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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-040

Sommes-nous à deux doigts d’une guerre dans le Pacifique ?

Par Alfred McCoy, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mardi 4 avril 2023, par JMT

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Sommes-nous à deux doigts d’une guerre dans le Pacifique ?

Le 4 Mars 2023 par Alfred McCoy

Carte conflit sino-taïwanais (Image : Tomasz Makowski via shutterstock.com)

Alors que tant Pékin que Washington en sont à envisager la possibilité d’un conflit au sujet de Taïwan, il est important de mesurer les conséquences probables d’un tel affrontement. Si le monde a été distrait, voire amusé, par le bras de fer diplomatique autour des récents vols à haute altitude de ballons Chinois au dessus de l’Amérique du Nord, certains signes indiquent que Pékin et Washington se préparent à quelque chose de bien plus grave : un conflit armé au sujet de Taïwan.

Au vu des événements récents dans la région Asie-Pacifique, il convient de rappeler une leçon de l’histoire qui a déjà fait ses preuves et qui mérite qu’on s’y attarde à ce moment dangereux de l’histoire : lorsque les nations se préparent à la guerre, elles sont beaucoup plus susceptibles d’entrer en guerre.

Dans The Guns of August, son magistral récit d’un autre conflit dont personne ne voulait, Barbara Tuchman impute le déclenchement de la Première Guerre mondialeen 1914 à des plans français et allemands déjà élaborés.

« Atterrés par l’imminence du conflit, écrit-elle, les chefs d’État qui allaient être en fin de compte responsables du destin de leur pays ont bien tenté de reculer, mais ils ont été entraînés plus avant par la pression des objectifs militaires ».

De façon tout à fait comparable, Pékin et Washington sont en train de procéder à des manœuvres militaires, diplomatiques et semi-secrètes qui pourraient nous entraîner dans un conflit calamiteux dont, une fois de plus, personne ne veut. Au plus haut niveau de pouvoir, les dirigeants de Pékin et de Washington ont adopté des positions diamétralement opposées concernant l’avenir de Taïwan.

Depuis près d’un an, le président Joe Biden tente de lever l’ambiguïté qui sous-tendait la politique américaine à l’égard de l’île en déclarant à plusieurs reprises qu’il la défendrait contre toute attaque de la Chine continentale. En mai dernier, en réponse à la question d’un journaliste quant à une éventuelle invasion de Taïwan par la Chine, il a déclaré que les États-Unis interviendraient militairement .

Il a ensuite ajouté : « Nous sommes parfaitement d’accord avec la politique d’une seule Chine. Nous l’avons signée, ainsi que tous les accords qui en découlent, mais l’idée que l’on puisse s’emparer de Taïwan par la force, rien que par la force, n’est [tout simplement] pas acceptable ».

Barbara Tuchman (Bert verhoeff/Hollandse Hoogte/Redux)

Comme l’a admis Biden, Washington, en reconnaissant diplomatiquement Pékin en 1979, a en effet accepté la future souveraineté de la Chine sur Taïwan. Au cours des 40 années qui ont suivi, les présidents de tous bords ont fait des déclarations publiques pour s’opposer à l’indépendance de Taïwan.

En fait, ils ont concédé que l’île était une province chinoise et que son sort relevait des affaires intérieures (même s’ils étaient opposés à ce que la République populaire fasse quoi que ce soit à ce sujet dans l’avenir immédiat). Pour autant, Biden a persévéré dans sa rhétorique agressive.

Ainsi, en septembre dernier,il a déclaré à CBS News que oui, il était prêt à envoyer des troupes américaines pour défendre Taïwan « si, dans les faits, il y avait une attaque en règle ». Puis, en rupture totale avec une politique américaine bien établie, il a ajouté : « C’est à Taïwan d’être seule juge de son indépendance... La décision lui appartient ».

Dans les semaines qui ont suivi, lors du congrès du parti communiste, le président chinois Xi Jinping a répliqué par un engagement personnel très résolu en faveur de la réunification avec Taïwan, par la force si nécessaire. « Nous nous efforçons de parvenir à une réunification pacifique, a-t-il déclaré, mais nous ne renoncerons jamais à recourir à la force et nous nous réservons le droit de prendre toutes les mesures nécessaires ».

Après une longue salve d’applaudissements des quelques 2 000 fonctionnaires du parti rassemblés dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, il a ensuite affirmé le caractère inéluctable des forces de la dialectique marxienne qui garantiraient la victoire qu’il promettait. « La roue de l’histoire qui mène à la réunification et au renouveau de la nation a commencé à tourner, a-t-il déclaré, et la réunification de la mère patrie doit être réalisée ».

Comme l’a rappelé la philosophe politique Hannah Arendt, le sentiment d’inéluctabilité historique est un dangereux déclencheur idéologique qui peut plonger des États autoritaires comme la Chine dans des guerres ou des massacres inimaginables.

Les préparatifs de guerre gagnent les échelons inférieurs de la chaîne de commandement

Il n’est pas surprenant que les déclarations fermes de Biden et de Xi aient fait leur chemin dans la hiérarchie des deux pays. En janvier, un général quatre étoiles de l’armée de l’air américaine, Mike Minihan, a envoyé une note officielle à son imposant département de la mobilité aérienne, composé de 500 avions et de 50 000 soldats, leur intimant l’ordre d’intensifier leur entraînement en vue d’une guerre avec la Chine.

Le président américain Joe Biden à Londres le 18 septembre 2022. Lors d’une interview diffusée dimanche, Joe Biden a déclaré que les forces américaines défendraient Taïwan en cas d’invasion chinoise, ce qui constitue sa déclaration la plus explicite à ce jour sur la question (Brendan Smialowski | Afp | Getty Images)

« Mon instinct me dit, concluait-il, que nous nous battrons en 2025 ». Au lieu de désavouer la déclaration du général, un porte-parole du Pentagone a simplement ajouté : « La stratégie de défense nationale précise clairement que la Chine est le défi majeur auquel est confronté le département de la défense ». [La stratégie de défense nationale est produite par le bureau du secrétaire à la Défense des États-Unis et est signée par le secrétaire à la Défense des États-Unis en tant qu’orientation stratégique de base du département de la Défense des États-Unis, NdT].

Le général Minihan n’est d’ailleurs pas le premier officier supérieur à tenir des propos aussi inquiétants. Dès mars 2021, le chef du commandement indo-pacifique, l’amiral Philip Davidson, a prévenu le Congrès de l’intention de la Chine d’envahir l’île avant 2027 : « Taïwan est manifestement une de leurs priorités... Et je pense que la menace se concrétisera au cours de cette décennie, en fait, dans les six prochaines années ».

À la différence de leurs homologues américains, les chefs d’état-major chinois sont restés silencieux sur le sujet en public, mais leurs avions ont fait en fait réellement preuve d’éloquence.

Après la signature par le président Biden, en décembre dernier, d’une loi de finances sur la défense prévoyant une aide militaire de 10 milliards de dollars pour Taïwan, une armada sans précédent composée de 71 avions chinois et de bien plus de drones militaires ont survolé les défenses aériennes de l’île en l’espace d’une période de seulement 24 heures.

Alors que cette escalade réciproque ne fait que croître, Washington a opposé à l’agression de la Chine des initiatives diplomatiques et militaires majeures. En effet, le secrétaire adjoint à la défense pour l’Indo-Pacifique, Ely Ratner, a promis de manière assez menaçante , que « 2023 se révélera probablement être l’année qui aura depuis une génération le plus transformé le dispositif des forces américaines dans la région ».

Sur cette photo publiée par l’agence de presse Xinhua, le président chinois Xi Jinping prononce un discours lors de la cérémonie d’ouverture du 20e Congrès national du Parti communiste chinois à Pékin, en Chine, le 16 octobre 2022 (Xinhua via AP)

Lors d’une récente tournée qu’il a effectué pour rendre visite à ses alliés asiatiques, le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a fait état de quelques avancées stratégiques significatives. Lors d’une escale à Séoul, lui et son homologue sud-coréen ont annoncé que les États-Unis allaient déployer des porte-avions et des avions de chasse supplémentaires dans le cadre d’exercices de tir réel accrus,une démarche qui s’apparente résolument à une escalade après la réduction de ce type d’opérations conjointes pendant les années Trump.

Se rendant ensuite à Manille, Austin a révélé que les Philippines venaient d’accorder aux troupes américaines l’accès à quatre bases militaires supplémentaires, dont plusieurs font face à Taïwan de l’autre côté d’un étroit détroit. Ces bases étaient nécessaires, a-t-il expliqué, car « la République populaire de Chine continue de faire valoir ses revendications illégitimes » en mer de Chine méridionale.

À cette nouvelle, le ministère chinois des affaires étrangères a semblé piqué au vif. Après une cour diplomatique réussie auprès du précédent président philippin, Rodrigo Duterte, qui avait limité l’influence des États-Unis tout en acceptant l’occupation par la Chine d’îles dans les eaux philippines, Pékin ne pouvait plus que condamner un tel accès de Washington à ces bases pour « menace contre la paix et mise en danger de la stabilité régionales ».

Bien que certains nationalistes philippins aient fait valoir qu’une présence américaine risquait d’entraîner une attaque nucléaire, selon des sondages fiables , 84% des Philippins estiment que leur pays devrait coopérer avec les États-Unis pour défendre leurs eaux territoriales contre la Chine.

Ces deux annonces ont été le résultat de mois de diplomatie et sont des acomptes sur les déploiements militaires majeurs à venir. La loi cadre annuelle sur la « défense » des États-Unis pour 2023 prévoit le financement de la construction d’installations militaires aux quatre coins du Pacifique.

Un F-22A Raptor du 199e escadron de chasse s’approche d’un KC-135 Stratotanker du 909e escadron de ravitaillement en vol au-dessus de la mer de Chine orientale le 8 juin 2022 (Stephen Pulter / U.S. Air Force)

Alors même que le Japon est en train de multiplier par deux son budget de la défense, en partie pour protéger ses îles méridionales contre la Chine, les marines américains d’Okinawa prévoient de troquer leurs chars et leur artillerie lourde contre des drones et des missiles portables beaucoup plus maniables, en constituant des « régiments côtiers » à même de se déployer rapidement sur les plus petites îles de la région.

Stratégies secrètes

À l’opposé de ces déclarations publiques, les stratégies semi-secrètes menées de part et d’autre du Pacifique ont le plus souvent échappé à l’attention. Si l’engagement militaire des États-Unis à l’égard de Taïwan reste pour le moins ambigu, la dépendance économique de notre pays quant à la production de puces informatiques de l’île est quasi absolue.

Épicentre d’une chaîne d’approvisionnement mondiale, Taïwan fabrique 90% des puces de pointe et 65% de tous les semi-conducteurs.

En comparaison, la part de la Chine dans les puces est de 5% et celle des États-Unis n’est que de 10%. En tant que premier producteur mondial du composant le plus important, que l’on trouve partout, depuis les téléphones portables grand public jusqu’aux missiles militaires, la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est le leader de l’innovation, approvisionnant Apple et d’autres entreprises technologiques américaines.

De nos jours, les autorités américaines mettent tout en œuvre pour changer la donne. Après avoir présidé à la pose de la première pierre d’une usine de production de puces TSMC de 12 milliards de dollars à Phoenix en 2020, le gouverneur de l’Arizona a annoncé , deux ans plus tard, que « TSMC a achevé la construction de son installation principale ».

En août dernier, juste avant que le président Biden ne signe la loi CHIPS and Science Act d’un montant de 52 milliards de dollars , la secrétaire au commerce, Gina Raimondo, a insisté sur le fait que « notre dépendance à l’égard de Taïwan en matière de puces est indéfendable et dangereuse ».

Joe Biden et Xi Jinping (TomDispatch scheerpost.com)

À peine trois mois plus tard, TSMC récupérait une grande partie de ces fonds fédéraux en investissant 28 milliards de dollars dans une deuxième usine à Phoenix , laquelle, lorsqu’elle ouvrira en 2026, produira ce que le New York Times a appelé « une technologie de fabrication de puces plus sophistiquée, mais pas la plus sophistiquée ». Lors d’une cérémonie à laquelle participait le président Biden en décembre dernier, le PDG d’Apple, Tim Cook, a déclaré : « Il s’agit d’un moment incroyablement important ».

Certes, mais la priorité donnée à Phoenix a occulté des projets d’usines de fabrication de puces tout aussi importants actuellement lancés par Samsung au Texas, Intel dans l’Ohio et Micron Technology dans l’État de New York.

Si l’on additionne tous ces projets, les États-Unis ont déjà parcouru la moitié du chemin qui les sépare du « délai minimum de trois ans et de l’investissement de 350 milliards de dollars... nécessaires pour remplacer les sites de fabrication [de puces] taïwanaises », selon l’Association de l’industrie des semi-conducteurs .

En d’autres termes, si Pékin décidait d’envahir Taïwan après 2026, le capital intellectuel de TSMC, constitué de ses meilleurs informaticiens, serait sans aucun doute immédiatement sur des vols en partance pour Phoenix, laissant derrière soi guère plus que quelques coquilles de béton et quelques équipements rendus inutilisables.

La chaîne d’approvisionnement mondiale en puces de silicium, qui fait appel à des machines néerlandaises pour la lithographie extrême ultraviolet , à des modèles américains et à une production taïwanaise, se poursuivrait probablement sans trop de problèmes aux États-Unis, au Japon et en Europe, ne laissant à la République populaire de Chine que ses petits 5 % de l’industrie mondiale des semi-conducteurs qui pèse 570 milliards de dollars .

Le calcul secret de la Chine concernant une invasion de Taïwan est sans aucun doute plus complexe. Mi-février, à Munich, le secrétaire d’État Antony Blinken a affirmé que Pékin envisageait d’apporter à Moscou un « soutien létal » pour sa guerre en Ukraine [c’est à dire "principalement des armes", NdT] ajoutant « nous leur avons dit très clairement que cela poserait un grave problème quant à... nos relations ».

Des Marines américains s’entraînent pour un débarquement amphibie avec des troupes philippines, sud-coréennes et japonaises aux Philippines en octobre. US Marine Corps/Cpl. Yvonne Iwae

Mais la Chine est confrontée à un choix bien plus difficile que ne le laisse entendre la rhétorique de Blinken. Grâce à son arsenal impressionnant, Pékin pourrait facilement fournir à Moscou suffisamment de missiles de croisière Hong Niao pour détruire la plupart des véhicules blindés ukrainiens (et il en resterait suffisamment pour démolir l’infrastructure électrique vacillante de Kiev).

Toutefois, une telle hémorragie infligée à l’OTAN n’aurait que des effets limités concernant d’éventuels projets chinois à l’encontre de Taiwan. En revanche, les types d’armements de guerre terrestre que Washington et ses alliés continuent de déverser à flots en Ukraine ne pèseraient guère sur la capacité navale américaine dans le Pacifique occidental.

De plus, le prix diplomatique et économique que paierait Pékin pour une implication significative dans la guerre en Ukraine pourrait bien s’avérer prohibitif. En tant que premier consommateur mondial de pétrole et de blé importés à bas prix, produits que la Russie exporte en abondance, la Chine a besoin d’un Poutine humilié, désespérément à la recherche de marchés et qui se plie à ses desseins de domination accrue sur l’Eurasie.

Un Poutine triomphant, qui ferait plier les États timorés d’Europe de l’Est et d’Asie centrale tout en négociant des accords de plus en plus contraignants en matière d’ exportations, n’est guère dans l’intérêt de Pékin.

Ignorer la menace existentielle que la guerre de Poutine fait peser sur l’Union européenne reviendrait également à compromettre des décennies de diplomatie et des milliards de fonds d’infrastructure déjà investis par Pékin pour faire de toute l’Eurasie, de la mer du Nord à la mer de Chine méridionale, une économie véritablement intégrée.

En outre, se ranger du côté d’une puissance nettement secondaire qui a violé de manière flagrante le principe fondamental de l’ordre international - qui interdit toute conquête armée de territoires - serait peu susceptible de faire prospérer les efforts continus déployés par Pékin pour s’imposer sur la scène mondiale.

Certes, Vladimir Poutine pourrait tenter de faire un parallèle entre la revendication par la Chine de la province sécessionniste de Taïwan et sa propre tentative de conquête de l’ancien territoire soviétique en Ukraine, mais cette analogie serait un véritable anathème pour Pékin.

Le président américain Joe Biden tient une puce semi-conductrice alors qu’il s’exprime dans la salle à manger d’État de la Maison-Blanche à Washington, le 24 février 2021 (Reuters)

« Taïwan n’est pas l’Ukraine » a déclaré le ministère chinois des affaires étrangères l’année dernière, à la veille de l’invasion de l’Ukraine par Poutine. « Taïwan a toujours été une partie inaliénable de la Chine. Il s’agit d’un fait juridique et historique indiscutable ».

Les coûts de la guerre

Alors que tant Pékin que Washington envisagent une possible guerre autour de Taïwan, il est important (surtout à la lumière de l’Ukraine) de se pencher sur les coûts probables d’un tel conflit.

En novembre 2021, la légendaire agence de presse Reuters a élaboré une série de scénarios crédibles concernant une telle guerre. Selon Reuters, si les États-Unis décidaient de se battre pour l’île, « il n’y a aucune garantie qu’ils puissent vaincre l’ APL [Armée populaire de libération] qui est de plus en plus puissante ».

Dans son scénario le moins violent, Reuters estime que Pékin pourrait utiliser sa marine pour imposer une « quarantaine douanière » autour de Taïwan, tout en annonçant la création d’une zone d’identification de défense aérienne au-dessus de l’île et en mettant en garde le monde contre toute violation de sa souveraineté.

Ensuite, pour resserrer l’étau, elle pourrait procéder à un blocus complet, en posant des mines dans les principaux ports et en coupant les câbles sous-marins. Si Washington décidait d’intervenir, ses sous-marins couleraient sans aucun doute de nombreux navires de guerre de l’APL, tandis que ses navires de surface pourraient également lancer des avions et des missiles.

Mais le puissant système de défense aérienne de la Chine tirerait sans aucun doute des milliers de missiles, infligeant ainsi de « lourdes pertes » à la marine américaine.

Plutôt que de tenter une invasion amphibie difficile, Pékin pourrait parachever cette escalade par des attaques de missiles massives contre les villes de Taïwan jusqu’à complète capitulation des dirigeants de l’île.

Dans le scénario de Reuters relatif à une guerre totale, la décision de Pékin serait « d’organiser le débarquement amphibie et aéroporté le plus important et le plus complexe jamais tenté », cherchant à « submerger l’île avant que les États-Unis et leurs alliés ne puissent réagir ».

Les participants à la cérémonie de "First Tool-In" dans l’usine en construction de Taiwan Semiconductor Manufacturing Co. à Phoenix, Arizona, États-Unis, le 6 décembre 2022 (Caitlin O’Hara/Bloomberg)

Pour empêcher une contre-attaque américaine, l’APL pourrait tirer des missiles sur les bases américaines du Japon et de Guam. Tandis que Taïwan lancerait des avions à réaction et des missiles pour dissuader la flotte d’invasion, les groupes de combat des porte-avions américains se dirigeraient vers l’île et, « en seulement quelques heures, une guerre majeure [ferait] rage en Asie de l’Est ».

En août 2022, la Brookings Institution a publié des estimations plus précises quant aux pertes probables résultant de chaque scénario si une telle guerre devait se produire.

Bien que les « spectaculaires modernisations récentes militaires de la Chine aient fortement amoindri la capacité de l’Amérique à défendre l’île », les complexités d’un tel affrontement, écrit l’analyste de la Brookings Institution, rendent « l’issue... intrinsèquement impossible à anticiper ». Une seule chose serait certaine : les pertes des deux côtés (y compris à Taïwan même) seraient dévastatrices.

Dans le premier scénario de Brookings, qui prévoit « un combat maritime livré principalement par les sous-marins », Pékin imposerait un blocus et Washington répondrait par des convois navals pour soutenir l’île.

Si les États-Unis parvenaient à couper les communications de Pékin, la marine américaine ne perdrait que 12 navires de guerre et coulerait les 60 sous-marins chinois. En revanche, si la Chine maintenait ses communications, elle pourrait couler 100 navires, principalement des navires de guerre américains, mais ne perdrait que 29 sous-marins.

Dans le deuxième scénario de Brookings intitulé « Guerre sub-régionale de plus grande ampleur », les deux parties utiliseraient des avions à réaction et des missiles dans une lutte qui engloberait le sud-est de la Chine, Taïwan et les bases américaines au Japon, à Okinawa et à Guam.

Si les attaques de la Chine étaient couronnées de succès, cette dernière pourrait détruire 40 à 80 navires de guerre américains et taïwanais, au prix de quelque 400 avions chinois.

Si les États-Unis prenaient le dessus, ils pourraient détruire « une grande partie de l’armée chinoise dans le sud-est de la Chine », tout en abattant plus de 400 avions de l’APL, alors même qu’ils subiraient de lourdes pertes au niveau de leurs propres avions de chasse.

Les meilleurs sites de débarquement de Taïwan sont bien défendus

En se concentrant essentiellement sur les pertes militaires, qui sont déjà suffisamment terrifiantes, les deux études sous-estiment considérablement les coûts réels et la destruction potentielle de Taïwan et d’une grande partie de l’Asie de l’Est.

Ma propre intuition me dit que, si la Chine imposait un blocus douanier à l’île, Washington grimacerait à l’idée de perdre des centaines d’avions et des dizaines de navires de guerre, y compris un ou deux porte-avions, et se replierait sur sa politique de toujours consistant à considérer Taïwan comme un territoire appartenant à la Chine.

Toutefois, si les États-Unis contestaient cette zone d’interdiction douanière, ils devraient s’attaquer au blocus chinois et pourraient, aux yeux d’une grande partie du monde, devenir l’agresseur, ce qui, du point de vue de Washington, constituerait un réel facteur de dissuasion.

Dans le cas où la Chine entreprendrait une invasion totale, Taïwan succomberait probablement en quelques jours, une fois que sa force aérienne , qui ne compte que 470 avions de combat, serait submergée par les 2900 chasseurs à réaction de l’APL, ses 2100 missiles supersoniques et sa marine de guerre, qui est aujourd’hui la plus importante du monde .

La Chine tirant un avantage stratégique évident de la simple proximité de Taïwan, l’occupation de l’île pourrait bien être un fait accompli avant que les navires de la marine américaine n’arrivent du Japon et d’Hawaï en nombre suffisant pour défier l’énorme armada chinoise.

Toutefois, si la politique et les projets de Pékin et de Washington les entraînent dans une guerre qui ne cesserait de s’étendre, les dégâts pourraient s’avérer incalculables : des villes dévastées, des milliers de morts et l’économie mondiale, dont l’épicentre se trouve en Asie, en ruines.

Des soldats taïwanais participent à une manifestation lors d’une visite de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen sur une base militaire à Chiayi, le 6 janvier 2023 (Sam Yeh-AFP/Getty Images)

Espérons seulement que les dirigeants actuels de Washington et de Pékin feront preuve de plus de retenue que leurs homologues de Berlin et de Paris en août 1914, lorsque les ambitions de victoire ont déclenché une guerre qui devait laisser 20 millions de morts dans son sillage .

Cet article a été republié avec l’autorisation de TomDispatch.

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