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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-13

L’UE adopte la ligne la plus dure possible dans l’espoir de faire dérailler le Brexit

par Daniel Hannan, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 22 février 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

L’UE adopte la ligne la plus dure possible dans l’espoir de faire dérailler le Brexit

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker (à gauche), et le négociateur en chef de l’Union européenne, Michel Barnier, lors d’une séance plénière au Parlement européen à Bruxelles le mercredi 30 janvier.

Daniel Hannan, 2 FÉVRIER 2019

Ce Mercredi [30 Janvier 2019 NdT], les députés européens se sont offert une séance de 2 minutes de haine à l’encontre de la Grande-Bretagne. Ça ne s’appelait pas comme ça, évidemment. Le titre officiel était " Le retrait du Royaume Uni de l’Union Européenne (débat)". Mais cela ressemblait bien plus à "l’horrible extase de la vengeance" décrite par George Orwell dans 1984, qu’à un débat parlementaire.

L’attention des journalistes est restée focalisée sur les affirmations relativement modérées de Michel Barnier, Jean-Claude Juncker et les autres gros bonnets selon lesquelles le backstop ou filet sécuritaire n’était pas négociable et que la Grande-Bretagne devait faire ce qu’on lui disait. Mais les eurodéputés de la base qui se sont exprimés par la suite n’ont pas vraiment ressenti le besoin d’être diplomates.

Guy Verhofstadt, le chef libéral, nous a prévenus, "vous allez en payer le prix !" Son ton était si belliqueux que même l’archi-Europhile Edwina Currie s’est sentie obligée de répondre : "Honnêtement, Guy, nous, les Anglais, n’aimons pas qu’on nous dise quoi faire. Et nous crier dessus ne fait qu’empirer les choses."

Elmar Brok, démocrate-chrétien allemand qui, lorsqu’il parle, souffle agressivement dans sa moustache et qui est actuellement empêtré dans des allégations de profits tirés de visites de circonscriptions financées par l’UE, a renoncé à toute subtilité :

"Le marché européen est quatorze fois plus vaste que le marché britannique. Les entreprises partiront. N’importe qui fabriquant des produits pour le marché européen quittera la Grande-Bretagne. Ça va être cinglant pour le Royaume-Uni - mauvais pour nous, mais cinglant pour vous !"

Les députés européens ont applaudi avec enthousiasme. Voilà ce qu’il se passe pendant les "deux minutes de haine" (Two Minutes Hate). Individuellement, de nombreux députés européens sont polis et raisonnables. Mais mettez-les ensemble pour un rassemblement vertueux et ils s’efforcent d’être plus virulents les uns que les autres, utilisant un langage de plus en plus dur.

Et voilà, en bref, la dynamique qui pousse les eurocrates vers un No Deal. Il n’y a aucune logique dans leur position. S’il faut choisir entre, d’une part, pas de filet de sécurité mais accord sur tout le reste et, d’autre part, pas de filet de sécurité et rien d’autre, il n’y a qu’une option rationnelle. Comme le dit Detlef Seif, rapporteur du Brexit pour le parti de M. Brok au Bundestag allemand : "Si l’UE s’en tient à présent au filet de sécurité proposé sans faire de compromis, cela donnera le résultat que toutes les parties veulent éviter".

En effet. C’est clair de tous les côtés. La zone Euro connaît une croissance plus lente que le Royaume-Uni (au grand dam du Financial Times). L’Italie est en récession. Cette semaine, le ministère allemand des finances a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour 2019, les faisant passer de 1,8 % à 1 %, citant le Brexit comme cause principale. Comme c’est bizarre, alors, de menacer de perturber inutilement l’économie à cause d’un filet de sécurité dont ni Dublin, ni Londres et Bruxelles ne veulent ou qu’ils ne s’attendent pas à voir activé.

Ce n’est pas comme si quelqu’un croyait encore sérieusement que l’absence de filet de sécurité conduirait à des postes de contrôle et des postes frontaliers. Le gouvernement irlandais a confirmé que, s’il n’y a pas d’accord, il ne créera pas d’infrastructures frontalières. Depuis le début, le gouvernement britannique dit la même chose. Le mois dernier, M. Barnier a révélé que, dans un scénario sans accord, tous les contrôles nécessaires seraient effectués en dehors de la frontière. En d’autres termes, tout ce semblant de querelle se fait au sujet d’une frontière que personne ne va installer de toute façon.

C’est un point qui reste largement incompris en Europe, la plupart des médias continuant de présenter de façon peu claire, mais insistante, le filet de sécurité comme étant là pour "assurer la paix". Mais, à l’approche de l’échéance, plusieurs députés continentaux posent la même question que M. Seif. Pourquoi, alors que la Grande-Bretagne a cédé à toutes les autres demandes de l’UE, continuer à insister sur la seule chose que le Parlement ne peut accepter ?

Les motivations de Bruxelles ne sont cependant pas les mêmes que celles des capitales nationales. Pour les fonctionnaires de l’UE, il ne s’agit pas de trouver un résultat mutuellement satisfaisant. Il s’agit plutôt, comme l’a dit Juncker lors du référendum, de "punir les déserteurs". C’est particulièrement vrai pour le président de la Commission, l’anglophobe Martin Selmayr, dont la détermination est de faire souffrir la Grande-Bretagne de son Brexit, même si tout le monde doit en souffrir en même temps.

Cela peut sembler irrationnel, mais voyons cela du point de vue de la Commission européenne. Quels que soient les coûts économiques du Brexit, ils ne seront pas supportés par les eurocrates, dont les salaires et dépenses non imposables ne seront pas affectés. En effet, si un no deal conduit l’UE à imposer des droits de douane sur les exportations britanniques, la Commission en tirera des recettes supplémentaires.

La plupart des États membres - en particulier ceux qui font beaucoup de commerce avec la Grande-Bretagne, comme l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas - sont consternés par la perspective de droits de douane. De la même façon, bon nombre des États qui comptent une importante population d’expatriés ici [ au Royaume Uni NdT] - les populations qui votent dans leur pays d’origine - ne veulent pas prendre le risque qu’il y ait un règlement équitable des droits des citoyens en se basant sur une frontière que personne ne va jamais installer. D’où la suggestion de la Pologne de limiter dans le temps la durée du filet de sécurité.

La question qui se pose est celle savoir si ces nations peuvent imposer leur volonté à la Commission. Jusqu’à présent, elles ne l’ont pas fait, et il se peut qu’elles ne puissent tout simplement pas le faire. Après tout, comme Leavers l’a fait valoir pendant la campagne référendaire, un des problèmes de l’UE est que le pouvoir a été transféré des capitales nationales vers Bruxelles. Même lorsque les États membres sont techniquement responsables, ils trouvent souvent peu pratique de défier les eurocrates.

J’entends d’ici les ricanements des Europhiles. Pour certains Britanniques, tout doit toujours être de la faute des Brexiters. Ils n’accepteront aucune critique au sujet de Bruxelles, même si celle-ci est méprisante, illogique ou malhonnête. Faites remarquer que l’UE est complètement déraisonnable et ils rétorquent en disant "Oh, voilà, vous blâmez encore quelqu’un d’autre, n’est-ce pas ?"

Bien sûr que je blâme quelqu’un d’autre. D’une certaine façon je blâme une caste éloignée et égoïste de fonctionnaires qui s’intéressent peu au bien-être des citoyens qu’ils servent, du moins sur le papier. Mais, beaucoup plus sérieusement, je blâme les Europhiles britanniques qui ont encouragé l’UE à s’engager sur la ligne la plus dure possible dans l’espoir de faire dérailler le Brexit. Chaque fois que les députés [ britanniques NdT] déclarent qu’ils n’accepteront pas un no deal, ils signalent à Bruxelles que cela ne sert à rien de s’engager dans des négociations constructives. Après tout, si le no deal est une option, alors, par définition, la Grande-Bretagne doit soit accepter les termes humiliants qui lui sont proposés quels qu’ils soient, soit abandonner complètement le Brexit.

Et pourtant, c’est encore bien pire que ça. La Chambre des Lords retarde et entrave l’adoption de la loi qui est nécessaire pour préparer le Brexit, et ce, de façon systématique, qu’il y ait un accord ou non. Il est important de comprendre à quel point le comportement de blocage par certains pairs est scandaleux. Ils ne rendent pas le no deal moins vraisemblable ; ils s’assurent simplement que ce sera inutilement douloureux si cela se produit. C’est comme si secrètement, ils voulaient punir l’électorat pour sa décision de 2016. Donc, oui, je les blâme. Et je ne pense vraiment pas être le seul.

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