militaires contre l’Iran, en écho à la guerre d’ Irak."

Dès la mi-journée, Trump démentait le reportage du Times, le qualifiant de "fake news". On va les laisser deviner, voilà le nom du jeu.

Suivant la même stratégie qu’en Irak, Bolton et Pompeo sont en train de se baser sur des renseignements Israéliens contestables pour " justifier " une attaque - cette fois-ci - contre l’Iran. (Pour le belliqueux Bolton, c’était tout à fait prévisible.) Tout cela est évident.

Ce qui n’est pas clair, tant pour les Américains que pour les étrangers, c’est la raison pour laquelle Trump permettrait à Bolton et à Pompeo de manier les mêmes accusations spécieuses - terrorisme et armes nucléaires - pour provoquer la guerre avec un pays qui ne constitue pas plus une menace stratégique pour les États-Unis que ne le faisait l’Irak - l’Iran ne représente aucune menace. Les médias institutionnels, dans une amnésie de deux décennies et un parti pris nettement pro-israélien, ne contribuent que peu à améliorer la compréhension.

Avant de discuter de la principale motivation derrière l’intensification actuelle des menaces contre l’Iran, celle dont on ne parle pas dans les cercles politiques bien élevés, effaçons certains sous-entendus en abordant les deux justifications ostensibles, boiteuses mais cependant privilégiées, dont aucune ne peut résister à un examen approfondi :

No. 1 : Ce n’est pas parce que l’Iran est le premier sponsor mondial du terrorisme. Nous, de Veteran Intelligence Professionals for Sanity [Veteran Intelligence Professionals for Sanity est un groupe d’anciens officiers de la communauté du renseignement des États-Unis NdT], avons mis fin à cette légende il y a un an et demi. Dans un mémorandum pour le Président Trump, nous avons dit : décrire l’Iran comme " état qui serait le plus grand commanditaire du terrorisme dans le monde " n’est pas corroboré par les faits. Certes, l’Iran est coupable d’avoir utilisé le terrorisme comme instrument de politique nationale dans le passé, mais l’Iran de 2017 n’est pas l’Iran de 1981. Dans les premiers temps de la République islamique d’Iran, des agents iraniens commettaient régulièrement des attentats à la voiture piégée, des enlèvements et des assassinats de dissidents et de citoyens américains. Cela n’est plus le cas depuis de nombreuses années."

No. 2 : Ce n’est pas parce que l’Iran construit une arme nucléaire. En novembre 2007, le National Intelligence Estimate des États-Unis a conclu à l’unanimité que l’Iran avait cessé de travailler sur une arme nucléaire en 2003 et n’avait pas repris ce travail. Depuis, chaque année, la communauté du renseignement réaffirme ce constat.

L’équipe américaine se rend à la réunion du JCPOA à l’ONU, New York, 2016. (Département d’Etat)

Le Plan d’action global conjoint [JCPA NdT], communément appelé l’accord nucléaire iranien, a imposé de nouvelles restrictions strictes et vérifiables concernant les activités nucléaires iraniennes et il a été approuvé en juillet 2015 par l’Iran, les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume Uni, l’Allemagne et l’Union européenne.

Même l’administration Trump a reconnu que l’Iran respectait les dispositions de l’accord. Néanmoins, le président Trump a retiré les États-Unis de l’accord nucléaire iranien le 8 mai 2018, quatre semaines après que John Bolton soit devenu son conseiller à la sécurité nationale.

"Nous préférons qu’il n’y ait pas de résultat"

Avertissement judicieux : Ce qui suit sera peut être un choc pour ceux qui souffrent de dénutrition à cause de la sottise des médias grand public : Le "POURQUOI", c’est tout simplement Israël. Il est impossible de comprendre la politique américaine au Moyen-Orient si on ne se rend pas compte du poids écrasant de l’influence d’Israël sur cette dernière et sur les faiseurs d’opinion. (Une expérience personnelle m’a fait prendre conscience de l’appétit du public pour les histoires vraies, suite à une entrevue vidéo d’une demi-heure accordée au vidéaste indépendant Regis Tremblay il y a trois ans. Il l’a intitulée " Vu de l’intérieur, le scoop sur le Moyen Orient & Israël ", l’a postée sur YouTube et a obtenu un nombre inhabituellement élevé de vues.)

Le cas de la Syrie en est un parfait exemple dans la mesure où Israël a toujours cherché à assurer sa position au Moyen-Orient en s’assurant le soutien des États-Unis pour freiner et dominer ses voisins. Un épisode que j’ai raconté dans cet entretien en dit long sur les objectifs israéliens dans l’ensemble de la région, et pas seulement en Syrie. Et cela, directement de la bouche de hauts responsables israéliens, de façon exceptionnellement franche, inclut exposer et assumer les objectifs israéliens. C’est le genre d’étude de cas, d’approche empirique qu’il faut préférer aux déclarations fastidieuses ou, pire encore, aux prétendues "évaluations du renseignement".

Il est clair depuis longtemps que les dirigeants israéliens ont de puissantes motivations pour inciter Washington à s’engager plus loin encore dans une nouvelle guerre dans la région. Cette priorité israélienne est devenue claire comme de l’eau de roche à bien des égards. La journaliste Jodi Rudoren, écrivant de Jérusalem, dans un article important du New York Times du 6 septembre 2013, abordait d’une manière particulièrement franche la motivation d’Israël. Dans son article intitulé "Israel Backs Limited Strike against Syria" [ Israël soutient des frappes limitées à l’encontre de la Syrie NdT], elle notait que les Israéliens avaient fait discrètement valoir que le meilleur résultat pour la guerre civile syrienne, du moins pour le moment, se résumait à n’obtenir aucun résultat.

Rudoren écrit : " Vu depuis Jérusalem, le statu quo, quelque horrible qu’il soit d’un point de vue humanitaire, semble préférable à une victoire du gouvernement de M. Assad et de ses partisans iraniens ou à un renforcement des groupes rebelles, de plus en plus dominés par les jihadistes sunnites. On est là dans une situation de séries éliminatoires dans laquelle il est nécessaire que les deux équipes perdent, à tout le moins on ne veut pas qu’une d’entre elle en sorte gagnante - au pire, on se contentera d’une égalité ", a déclaré Alon Pinkas, ancien consul général d’Israël à New York. Qu’ils saignent tous les deux, hémorragie à mort : voilà la pensée stratégique ici. Tant que ça dure, la Syrie ne représente pas une menace réelle."

Si c’est comme ça que les dirigeants actuels d’Israël considèrent le carnage en Syrie, ils semblent aussi croire qu’une plus grande implication des États-Unis, y compris une action militaire, est susceptible de garantir qu’il n’y aura pas de résolution rapide du conflit, surtout lorsque les forces gouvernementales syriennes semblent avoir le dessus. Selon les calculs, plus les sunnites et les chiites s’entre-tuent en Syrie et dans l’ensemble de la région, plus Israël sera en sécurité.

Le fait que le principal allié de la Syrie soit l’Iran, avec lequel elle a un traité de défense mutuelle, joue également un rôle dans les calculs israéliens. Et comme le soutien militaire iranien n’a pas été suffisant pour détruire ceux qui défient Bachar al-Assad, Israël peut le souligner dans une tentative d’humilier l’Iran en tant qu’allié.

Aujourd’hui, la question géographique a glissé de la Syrie à l’Iran : Ce qui se passe dans la région du golfe Persique est dû à l’obséquiosité politique des présidents américains à l’égard des politiques et des actions des dirigeants israéliens. Ce phénomène bi-partisan était assez évident sous des présidents récents comme Clinton et Obama ; mais sous Bush II et Trump, le raisonnement a pris des stéroïdes, y compris en y ajoutant un aspect religieux fondamentaliste et de nouvelle naissance [ Born again ou nouvelle naissance désigne un individu qui affirme avoir vécu une régénération spirituelle par le Saint-Esprit après s’être repenti de ses péchés et donc s’être réconcilié avec Dieu NdT].

Jodi Rudoren (Twitter)

Il est à peine nécessaire de souligner le pouvoir politique du lobby israélien et les dons lucratifs de Sheldon Adelson à la campagne électorale. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou est en train de monter en puissance, du moins pour le moment, et l’influence israélienne est particulièrement forte dans la période précédant les élections américaines, d’autant que Trump a été disculpé en ce qui concerne les accusations de collusion avec la Russie. Toutes les étoiles semblent alignées pour qu’il y ait de très fortes " frappes de représailles " pour punir les actes terroristes imputés à l’Iran.

Tonkin — euh, je veux dire Golfe Persique

Au cours du week-end (11-12 mai), quatre navires, dont deux pétroliers saoudiens, ont été sabotés près du détroit d’Ormuz. Hier soir, le Wall Street Journal a été le premier à faire état d’une " évaluation initiale des États-Unis " selon laquelle l’Iran était probablement à l’origine des attentats, et a cité un " responsable américain " qui a déclaré que si cela était confirmé, les tensions militaires dans le golfe Persique s’enflammeraient. L’attaque s’est produite alors que les États-Unis déployaient un porte-avions, des bombardiers et une batterie antimissile dans le golfe - prétendument pour dissuader ce que l’administration Trump a appelé la possible agression iranienne.

Mardi (14 mai), les rebelles yéménites Houthi, contre lesquels l’Arabie saoudite mène une guerre meurtrière depuis quatre ans, ont lancé une attaque par drone contre un oléoduc saoudien est-ouest qui achemine du pétrole brut vers la mer Rouge. Ce n’est pas la première attaque de ce type ; un porte-parole Houthi a déclaré que l’attaque était une réponse à l’"agression" et au "génocide" saoudiens au Yémen. Les Saoudiens ont fermé le pipeline pour réparation.

Par conséquent, les dangers à l’intérieur et à proximité du détroit d’Ormuz augmentent rapidement au rythme des accusations américano-iraniennes. Cela non plus n’est pas nouveau.

La tension dans le détroit était très présente dans l’esprit du chef d’état-major interarmées, l’amiral Mike Mullen, alors qu’il se préparait à prendre sa retraite le 30 septembre 2011. Dix jours auparavant, il avait fait part au Service de presse des forces armées de sa profonde préoccupation face à l’absence de communications officielles entre les États-Unis et l’Iran depuis 1979 :"Même aux jours les plus sombres de la guerre froide, nous avions des liens avec l’Union soviétique. On ne parle pas à l’Iran. Donc on ne se comprend pas. S’il se passe quelque chose, il est pratiquement certain qu’on n’y arrivera pas, qu’il y aura des erreurs de jugement."

Aujourd’hui, le risque d’incident s’est considérablement accru. L’amiral Mullen s’inquiétait surtout des décisions prises à la hâte par les différentes parties - Iran, États-Unis, Israël - avec, vous l’avez deviné, des "conséquences non intentionnelles".

Pompéo et Bolton étant en roue libre, le monde a tout intérêt à s’inquiéter encore plus des "conséquences escomptées" d’une attaque au faux drapeau. Les Israéliens sont les maîtres dans ce domaine. Voilà longtemps qu’on trouve également cette tactique dans la boîte à outils clandestine des États-Unis. Ces derniers jours, le Pentagone a fait état d’une "activité navale anormale" dans le golfe Persique, y compris le chargement de missiles et autres matériels militaires sur de petits voiliers.

Seymour Hersh. (Giorgio Montersino via Flickr)

Cheney : en bateau jusqu’à la mer

En juillet 2008, le journaliste d’investigation Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer, a rapporté que des responsables de l’administration Bush s’étaient réunis dans le bureau du vice-président à la suite d’un incident survenu en janvier 2008 entre des patrouilleurs iraniens et des navires de guerre américains dans le détroit d’Ormuz. Le but avoué de la réunion était de discuter des moyens pour déclencher une guerre avec l’Iran

Hersh a écrit : "En ce qui concerne la façon de déclencher une guerre, une douzaine d’idées ont été avancées. Celle que j’ai trouvé la plus intéressante, c’est pourquoi ne construisons-nous pas dans nos chantiers navals quatre ou cinq bateaux qui ressemblent à des torpilleurs iraniens. On y met des Navy seals avec beaucoup d’armes [les Navy SEALs, sont la principale force spéciale de la marine de guerre des États-Unis NdT]. Et la prochaine fois qu’un de nos bateaux se dirige vers le détroit d’Ormuz, on commence la fusillade. Pourrait occasionner quelques morts. Et ça a été rejeté parce qu’on ne peut pas laisser des Américains tuer des Américains. C’est de ce genre de truc, voilà le niveau de ce dont on parle. De provocation. Stupide ? Peut-être. Mais potentiellement très meurtrier. Parce que l’une des choses qu’ils ont apprises lors de l’incident [de janvier 2008] c’est que si on réussit l’incident adéquat, le public américain soutiendra le kiss-kiss-bang-bang. Tu sais, on est là dedans." [référence à la comédie policière dans laquelle Harry Lockhart, voleur en fuite, se retrouve accidentellement au beau milieu d’un casting de polar Hollywoodien. Afin de préparer au mieux son rôle, il fait équipe avec un détective privé sans foi ni loi et une comédienne en herbe. Ils finiront par se retrouver impliqués dans une réelle et mystérieuse affaire de meurtre.]

Préparation du champ de bataille (de propagande)

L’un des moyens préférés de Washington pour noircir l’Iran et ses dirigeants est de leur faire porter la responsabilité de la mort de troupes américaines en Irak. L’Iran a été accusé, entre autres, d’avoir fourni les engins explosifs improvisés les plus meurtriers, mais des sycophantes comme le général David Petraeus voulaient marquer des points en accusant les Iraniens d’encore plus de faits.

Le 25 avril 2008, le chef d’état-major inter-armées, l’amiral Mike Mullen, a déclaré aux journalistes que le général David Petraeus ferait un point "dans les deux prochaines semaines" et donnerait des preuves détaillées de "l’ampleur exacte des efforts déployés par l’Iran pour favoriser l’instabilité en Irak".

Les équipes de Petraeus ont alerté les médias américains au sujet d’un événement médiatique majeur au cours duquel des armes iraniennes saisies à Karbala, en Irak, seraient exposées, puis détruites. Mais il y a eu un petit problème. Lorsque des experts américains en munitions se sont rendus à Karbala pour inspecter la cache présumée d’armes iraniennes, ils n’y ont rien trouvé qui puisse être lié de façon convaincante à l’Iran.

Cet épisode embarrassant n’a pratiquement pas été couvert par les médias occidentaux - c’est comme l’arbre légendaire qui tombe dans la forêt sans qu’aucun média grand public ne l’entende se fracasser. Un fiasco ne devient un fiasco que quand les gens en entendent parler. En fait, les Irakiens ont fait savoir que le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki avait diligenté son propre comité de Cabinet pour enquêter sur les allégations américaines afin de "trouver des informations tangibles et non des informations fondées sur des spéculations".

Avec ses moulins à vent pleins d’une rhétorique anti-iranienne néoconservatrice, Petraeus, en tant que directeur de la CIA, a néanmoins persisté - et a inventé des allégations encore plus imaginatives quant à la perfidie iranienne. Souvenez-vous, par exemple, du mois d’octobre 2011 et du récit d’espionnage farfelu raconté par la Maison-Blanche à l’époque : le complot de l’Iranien-américain, vendeur de voitures d’occasion, narcotrafiquant mexicain, pour assassiner l’ambassadeur saoudien aux États-Unis. Et bouchez-vous le nez.

Plus récemment, le Pentagone a annoncé qu’il avait augmenté son estimation du nombre de soldats américains tués en Irak entre 2003 et 2011. Le bilan révisé signifierait que l’Iran est responsable de 17% de toutes les troupes américaines tuées en Irak.

Qui va refréner les "Cinglés" ?

Pompeo a fait un arrêt à Bruxelles lundi (13 mai) pour discuter de l’Iran avec les dirigeants européens, ratant ce qui aurait été le premier jour d’un voyage de deux jours en Russie. Pompéo n’a pas parlé aux médias à Bruxelles, mais les ministres européens des Affaires étrangères ont déclaré qu’ils avaient appelé à la "retenue".

Le ministre britannique des Affaires étrangères, Jeremy Hunt, a déclaré aux journalistes : "Nous sommes très inquiets, il y a un risque de conflit qui serait déclenché par accident, avec une escalade involontaire, en fait de part et d’autre." Le général de division de l’armée britannique Christopher Ghika a été fustigé par le commandement central américain pour avoir dit mardi : "Il n’y a pas eu de menace accrue de la part des forces soutenues par l’Iran en Irak et en Syrie." Le porte-parole du Commandement central, le capitaine Bill Urban, a déclaré que les remarques de Ghika "vont à l’encontre des menaces crédibles identifiées obtenues par les services de renseignement des États-Unis et de leurs alliés concernant les forces soutenues par l’Iran dans cette région".

Ghika : "Réduire la menace." (Phillip McTaggart/U.S. Army)

Bien qu’il y ait de plus en plus de ressentiment à l’égard des nombreux problèmes sérieux soulevés par le retrait des États-Unis de l’accord avec l’Iran décidé par Trump, et qu’il y ait de plus en plus de piques de l’UE face à des poids lourds comme Pompéo qui s’imposent dans les réunions de l’UE sans y être invités, je rejoins Pepe Escobar lorsqu’il dit, en conclusion, qu’il est politiquement naïf de croire que les Européens vont soudainement se doter d’une colonne vertébrale.

Il reste cependant un espoir fragile, celui que des têtes de l’armée américaine plus sereines puissent rassembler leur courage afin de convaincre Trump de faire preuve d’un peu de bon sens, indiquant ainsi clairement qu’ils n’obéiront aux ordres ni de Pompeo ni de John Bolton, conseiller à la sécurité nationale. Mais il est bien plus vraisemblable qu’en fin de compte, les généraux et les amiraux d’aujourd’hui feront un salut militaire et "suivront les ordres".

Il y a un espoir un peu moins désespéré, la Russie pourrait donner à Pompeo un sérieux avertissement à Sotchi - un coup de semonce, pour ainsi dire. La dernière chose que la Russie, la Chine, la Turquie et d’autres pays veulent, c’est une attaque contre l’Iran. Les réalités stratégiques ont bien changé depuis les deux guerres d’Irak.

En 1992, toujours dans le sillage de Tempête du désert (la première guerre du Golfe), l’ancien général Wesley Clark a demandé à Paul Wolfowitz, alors sous-secrétaire à la politique de Défense, quelles leçons importantes tirer de Tempête du désert, l’attaque contre l’Irak de 1991. Sans hésiter, Wolfowitz a répondu : "Nous pouvons faire tout ça et les Russes ne nous arrêteront pas." C’était encore le cas lors de la deuxième attaque contre l’Irak en 2003.

A droite, Paul Wolfowitz, sous-secrétaire à la politique de Défense, prenant des notes pendant la conférence de presse lors de la première guerre du Golfe. (Lietmotiv via Flickr)

Mais beaucoup de choses ont changé depuis : en 2014, les Russes ont mis fin à l’expansion de l’OTAN pour y inclure l’Ukraine, après le coup d’État de Kiev dirigé par l’Occident ; et dans les années qui ont suivi, Moscou a contrecarré les tentatives des États-Unis, d’Israël et d’autres pays pour destituer le président syrien Bachar al-Assad.

Il ne fait aucun doute que le président russe Vladimir Poutine aimerait bien nous "arrêter" avant que l’équipe de Bolton/Pompeo ne trouve un casus belli "iranien". Les premiers rapports en provenance de Sotchi, où Pompéo a rencontré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le président Vladimir Poutine mardi, indiquent qu’il n’y a pas eu de convergence de vues sur l’Iran. Pompéo et Lavrov ont tous deux décrit leurs discussions comme "franches" - un langage diplomatique pour dire acrimonieuses.

Pompéo a probablement eu droit en privé à des avertissements beaucoup plus sévères pendant les pourparlers de Sotchi avec Lavrov et Poutine. L’un ou l’autre ou les deux peuvent même avoir mis en jeu la puissante carte de la Chine, alors que la Russie et la Chine ont une relation vraiment proche d’une alliance militaire - une modification capitale de ce que les Soviétiques appelaient autrefois la "coresponsabilité des forces".

Je peux même d’ici imaginer et visualiser l’avertissement de Poutine : "Si vous attaquez l’Iran, vous avez peut-être envie de vous préparer à des problèmes ailleurs, y compris dans le sud de la mer de Chine. En outre, l’équilibre stratégique est très différent des conditions qui ont prévalu à chaque fois que vous avez attaqué l’Irak. Nous vous conseillons vivement de ne pas commencer les hostilités avec l’Iran - sous aucun prétexte. Si vous le faites, cette fois-ci nous sommes prêts ."

Et, bien sûr, Poutine pourrait également prendre son téléphone et simplement appeler Trump.

Il n’y a cependant aucune garantie que des propos musclés de la part de la Russie pourraient enfoncer un coin de fer pour enrayer les roues de l’imposante machine qui descend à toute vitesse la pente vers la guerre contre l’Iran. Mais, en l’absence d’une intervention forte et dissuasive, une attaque contre l’Iran semble inévitable. Si nous devions conseiller le président Trump aujourd’hui, nous, les VIPS, ne changerions pas un mot de la recommandation, à la toute fin du mémorandum, que nous avions envoyée au président George W. Bush dans l’après-midi du 5 février 2003, après l’adresse de Colin Powell au Conseil de sécurité des Nations Unies plus tôt dans la journée :

"Personne n’a d’emprise sur la vérité ; et nous ne nous faisons aucune illusion quand au fait que notre analyse puisse être irréfutable ou indéniable [comme Powell l’avait prétendu]. Mais après avoir regardé le Secrétaire Powell aujourd’hui, nous sommes convaincus que vous auriez tout intérêt à élargir la discussion... au-delà du cercle de ces conseillers clairement résolus à une guerre pour laquelle nous ne voyons aucune raison impérieuse et dont nous pensons que les conséquences non escomptées seraient susceptibles d’être catastrophiques".

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