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93 ème chronique de la Macronésie

CM93 - "Grand Débat National" : les élus maîtres du jeu

par Bruno BOURGEON, porte-parole d’AID

lundi 21 janvier 2019, par JMT

Ah l’immense (divine ?) surprise que fut le mouvement des gilets jaunes, venant s’inviter sans complexes au milieu du maigre débat politique que constituent nos assemblées et nos médias où aucun fond n’est abordé, où rien ne doit heurter l’ordre républicain fossilisé, où il faut parler de changement pour que surtout rien ne change de l’ordre "normal" des choses : l’argent, le pouvoir et la liberté pour les riches, le sale boulot bien payé pour la classe politique aux ordres avec l’illusion d’être dans le grand jeu comme appât et les boulots rares, sales et mal payés pour le peuple, au nom de qui , pour qui et avec qui tout est censé se faire.

Certes de tout temps, certains ont refusé de jouer le jeu mais ils ont tous mal fini : on ne s’oppose pas impunément. Mesurons le chemin de cette longue marche arrière qui nous a été imposée depuis deux décennies, ce retour vers une société comme au XIXè siècle avec peu de puissants et le reste à leur service sauf que le progrès technologique a immensément accru le fossé entre les deux groupes, le dominant étant de plus en plus réduit à une échelle planétaire désormais, le dominé étant de plus en plus nombreux et la "classe moyenne" issue de la révolution industrielle s’amenuisant car de moins en moins nécessaire.

Est-ce que ce débat national va mener à quelque chose ? probablement non, ou cela voudrait dire qu’il y a suffisamment de failles chez les puissants pour que les politiques aux ordres fassent marche arrière, mettant ainsi en danger l’ordre établi par une sorte de théorie des dominos. Nul doute que les" gendarmes" tels que l’UE , le FMI et "les marchés" ne fassent tout pour y mettre rapidement fin.

« Grand Débat National » : les élus maîtres du jeu

Emmanuel Macron a publié sa Lettre aux Français, afin de fixer les orientations du « grand débat national » qui s’ouvrait le 15 janvier. Cette initiative est inédite. Sa dimension descendante révèle cependant un paradoxe de la démocratie participative à la française : la tentation de remédier à la désaffection politique d’une large partie des classes populaires en les faisant participer par le haut n’a que peu de chance d’aboutir. Dans notre culture politique, les élus demeurent les garants de l’intérêt général et définissent les règles … Le plus souvent à leur intérêt.

Contrairement aux derniers débats, sur la bioéthique ou les nanotechnologies, le caractère transversal du grand débat rend sa réussite difficile. D’autant que les conditions précises de son organisation n’ont pas été clairement pensées.

Les résultats d’une consultation publique dépendent de la manière dont est pensée la conduite les débats. A l’inverse, une absence d’organisation, comme aujourd’hui, laisse libre court à la perpétuation des dominations sociales classiques. Pour qu’un débat permette à chacun de s’exprimer, il ne suffit pas de convoquer une grande assemblée générale, modèle souvent peu inclusif.

Nous verrons peut-être des formes innovantes émerger, comme par exemple des assemblées tirées au sort. Pour l’instant nous n’en prenons pas le chemin. L’absence de garant sur la qualité de la procédure du grand débat pose clairement question.

Pas moins de 35 questions ont été listées. Par exemple : « Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? » « Comment mieux organiser notre pacte social ? » Ou encore, « Quelles évolutions souhaitez-vous pour rendre la démocratie plus participative ? » Ce cadrage très large laisse penser que les réponses qui y seront apportées seront également floues, laissant libre cours au gouvernement de choisir celles qui les arrangent.

A l’issue des débats, il incombera aux décideurs de choisir parmi les propositions celles qu’ils jugent pertinentes. Le gouvernement se prémunit ainsi du risque de voir émerger des réponses à des questions trop précises qui ne lui conviendraient guère.

Autant dire que ce n’est pas la manière la plus accomplie de faire vivre la démocratie participative ! En confiant à deux ministres l’organisation, le gouvernement a entaché l’indépendance d’un processus potentiellement illégitime.

Il y a deux ans, il ressortait d’une enquête sur le rapport à la démocratie de différents groupes sociaux français, un sentiment croissant de perte de souveraineté. Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen (TCE) était fréquemment évoqué comme point de rupture. On comprend aisément pourquoi, puisque le gouvernement s’était alors assis sur un avis exprimé par les citoyens, le refus à 55 % du traité établissant une constitution pour l’Europe. On observait également un sentiment profond de résignation démocratique, avec cette croyance qu’il n’y aurait pas grand-chose à faire pour changer un système politique hors de portée.

Même les expériences de démocratie participative locales (jurys citoyens, budgets participatifs, conseils de quartiers) étaient décrites comme des mascarades, avec des paroles peu prises en compte. La désaffection pour le jeu politique se jouait à tous les niveaux. Le constat était donc connu depuis quelques années, mais il était difficile d’imaginer qu’il puisse se manifester avec autant de vigueur.

La force des mouvements sociaux tels que celui des Gilets Jaunes (GJ) est bien de faire exploser des résignations latentes et d’ouvrir le champ des possibles. C’est une réaction épidermique à un sentiment de mépris social alimenté par le gouvernement – et plus particulièrement par le président de la République.

Mais cette mobilisation découle aussi de processus plus structurels, au premier rang desquels l’évolution de la composition sociologique des élites politiques, qui reflète de moins en moins la population. Les élections législatives de 2017 ont marqué une inflexion. Elles ont renouvelé le profil des députés, qui comptent désormais un peu moins de professionnels de la politique, plus de femmes… mais moins d’ouvriers.

Cette régression a exacerbé le sentiment de perte de représentation, qui éclate aujourd’hui. Aujourd’hui, les classes populaires n’ont aucun moyen de s’identifier à leurs élus – qui n’ont jamais fait, par exemple l’expérience des fins de mois difficiles – et n’ont donc pas confiance dans leur capacité à les représenter et défendre leurs intérêts.  

Il y a deux leviers disponibles : d’un côté, la démocratisation des institutions (c’est ici que s’insère le référendum d’initiative citoyenne, ou RIC) et, de l’autre, la réinvention du rôle des corps intermédiaires et le renforcement du pouvoir d’agir de la société civile. Si on change seulement les institutions sans donner aux citoyens la possibilité de s’en emparer, elles finiront par tourner à vide, et inversement. Il est donc indispensable de jouer sur les deux tableaux.

La démocratie directe ne se réduit pas à un acte de vote, même référendaire. Ce qui importe, c’est la qualité démocratique du débat public qui le précède et qui vient éclairer les décisions des citoyens. Pour répondre à la frustration populaire qui s’exprime, on ne peut traiter la question démocratique par le petit bout de la lorgnette, comme le propose la réforme constitutionnelle à travers, par exemple, la révision des modes de scrutin et la réduction du nombre de parlementaires.

S’il est souhaitable de se diriger vers un système politique moins majoritaire pour améliorer la représentation populaire, l’introduction d’une dose de proportionnelle ne changera pas la donne. Cela revient peu dans les revendications des GJ.

Au regard de la crise démocratique que nous traversons, il faudrait aller beaucoup plus loin dans la transformation de nos institutions. A ce titre, le RIC est intéressant. Mais seulement à certaines conditions, dont la fixation d’un seuil de signature assez bas (autour d’un million de signatures) et un contrôle de constitutionnalité. En permettant aux campagnes référendaires d’être de réels moments de délibération collective où les citoyens puissent forger leurs opinions.

Il serait possible d’aller encore plus loin dans l’organisation des campagnes référendaires : débats en ligne, assemblées tirées au sort, « journées de délibération » obligatoires. Le RIC n’est pas condamné à favoriser des causes réactionnaires, au contraire. En Californie, où le RIC est fréquemment utilisé, les habitants se sont récemment prononcés en faveur d’une taxation des plus fortunés pour financer les services publics.

Au-delà du RIC, beaucoup d’innovations démocratiques peuvent être encouragées. Il n’y a pas de solution miracle : non-cumul des mandats dans le temps, Sénat tiré au sort… on pourrait aussi instituer des formes plus engageantes de démocratie participative, en généralisant les budgets participatifs. Le mouvement des GJ incite à promouvoir une déprofessionnalisation politique.

Les corps intermédiaires sont marginalisés. Ceci explose à la figure de l’exécutif. Ce constat est largement partagé, mais rien n’est fait pour repenser leur organisation et recréer les conditions de leur autonomie. Si la crise des GJ a révélé l’incapacité des syndicats et des partis à prendre en charge la colère populaire, les corps intermédiaires sont nécessaires à la démocratie. L’affaiblissement des associations d’éducation populaire et le déclin du mouvement ouvrier et des partis de gauche ont ainsi contribué à l’essor de ce sentiment de non-représentation.

Le monde associatif a un rôle essentiel. Or, il souffre aujourd’hui de la baisse des emplois aidés et de la logique de financement par projets. Ces difficultés sont renforcées par la dépendance des associations aux financements publics locaux, la démocratie participative étant bien souvent à la main des élus et des institutions, rendant le développement de contre-pouvoirs compliqué et le clientélisme fréquent. On ne se rend pas compte à quel point ces questions mettent à mal la participation citoyenne et entretiennent la défiance à l’égard des élus. AID fait partie de ces associations qui peuvent exercer ce contre-pouvoir .

La création en 2014 d’un fonds national d’initiative citoyenne a été balayée d’un revers de main par les parlementaires. Ce fonds visait à sortir des relations de dépendance et à créer des conditions d’une autonomie du monde associatif à l’égard du politique. Redonner du poids aux corps intermédiaires requiert de réfléchir aux conditions de leur existence. Sans cette autonomie, ils ne peuvent jouer leur rôle d’aiguillon démocratique.

Au-delà des associations, il faut encourager les collectifs qui visent à l’expression du pouvoir des citoyens. Or ils sont le plus souvent marginalisés, étouffés quand ils ne vont pas dans le sens des élus locaux. C’est ainsi une transformation profonde de notre culture politique – valorisant ces contre-pouvoirs, plutôt que de chercher à les écraser – qui est nécessaire, où le conflit n’est pas écarté, mais perçu comme une vertu démocratique. Sous peine que la colère ne s’exprime autrement.

Bruno Bourgeon
D’après Alternatives économiques du 15/01/2019

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PUBLICATION DANS LES MEDIAS LOCAUX

* Courrier des lecteurs de Zinfos974 du Lundi 21 Janvier 2019 - 09:52

* Courrier des lecteurs de Clicanoo.re du Samedi 19 janvier 2019, 14h29

* Courrier des lecteurs d’ Imaz-Press Réunion publié le

* Courrier des lecteurs dans Le Quotidien de la Réunion du

SITE OFFICIEL DU GRAND DEBAT NATIONAL

SOURCE : Décryptage Les non-dits du « grand débat »

La rédaction d’Alternatives Économiques 18/01/2019

La rédaction d’Alternatives Economiques passe au crible les thèmes de la délibération initiée par Emmanuel Macron, pour éclairer la discussion sans en occulter les angles morts.

Deux mois pour exprimer son opinion, écouter celle des autres et débattre. Réunions d’initiatives locales, contributions en ligne, conférences citoyennes régionales : les Français sont invités depuis le 15 janvier et jusqu’au 15 mars à participer au grand débat national voulu par le président de la République, afin de répondre au mouvement des gilets jaunes. Ou comme le dit Emmanuel Macron, pour « transformer […] les colères en solutions » et « bâtir un nouveau contrat pour la Nation ».

Le Président a mis quatre thèmes sur la table – fiscalité, organisation de l’Etat et des collectivités, transition écologique, démocratie et citoyenneté – qui recoupent nombre des préoccupations des gilets jaunes : né d’une révolte contre le prix des carburants, le mouvement exprime les angoisses d’une France périurbaine qui se sent délaissée et a très vite mis au cœur de ses revendications la justice fiscale et la démocratie directe.

Sujets tabous

Reste une absence de taille : la question du travail et de sa rémunération, alors même que le Président reconnaît qu’à la racine de l’insatisfaction, il y a souvent « des salaires […] trop faibles pour que certains puissent vivre dignement du fruit de leur travail ». Manifestement, après les mesures lâchées en décembre en faveur du pouvoir d’achat (annulation de l’augmentation des taxes sur les carburants, hausse de la prime d’activité, heures sup défiscalisées et désocialisées…), Emmanuel Macron estime en avoir assez fait.

Autre sujet tabou : la très coûteuse politique du gouvernement en faveur des plus aisés et des entreprises. La quasi-suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et le doublement temporaire du CICE en 2019 ne sont pas discutables. Comme, dans le même temps, l’exécutif n’entend pas plus creuser le déficit pour respecter les engagements européens de la France, il n’y a donc aucune marge de manœuvre budgétaire disponible pour les mesures qui résulteront du grand débat. Enfin, comme l’observe le politiste Julien Talpin, les modalités floues d’organisation du débat font peser une grande incertitude sur ce que le gouvernement choisira d’en retenir. Reste à espérer qu’en investissant cette « initiative inédite », les Français déborderont les garde-fous savamment plantés par l’exécutif pour encadrer le débat.

Marc Chevallier

Voir les annexes sur le site Alternatives Economiques