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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-42

L’agriculture industrielle occidentale avale nos forêts et accélère le changement climatique

Par Nafeez Ahmed, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 6 mai 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’agriculture industrielle occidentale avale nos forêts et accélère le changement climatique

17Avril 2019 Par Nafeez Ahmed,

La dynamique de la déforestation est de plus en plus inséparable de la demande croissante de denrées alimentaires de la part des consommateurs des pays les plus développés.

Les humains sont en train de manger les forêts mondiales. Pas directement, bien sûr, mais une kyrielle de nouvelles études montre que c’est comme si c’est ce qu’on faisait.

Voilà, bien sûr, une très mauvaise nouvelle pour le climat - ce qui veut dire une mauvaise nouvelle pour toute vie sur terre.

La déforestation est la deuxième source mondiale d’émissions de carbone d’origine humaine, émissions qui, rappelons-le, constituent le principal moteur du changement climatique. À l’heure actuelle, nous sommes sur la bonne voie pour franchir le seuil de danger climatique d’ici 12 ans, selon les Nations Unies.

Cependant une nouvelle étude scientifique réalisée par une équipe de scientifiques européens révèle que la principale cause de déforestation est l’agriculture industrielle - et parmi les principaux coupables figurent certains des noms les plus connus de l’industrie agroalimentaire occidentale, tels que Cargill et Bunge.

Nous sommes en train de manger la planète

Cette étude, publiée fin mars dans la revue Global Environmental Change, est la première du genre à démontrer à quel point la déforestation sous les tropiques est directement liée à la production alimentaire industrielle.

Si on se concentre sur la période 2010-2014, elle montre que les produits à base de viande bovine et d’oléagineux représentent plus de la moitié des émissions dues à la déforestation tropicale, l’Europe et la Chine étant les principaux importateurs. De façon générale, le commerce mondial de ces produits représente jusqu’à 39 % des émissions.

Cet article, dont les principaux auteurs sont Florence Pendrill et Martin Persson de l’Université de technologie Chalmers en Suède, démontre que la déforestation est principalement due à l’utilisation des terres pour les céréales, les pâturages et les plantations forestières pour produire des produits spécifiques qui sont largement consommés dans le monde par les nations industrielles.

Les autres chercheurs ayant participé à l’étude viennent du Stockholm Environment Institute en Suède, du Senckenberg Biodiversity and Climate Research Centre en Allemagne et du NTNU, l’Université norvégienne des sciences et technologies.

L’étude révèle que l’alimentation du citoyen européen moyen a une empreinte carbone importante, dont un sixième provient des émissions liées à la déforestation. Pour certains pays (comme Malte, le Japon, le Luxembourg et la Belgique), les émissions de carbone dues aux importations de produits liés à la déforestation sont en fait supérieures à la moitié de leurs propres émissions agricoles nationales.

Et pourtant, ces données ne sont généralement pas prises en compte lorsque les pays comptabilisent les quantités d’émissions nationales de carbone.

La production de viande bovine au Brésil, dans le reste de l’Amérique latine et en Afrique est de loin le principal moteur mondial des émissions de carbone induites par la déforestation, représentant quelque 34 pour cent des émissions. Les produits oléagineux, tels que les huiles végétales, constituent le deuxième facteur important, avec un taux d’environ 20 pour cent.

D’autres produits de base comme le riz, le blé, le cacao, le café, le thé et les épices jouent un rôle moins prépondérant mais néanmoins important.

Commerce de l’extinction

Bien que l’UE soit le sujet principal du présent document, des scientifiques de l’Institut de météorologie et de recherche climatique, de l’Institut de recherche sur l’environnement atmosphérique (IMK-IFU), de l’Institut de technologie de Karlsruhe et de l’École des géosciences de l’Université d’Edimbourg ont signalé que les États-Unis s’apprêtent à aggraver considérablement la situation.

Un nouvel article publié le mois dernier dans Nature nous avertit, la guerre commerciale entre le président Donald Trump et la Chine risque de déclencher une nouvelle phase de déforestation accélérée au Brésil.

Au cours des deux dernières décennies, la croissance fulgurante du marché mondial du soja a entraîné une déforestation massive de la forêt tropicale amazonienne. En réponse aux droits de douane américains allant jusqu’à 25 % sur les importations chinoises, la Chine a pris des mesures de rétorsion en imposant des droits de douane allant jusqu’à 25 % sur les produits américains, y compris le soja produit aux États-Unis principalement pour l’alimentation animale.

"la dynamique de la déforestation est de plus en plus inséparable de la demande croissante de denrées alimentaires de la part des consommateurs des pays les plus développés".

Alors que les exportations américaines de soja vers la Chine ont chuté de moitié, la demande chinoise continue de croître. Voilà pourquoi, au lieu d’importer depuis les États-Unis, la Chine compensera le déficit en augmentant ses importations en provenance du Brésil, ce qui aura des conséquences dévastatrices sur la forêt amazonienne.

"Nous estimons qu’une recrudescence de la déforestation tropicale pourrait se produire en raison de la nouvelle demande des autres grands fournisseurs de la Chine afin de fournir jusqu’à 37,6 millions de tonnes (c’est-à-dire la quantité que la Chine a importé depuis les États-Unis en 2016) ", ont écrit Richard Fuchs, chercheur principal à l’Institut technologique de Karlsruhe, et ses co-auteurs.

Selon Fuchs et ses homologues, la superficie consacrée à la production de soja au Brésil pourrait augmenter de 39 pour cent, ce qui pourrait détruire 13 millions d’hectares de forêt tropicale.

Ce chiffre pourrait même être sous-estimé. Leurs prévisions ne tiennent pas compte des hausses de la demande non liées à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Ils soulignent que la demande de soja de la Chine a augmenté de façon exponentielle depuis 2000, augmentant de 200 % en provenance d’Argentine, de 700 % des États-Unis et de 2 000 % du Brésil.

En plus de mettre fin à une guerre commerciale qui, de l’avis de nombreux observateurs, est autodestructrice, les scientifiques suggèrent que l’un des moyens de prévenir une catastrophe imminente est que les États-Unis et la Chine acceptent d’éliminer le soja de leurs droits de douane mutuels.

La forêt tropicale amazonienne est déjà mise à rude épreuve par le changement climatique, avec des sécheresses plus intenses qui sapent de plus en plus la croissance des arbres. A mesure que la déforestation accélère, la capacité de la forêt à agir comme un " puits de carbone " - absorbant le dioxyde de carbone de l’atmosphère - diminue considérablement.

Ces dernières années, avec l’accélération de la déforestation, les forêts tropicales comme l’Amazonie libèrent maintenant plus de carbone dans l’atmosphère qu’elles n’en absorbent. L’an dernier, une étude dans Science Advances a conclu que l’Amazonie est sur le point de connaître un " point de basculement " au-delà duquel la forêt tropicale pourrait connaître une dégradation irréversible.

Grandes entreprises

Ces nouvelles études démontrent que la dynamique de la déforestation est de plus en plus inséparable de la demande croissante de denrées alimentaires des consommateurs des pays les plus développés. Mais elles révèlent aussi le rôle de certaines des plus grandes entreprises alimentaires du monde.

Plusieurs enquêtes menées par Mighty Earth, une organisation de lutte mondiale basée à Washington DC et présidée par l’ancien membre du Congrès Henry Waxman, Rainforest Foundation Norway et l’ONG néerlandaise Fern ont montré comment deux conglomérats américains en particulier, Cargill et Bunge, ont provoqué une "déforestation massive" pour produire du soja dans le Cerrado, la savane vitale du Brésil, et dans le bassin amazonien bolivien.

Les deux compagnies exportent de grandes quantités de soja vers l’UE, où il est principalement utilisé dans l’agriculture animalière pour produire des produits laitiers, des œufs, du porc, de la volaille et du bœuf.

Le rapport Mighty Earth, publié en 2018, a conclu que même si certaines parties de l’Amazonie brésilienne sont désormais interdites de production de soja, le soja cultivé pour l’alimentation animale européenne (l’Europe en a importé 27,9 millions de tonnes en 2016) a entraîné une déforestation non seulement dans le Cerrado et en Bolivie, mais aussi en Argentine et au Gran Chaco du Paraguay.

Bien que le Cerrado ne soit pas aussi reconnu que l’Amazonie, il abrite 5 % des espèces de la planète et disparaît presque quatre fois plus vite. Au cours de la dernière décennie, une zone de savane plus vaste que la Corée du Sud en a été déforestée.

Rien n’indique que la demande pour ces produits alimentaires va cesser d’augmenter de sitôt. Mais Mighty Earth soutient que la déforestation est tout à fait évitable. Dans toute l’Amérique latine, il y a plus de 650 millions d’hectares de terres précédemment défrichées où l’agriculture pourrait être développée sans menacer les forêts tropicales.

Selon le professeur Martin Persson, co-auteur de l’étude Global Environmental Change, l’interdiction de ces produits n’est pas la solution. Il faut exercer des pressions sur les producteurs et les inciter à changer.

"Si on se contentait de fermer la porte d’un produit en particulier, alors on risquerait de déplacer le problème vers un autre produit ou un autre producteur ", a-t-il déclaré à Motherboard. "Tant qu’il y aura une demande, une interdiction ne ferait que déplacer la production ailleurs. Nous devons créer des incitations pour améliorer la production."

En mars, la Commission européenne a interdit que l’huile de palme produite en Indonésie et en Malaisie fasse partie des objectifs de l’UE en matière de transport renouvelable pour les biocarburants, au motif qu’elle contribue à une déforestation excessive.

Mais étant donné le silence de l’UE sur d’autres produits de base tels que le bœuf et le soja - qui, selon la nouvelle étude sur le changement environnemental mondial, sont responsables de 30 % des émissions de carbone en Amérique latine dues à la déforestation, contre moins de 14 % en Asie et dans le Pacifique pour l’huile de palme - cette approche ne sera probablement pas vraiment utile.

L’année dernière, une étude de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature a ouvertement averti qu’une interdiction générale de l’huile de palme remplacerait simplement la production par des surfaces beaucoup plus importantes de champs de colza, de soja ou de tournesol qui utilisent davantage de terres, ce qui entraînerait une déforestation encore plus importante. L’huile de palme produit quatre à dix fois plus d’huile par unité de terre que les autres oléagineux et utilise moins d’engrais et de pesticides.

Persson a approuvé les conclusions de cette analyse. "En fait, la palme est en principe une culture fantastique ", dit-il. "Elle utilise beaucoup moins de terre que les autres huiles végétales. En théorie, il y a beaucoup de terres déjà défrichées pour cultiver des produits de base comme l’huile de palme et le soja, ou pour accueillir du bétail - nous avons donc besoin d’incitations et de réglementations pour garantir que les entreprises respectent des critères de durabilité appropriés".

Alors que la déforestation liée à l’agriculture industrielle accélère, Persson appelle les gouvernements à s’inspirer des mesures qui ont fait leurs preuves. L’approche de l’UE en matière d’importation de bois, a-t-il dit, constitue un modèle potentiellement satisfaisant : "Actuellement, il existe des règles strictes de vigilance raisonnable que les entreprises doivent suivre pour prouver qu’elles ont pris des précautions afin de s’assurer qu’elles ne s’approvisionnent pas auprès d’exploitations forestières illégales. En outre, l’UE peut conclure des accords de partenariat volontaire avec les pays pour les aider à remplir les critères appropriés."

Cette recherche nous rappelle que l’arrêt du changement climatique peut être une question incroyablement complexe en raison de la myriade de façons dont notre civilisation moderne dépend des technologies qui produisent des émissions de carbone.

Et tout en insistant sur la gravité des risques si nous continuons sur notre lancée actuelle, elle montre clairement qu’il est tout à fait possible de mettre un terme à la destruction endémique des forêts dont dépendent les écosystèmes planétaires.

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