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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-047

Qui est le grand gagnant du Plan Industriel du Pacte Vert de l’UE ?- 1ère partie

Par Alexandra Gerasimcikova, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 25 avril 2023, par JMT

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Qui est le grand gagnant du Plan Industriel du Pacte Vert de l’UE ?- 1ère partie

Le 24 Mars 2023 par Alexandra Gerasimcikova

Alexandra Gerasimcikova travaille dans le domaine des finances publiques européennes et de la justice sociale au sein de l’organisation à but non lucratif Counter Balance, dont le siège est à Bruxelles.

Le plan industriel de l’UE du Pacte Vert est une aubaine pour les entreprises

Tout plan industriel de l’UE devrait faire l’objet d’une décision collective de la part des citoyens afin de faire passer leurs besoins en premier. Pour répondre à la loi sur la réduction de l’inflation [IRA : Il s’agit d’une loi des États-Unis qui vise à freiner l’inflation et qui, entre autres mesures, représente un énorme investissement dans la production d’énergie domestique tout en promouvant l’énergie propre, NdT] l’UE a dévoilé son propre plan industriel vert.

Ce plan n’a pas grand-chose à voir avec une véritable décarbonation, mais il distribue de l’argent public aux grandes entreprises, alimentant ainsi une course mondiale entre oligopoles de « technologies propres ». Un « moment à la hauteur des premiers pas sur la lune » .

En 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est exprimée dans un langage audacieux pour annoncer son intention de faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone.

Pourtant, le Green Deal s’est avéré être davantage une « affaire de technocrates à Bruxelles » - et de surcroît fondamentalement bancale .

Peu d’argent neuf a été mis sur la table, et le secteur privé et financier a été fortement privilégié, les fonds publics étant destinés à rendre les projets rentables pour les investisseurs.

Ne prévoyant qu’un maigre budget pour compenser les impacts de la décarbonation dans les régions dépendantes des combustibles fossiles, ce programme n’allait certainement pas être en mesure d’amorcer une transition verte équitable.

Aujourd’hui, plus de trois ans après, Mme Von der Leyen donne une suite au Green Deal avec le « Plan industriel du Pacte Vert » (PIPV) .

Ce plan est censé garantir que l’Europe aura une place de premier choix dans une nouvelle « ère industrielle nette zéro » en maximisant les investissements dans la fabrication de technologies propres sur le continent.

Si quiconque nourrissait encore l’espoir de voir l’Union européenne se doter d’une politique industrielle verte d’envergure, ce plan - annoncé, et c’est révélateur, lors du récent Forum économique mondial de Davos - l’a définitivement anéanti.

Le plan de l’UE vient en réaction directe à l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, un projet de loi approuvant 370 milliards de dollars d’investissements fédéraux pour développer l’économie américaine des énergies propres.

La majeure partie de cette somme prend la forme de crédits d’impôt accordés aux entreprises, mais des subventions et des prêts sont également prévus.

Rainer Hopp, contremaître du département d’inspection finale des véhicules à la Transparent Factory, lors d’une séance photo à l’occasion de la première mondiale numérique du modèle électrique de la Volkswagen ID.3 (Robert Michael / picture alliance via Getty Images)

Les États membres de l’UE, déjà très préoccupés par l’avance prise par la Chine dans des secteurs industriels essentiels à la mise en place d’une économie à faibles émissions de carbone, voient dans l’IRA une réelle menace à l’encontre de la compétitivité de l’industrie européenne.

Cette dernière est tout à la fois irritée par l’IRA mais aussi incitée à déménager de l’autre côté de l’Atlantique pour éviter les prix élevés de l’énergie en Europe et bénéficier des crédits d’impôt américains.

Face aux difficultés économiques croissantes de l’Europe - depuis l’interruption des chaînes d’approvisionnement suite à la pandémie jusqu’à la crise énergétique induite par la guerre en Ukraine - l’initiative américaine a poussé Bruxelles à agir.

Les autorités européennes préparent actuellement ce qu’elles considèrent comme un cadre propice à une distribution à grande échelle de subventions au nom de la nécessaire augmentation des investissements dans l’industrie européenne des technologies propres, de la décarbonation de l’industrie et du renforcement de la « croissance verte ».

La nouvelle proposition de loi de la Commission européenne sur l’industrie nette-zéro - l’un des principaux piliers du PIPV - vise à faciliter le processus permettant aux entreprises d’obtenir des permis, un processus qui actuellement ralentit l’avancement des grands projets dans le domaine des technologies propres.

Les autres piliers consistent en un accès plus rapide au financement, un renforcement des compétences (y compris une proposition de "Net-Zero Industry Academies") et une libéralisation des échanges en vue de développer de nouveaux marchés d’exportation pour l’industrie verte européenne, d’une part, et pour garantir l’accès aux matières premières, d’autre part.

Pour le moment, l’UE n’a mis aucun financement nouveau sur la table. La Commission compte donc sur une circulation plus facile et plus rapide des aides d’État, en provenance des différents États membres, pour financer le PIPV.

Normalement, ces aides - considérées comme des fonds publics affectés aux entreprises sous forme de subventions, d’allégements fiscaux, de garanties ou de participations de l’État - sont soumises aux règles de concurrence de l’Union européenne au sein du marché intérieur.

Avec seulement un maigre budget pour compenser les impacts de la décarbonation dans les régions dépendantes des combustibles fossiles, cet accord européen n’allait jamais permettre de mettre en place une transition verte équitable qui réponde aux exigences sociales.

"L’Europe est déterminée à mener la révolution des technologies propres", a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de la présentation du nouveau plan industriel de l’UE mercredi 1er février 2023 [Union européenne, 2023]

En outre, les gouvernements ont déjà la possibilité d’utiliser les canaux existants lorsqu’il s’agit d’investissement (InvestEU, REPowerEU et les fonds d’innovation). Le projet de création d’un fonds entièrement nouveau se heurte aux désaccords entre les États membres et à un budget de l’UE déjà très sollicité.

Les dirigeants des banques et institutions européennes appellent également à la création d’une « Union des marchés des capitaux » pour permettre aux entreprises européennes d’accéder à des financements privés plus importants par le biais d’un marché obligataire européen.

Sur ce point, l’UE est clairement à la traîne par rapport aux États-Unis : les prêts bancaires sont actuellement la principale voie de financement pour les entreprises, au détriment des marchés obligataires, alors que c’est l’inverse aux États-Unis.

Le PIPV revendique le fait que « la course vers le zéro net peut être bénéfique pour la planète et aussi pour les entreprises ». En réalité, elle ne peut qu’être néfaste quand aux objectifs de décarbonation de l’Europe.

Cette initiative permet via des budgets publics de soutenir les profits déjà considérables des entreprises : on aura droit à une distribution continue de carottes, mais sans le moindre bâton.

Avides de profits, les grandes entreprises qui bénéficient déjà d’une aide publique record pour l’hydrogène - comme Iberdrola, Shell et Enel - continuent de réclamer (https://www.startmag.it/energia/aziende-europee-investimenti-stati-uniti/) un complément d’aide afin de les maintenir.

Il en va de même concernant les industries qui sont confrontées aux prix élevés de l’énergie ainsi qu’à la pression pour décarboner et passer à une économie verte à temps pour bénéficier rapidement d’un meilleur positionnement sur le marché mondial.

Il s’agit notamment d’entreprises géantes telles que le producteur multinational d’acier ArcelorMittal et le fabricant allemand de produits chimiques BASF qui, avec le reste du Conseil européen de l’industrie chimique, ont demandé à l’UE de prendre exemple sur les avantages fiscaux accordés par l’Inflation Reduction Act américain et de leur accorder davantage d’aides d’État.

En bref, le PIPV est une politique d’assistanat descendante (top-down), plutôt qu’une politique fondée sur un débat collectif au sujet des besoins tant sociaux qu’écologiques qui pourrait être à même de déterminer les intérêts industriels stratégiques de l’Europe.

La conclusion la plus probable du PIPV sera la création d’un vaste monopole sur le marché des énergies renouvelables et l’accélération de la course vers un oligopole des technologies propres.

Le plan est focalisé sur des produits tels que les batteries, l’énergie solaire, les éoliennes, les biocarburants et les technologies de captage et de stockage de l’hydrogène ou du carbone, qui sont inefficaces, coûteuses, irréalistes à grande échelle et qui ont des effets sociaux et environnementaux préjudiciables et qui par contre permettent d’accroître les profits des grandes entreprises.

"L’hydrogène a un énorme potentiel pour l’avenir", selon Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la concurrence (Stephanie Lecocq/EPA-EFE)

Et ce sont les plus grandes entreprises du secteur de l’énergie, dont les producteurs de combustibles fossiles - les cinq premières ayant réalisé des bénéfices records de 195 milliards de dollars en 2022 - qui continueront d’exiger des gouvernements qu’ils accordent des aides d’État pour développer le marché de l’hydrogène et le captage du carbone, tout en revenant sur leurs engagements déjà peu reluisants en matière d’énergies renouvelables.

Le PIPV ne propose pas de plan pour ce dont l’Europe a réellement besoin afin de s’engager dans une transition juste - une planification de la politique industrielle verte qui définit les secteurs industriels essentiels à la décarbonation.

Ce qu’il propose, c’est de financer le même type de système énergétique centralisé, non durable et tributaire du marché qui sert les intérêts de quelques entreprises plutôt que ceux de la majeure partie de la société.

Les quantités d’énergie et d’eau nécessaires au transport et à la production d’hydrogène vert et ce n’est là qu’un des nombreux problèmes , en font clairement une solution sans avenir.

En outre, on estime que l’hydrogène est plus coûteux que les combustibles fossiles, même à long terme, ce qui signifie qu’un afflux constant de fonds publics sera nécessaire pour maintenir sa compétitivité.

Les finances publiques ne devraient pas servir à alimenter l’expansion et la modernisation du réseau gazier pour aller largement au-delà d’un petit nombre de « secteurs difficiles à abattre », simplement pour épargner les investissements des géants de l’industrie.

D’autres plans européens, tels que la stratégie hydrogène 2030 ou REPowerEU, laissent présager que les investissements en dehors de l’UE pourraient pallier ces inconvénients et compenser la capacité limitée de production d’hydrogène au niveau national.

Les Oligopoles des technologies propres

Le PIPV synthétise cette approche en élargissant le marché des consommateurs de technologies propres européennes en échange d’un hydrogène bon marché dans le futur - indépendamment des impacts socio-économiques négatifsque cela pourrait avoir localement .

Outre le potentiel de l’Afrique en matière d’hydrogène, le nouveau Partenariat stratégique de l’UE avec l’Ukraine sur le biométhane, l’hydrogène et d’autres gaz de synthèse, annoncé au début du mois de février 2023, constitue un autre cas d’espèce.

En dépit de la guerre destructrice qui se déroule depuis l’invasion russe il y a un an et la nécessité évidente de répondre aux besoins énergétiques locaux (et renouvelables) pendant la reconstruction de l’Ukraine, l’Europe y voit une excellente opportunité de garantir l’importation d’hydrogène dans l’UE.

Les véhicules électriques (VE) - ainsi que les batteries et les stations de recharge - jouent également un rôle central dans le PIPV. Il n’est pas surprenant de constater que les programmes socialement justes qui peuvent bénéficier à la majeure partie de la population - tels que des transports publics écologiques et une mobilité partagée financée par les pouvoirs publics - n’ont pas leur place dans le plan, alors même que les effets positifs qu’il y a à passer de la propriété privée à la propriété partagée sont évidents.

En effet, le passage aux véhicules électriques est sans aucun doute en train de devenir également une question sociale. Au sein de l’Union européenne tout comme aux États-Unis, la demande de véhicules automobiles est en baisse.

Selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles, en 2023, les ventes n’atteindront probablement pas les niveaux d’avant la pandémie.

Aujourd’hui, les principaux constructeurs automobiles s’engagent à orienter leur production vers les seuls véhicules électriques - Fiat à partir de 2027, Mercedes à partir de 2030 et Volkswagen à partir de 2033 - en ciblant les ménages à hauts revenus. Les foyers à faibles revenus, qui eux dépendent du marché des voitures d’occasion, moins chères, sont laissés pour compte.

…… à suivre

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