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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2018-08

« Oui, Facebook a commis des erreurs en 2016. Mais nous n’avons pas été les seuls »

traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 13 décembre 2018, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

« Oui, Facebook a commis des erreurs en 2016. Mais nous n’avons pas été les seuls »

Par Alex Stamos, 17 novembre

(Alex Stamos est membre de Hoover et professeur auxiliaire à Stanford. Il a été directeur de la sécurité de Facebook jusqu’au mois d’août.)

La directrice des opérations de Facebook, Sheryl Sandberg, témoigne au cours d’une audition devant la commission du renseignement du Sénat, le 5 septembre dernier. (Drew Angerer/Getty Images)

Ouais, Sheryl Sandberg m’a crié dessus.

C’était le jour après que j’ai présenté au du conseil d’administration de Facebook une découverte inédite et troublante au sujet notre plate-forme. En épluchant des milliards de comptes, mes collègues et moi avions découvert un réseau de faux individus que nous pouvions lier de façon assez certaine à la Russie.

J’ai fait part de la pénible vérité au conseil : je n’avais aucune certitude sur le fait que nous ayons trouvé tout ce que les Russes manigançaient, et il était fort possible que les choses empirent avant que nous puissions stopper tout ça en mettant en place les équipes et en découvrant la technologie nécessaire. Ainsi que l’a rapporté l’enquête du New York Times, publiée la semaine dernière, Sandberg s’est sentie trahie. (Elle s’est excusée par la suite).

À l’époque, les sociétés de technologie étaient tellement éprises de l’utilité de nos propres produits et tellement concentrées sur des attaques sophistiquées venant d’adversaires des USA tels que la Russie et la Chine que nous avions négligé les opérations de propagande moins élaborées, mais tout aussi efficaces.

Après l’élection, et après avoir remis nos conclusions détaillées au FBI ainsi qu’au procureur spécial Robert S. Mueller III, Facebook s’en est tenu à une stratégie de communication publique en minimisant et en réfutant l’affaire. Stratégie qui a finalement été abandonnée début 2018, mais qui a provoqué une immense défiance, une défiance telle qu’il faudra des années pour reconstruire la confiance.

Pour être clair, personne, à aucun moment, au sein de la société ne m’a dit de ne pas me pencher sur l’activité russe, et personne n’a tenté non plus de mentir au sujet de nos découvertes, mais Facebook aurait dû répondre à ces menaces beaucoup plus tôt et gérer la révélation de manière beaucoup plus transparente.

Pourtant, les insuffisances de Facebook ne font pas figures d’exception. L’immense communauté américaine du renseignement n’a pas réussi à fournir avant les élections des renseignements exploitables quant aux objectifs et capacités russes en matière de guerre de l’information, et elle a offert une aide insuffisante par la suite. Les entreprises de technologie peuvent fabriquer des outils et mettre en place des équipes pour examiner en profondeur leurs propres produits, mais elles n’auront jamais une réelle connaissance géostratégique ou une vraie capacité à pénétrer les pays hostiles.

Cette relation s’est nettement améliorée en 2018, principalement grâce à l’initiative de professionnels assidus du renseignement. Nos élus, cependant, ne peuvent s’en attribuer qu’un faible mérite. La grandiloquence publique des législateurs lors des audiences d’investigation a offert un fort contraste avec leur incapacité à établir des faits, à superviser la branche exécutive et à pourvoir à la défense commune.

On doit aussi se rappeler qu’à l’été 2016, tous les grands organes de presse ont encouragé les hackers de la direction générale des renseignements russe (GRU) en publiant collectivement des milliers de récits tirés des e-mails dérobés à d’éminents démocrates.

La triste vérité est que le blocage de la propagande russe aurait nécessité que Facebook censure les histoires du New York Times, du Wall Street Journal ainsi que les câbles d’agences d’information, sans parler de ce journal. Depuis l’élection de Donald Trump, les organismes de la presse d’informations télévisées et écrite se sont renforcés en personnel et offrent un service essentiel aux Américains, mais ils n’ont jamais été mis en face de leur culpabilité pour avoir laissé la Russie interférer dans les élections.

Mark Zuckerberg a trop bien réussi pour être naïf au sujet des dangers de Facebook, a déclaré Anil Dash, PDG en technologie et militant, qui souhaite que l’entreprise investisse massivement dans un correctif. (Kate Woodsome, Gillian Brockell/The Washington Post)

voir la vidéo d’Anil Dash sur le site du Washington Post

L’heure est venue pour nous de nous unir pour protéger notre société des futures opérations de renseignement. S’il n’apparaît pas que la Russie ou d’autres adversaires des États-Unis aient interféré dans les élections de mi-mandat de 2018, il est très vraisemblable que la chance tournera avec la période des primaires démocrates pour la présidentielle et une élection chaotique en 2020.

Ensuite, il nous faut tracer une frontière bien pensée entre les responsabilités du gouvernement et celles des grandes entreprises technologiques. Il sera toujours nécessaire à ces dernières d’agir de façon quasi gouvernementale, passant des jugements sur les discours politiques et les équipes opérationnelles en parallèle à la communauté américaine du renseignement, mais nous avons besoin de plus de transparence sur la façon dont ces entreprises prennent des décisions et quels pouvoirs nous souhaitons réserver à notre gouvernement légitimement élu.

De nombreux domaines de la cybersécurité exigent une coopération entre le gouvernement et les firmes, et nos alliés en France et en Allemagne nous donnent des exemples quant à la manière dont une responsabilité défensive en matière de cybersécurité peut être construite dans une démocratie.

Bien que bon nombre de journalistes à qui j’ai parlé soient maintenant plus méfiants à l’égard de la manipulation, il n’est pas certain qu’aujourd’hui les médias américains traiteraient différemment la diffusion stratégique d’e-mails dérobés.

Cela pourrait constituer une vulnérabilité fondamentale dans la presse libre, mais il serait rassurant de voir les principales salles de rédaction publier leurs normes sur la façon dont elles pourraient couvrir les vols de données valant la peine d’être publiées sans amplifier les messages des ennemis des États-Unis.

Enfin, les citoyens américains doivent s’adapter à un environnement médiatique dans lequel plusieurs dizaines de gardiens ne contrôlent plus ce qui est digne d’intérêt. Bien que les protections contre les abus doivent être améliorées par les plates-formes qui apportent des centaines de nouveaux médias jusqu’à votre téléphone, dans une société libre, nous serons toujours vulnérables à l’introduction de récits en provenance des ennemis de la démocratie, qu’ils soient étrangers ou nationaux.

La dernière ligne de défense sera toujours celle des citoyens disposés à remettre en question ce qu’ils voient et entendent, même si cela signifie la remise en question de nos propres croyances.

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