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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-048

Qui est le grand gagnant du Plan Industriel du Pacte Vert de l’UE ?- 2ème partie

Par Alexandra Gerasimcikova, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 27 avril 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Qui est le grand gagnant du Plan Industriel du Pacte Vert de l’UE ?- 2

Le 24 Mars 2023 par Alexandra Gerasimcikova

Alexandra Gerasimcikova travaille dans le domaine des finances publiques européennes et de la justice sociale au sein de l’organisation à but non lucratif Counter Balance, dont le siège est à Bruxelles.

2022 a vu des bénéfices records pour les cinq majors pétrolières et gazières occidentales

La politique industrielle du Pacte Vert est une approche descendante qui se fonde sur l’aide aux entreprises, et non sur un débat collectif quant aux besoins sociaux et écologiques.

Les programmes socialement justes qui se font au bénéfice de la majorité de la population - comme les transports publics écologiques et la mobilité partagée financée par les pouvoirs publics - sont dénués de tout intérêt quant il s’agit du Plan Industriel du Pacte Vert.

Les subventions comme les crédits d’impôt à la consommation qu’on trouve dans l’IRA américaine et qui concernent l’achat de VE tentent de remédier à ce problème. Mais un système de subventions allemand analogue a fait l’objet de vives critiques parce qu’il laissait de côté les ménages les plus pauvres, au profit des seuls hauts revenus.

En effet, un régime de subventions publiques ne garantit pas une solution pérenne - il est susceptible de créer un système volatile de propriété privée qui dépendrait entièrement du financement public.

C’est ce que montre bien la chute de 13,2 % des ventes de VE en Allemagne après que le gouvernement a réduit de moitié les subventions , ce qui a également entraîné une augmentation de 3,5 % des ventes de nouveaux véhicules à essence.

L’engouement pour les VE semble surtout profiter aux plus aisés et satisfaire la soif de profits de l’industrie automobile au moyen de subventions publiques permanentes. Cette offensive en faveur des VE est motivée par le désir de l’industrie automobile de « verdir » petit à petit le statu quo de son modèle d’entreprise sur le dos de l’argent public.

Des VE pour qui ? (Reuters/ E.Vaish)

Alors que les constructeurs automobiles sont déjà en mesure de fabriquer des voitures plus propres grâce aux technologies existantes, ils préfèrent faire pression au détriment des normes d’émissions - qui, selon eux, entraîneraient une réduction de leurs investissements dans les VE - et exiger davantage de fonds publics.

Par exemple, les bénéfices de Volkswagen ont atteint 22,5 milliards d’euros en 2022 , soit une hausse de 13 % par rapport à l’année précédente.

Pourtant, le constructeur automobile allemand a réclamé des aides d’État auprès des gouvernements d’Europe de l’Est afin de financer la construction de super-usines de batteries.

L’ensemble du projet est désormais en suspens, Volkswagen attendant d’évaluer les avantages offerts par les mesures prises par l’Union Européenne en réponse à l’IRA américaine.

En République tchèque, un projet de super-usine a très rapidement soulevé de vives protestations en raison de son impact négatif sur l’environnement, les emplois locaux et l’économie.

Remplacer les voitures à essence par des véhicules électriques tout en les laissant aux mains des mêmes géants de l’industrie - ceux qui dépendent des pays d’Europe de l’Est pour réduire leurs coûts de production - sans changer la structure fondamentale de la mobilité individuelle ne contribuera pas beaucoup à une transition écologique juste.

L’argent public serait mieux utilisé si les États investissaient directement dans les transports publics. Dans de nombreux pays, sur certains itinéraires, le prix d’un billet de train dépasse aujourd’hui le coût d’un trajet en voiture pour deux personnes.

L’été dernier, une expérience de trois mois en Allemagne, au cours de laquelle les billets mensuels pour tous les transports publics locaux et régionaux ne coûtaient que 9 euros, a démontré l’attrait d’une infrastructure publique abordable, en particulier pour les populations à faible revenu.

Mais la surpopulation qui en a résulté dans les trains a également mis en évidence le manque d’investissements publics pour étendre les itinéraires, augmenter la fréquence et améliorer la capacité.

Les répercussions dela stratégie industrielle extractive que présuppose la transition verte de l’Europe ne sont absolument pas prises en compte dans le PIPV.

La demande mondiale de lithium - un composant essentiel pour les batteries des véhicules électriques - devrait être multipliée par quarante d’ici à 2040.

La course aux minéraux bruts comme le lithium risque d’entraîner de graves dégâts environnementaux, l’accaparement des terres, l’épuisement des ressources en eau, l’aggravation des inégalités et l’augmentation des émissions. La loi sur les matières premières essentielles (Critical Raw Materials Act), qui fait partie du PIPV, fixe des objectifs pour augmenter les projets miniers nationaux.

VW construit une usine de cellules de batteries à Salzgitter, en Allemagne. Elle produira des batteries pour les véhicules électriques de grande série à partir de 2025 (Automotive News Europe)

Mais compte tenu de l’opposition du public (paradoxalement reconnue dans la proposition législative), cette loi dépend du fait de sécuriser l’approvisionnement en minéraux bruts provenant de pays hors UE, externalisant les coûts écologiques et sociaux de la « croissance verte » de l’Europe vers les pays du Sud.

Le PIPV ne propose pas une refonte démocratique de la politique industrielle qui serait à même de répondre aux besoins sociétaux comme par exemple des emplois de qualité, des transports et des services publics, et l’accès à des énergies renouvelables abordables.

Au cœur de cette politique se trouve la réduction des risques inhérents aux investissements des grandes entreprises privées et l’utilisation du financement privé pour mettre en œuvre la décarbonation.

Le virage vers les véhicules électriques se révèle particulièrement judicieux pour les nantis et pour satisfaire la soif de profits de l’industrie automobile grâce à un flot continu d’aides d’État.

En 2015, la Cour des comptes européenne avait déjà émis des doutes quant à la capacité de la Commission à mobiliser des milliards d’euros alors qu’il s’agissait du plan Juncker de 315 milliards d’euros.

Elle soulignait alors que les ambitions de l’UE en termes d’effet de levier, qui s’appuieraient sur des garanties publiques, pourraient bien se limiter à n’être que « des espoirs et des attentes » .

Aujourd’hui, son successeur, InvestEU, qui est censé aider à financer le Green Deal et le PIPV, montre déjà des signes d’une adoption contestable. L’économiste Daniela Gabor a émis des doutes quant à la compatibilité de la « réduction des risques » avec la décarbonation en temps voulu et à une échelle suffisante.

L’approche qui consiste à supprimer les risques signifie en fait que ce qui est financé n’est pas décidé suite à un débat collectif sur le type d’économie et d’industrie dont on a vraiment besoin pour assurer une transition véritablement juste, mais en fonction de qui produit le retour sur investissement le plus élevé et le plus rapide.

Il n’est pas surprenant que les actionnaires qui craignent une baisse des bénéfices à court terme - en soi préjudiciable à des industries saines - veuillent que l’État les aide gratuitement à développer des technologies propres.

Mais le financement public devrait aider les projets en faveur d’énergies renouvelables durables, efficaces et socialement justes qui requièrent des capitaux patients et ont réellement besoin d’un financement à des conditions favorables.

Pourtant, le PIPV reste muet sur les conditions qui permettraient d’éliminer les profiteurs et d’éviter que les aides publiques « vertes » ne soient accordées à des entreprises polluantes qui peuvent déjà s’autofinancer ou accéder facilement à des financements privés.

Prenons l’exemple du PDG d’Iberdrola, José Galán , qui a reçu 13,2 millions d’euros en 2021 (l’année même où la Haute Cour espagnole a ouvert une enquête sur son implication dans des affaires présumées de corruption, de violation de la vie privée et de fraude).

Le salaire de M. Galán était 171 fois supérieur à la moyenne des salaires des employés d’Iberdrola, qui a baissé de 1,3%. En 2023, Iberdrola s’attend à ce que son bénéfice net augmente de 8 à 10 % et prévoit de continuer à verser des dividendes élevés.

Est-ce que les PDG des multinationales sont des lumières ? (Illustration JORDI OLIVÉ)

Pourtant, cette année, la Banque européenne d’investissement a approuvé un prêt concessionnel de 150 millions d’euros en faveur d’Iberdrola pour des centrales d’énergie renouvelable en Italie

[Le prêt à conditions préférentielles, autrement appelé « concessionnel », est un prêt dont le taux d’intérêt est inférieur aux taux du marché, NdT], ce qui vient après pas moins de 650 millions d’euros en 2021 et 550 millions d’euros supplémentaires en 2022. Les entreprises comme Iberdrola, qui demandent davantage d’aides d’État et versent des dividendes massifs à leurs actionnaires, seront les véritables bénéficiaires de la PIPV.

Les gouvernements européens cherchent désespérément des moyens pour doper la compétitivité industrielle mondiale de l’Union à l’ère de l’industrie nette zéro. Mais jusqu’à présent, la vision proposée pour le nouvel oligopole européen des technologies propres - focalisée sur de fausses solutions comme l’hydrogène vert à grande échelle, qui fonctionne bien pour augmenter les profits des grandes entreprises - est bien loin de prendre en compte à qui et surtout ce à quoi sert la course aux technologies propres « net-zéro ».

Le PIPV n’aborde pas les problèmes plus importants auxquels l’industrie européenne est confrontée. Les plus criants sont les exigences en matière de réinvestissement et les limites imposées aux rachats d’entreprises et aux versements de dividendes - les bâtons tant abhorrés par les entreprises qui implorent les carottes financées par l’État.

Mais le problème le plus fondamental est l’absence d’une refonte industrielle globale, qui serait capable d’identifier les activités économiques non essentielles et polluantes, et qui serait fondée sur une stratégie d’investissement public décidée collectivement et recentrée sur une transition juste.

Les tentatives technocratiques visant à concilier les intérêts contradictoires du « bon pour la planète » et du « bien pour les affaires » échouent. Pour que la transition verte dépasse le jeu à somme nulle auquel se livrent actuellement les entreprises, il est indispensable de mettre en place une participation démocratique et une coopération multilatérale loyale.

Ce travail a été rendu possible grâce au soutien de la Fondation Puffin .

Qui est le grand gagnant du Plan Industriel du Pacte Vert de l’UE ?- 1ère partie

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