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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-025

Israël menace de faire de l’Iran la nouvelle Ukraine

Par Branko Marcetic, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 27 février 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Israël menace de faire de l’Iran la nouvelle Ukraine

Le 2 Février 2023 par Branko Marcetic

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Eli Cohen, ministre israélien des Affaires étrangères, s’exprime lors d’une conférence de presse avec Antony Blinken, secrétaire d’État américain, à Jérusalem, en Israël, le 30 janvier 2023. (Kobi Wolf / Bloomberg via Getty Images)

Les frappes aériennes d’Israël à l’encontre de l’Iran mettent en évidence le risque que le caractère belliciste israélien et l’inconséquence de l’administration Biden se conjuguent pour engendrer une guerre régionale désastreuse au Moyen-Orient.

Au cours de ce week-end, une superpuissance militarisée qui depuis longtemps croise le fer avec son voisin et s’immisce dans les affaires, a violé son intégrité territoriale et l’a bombardé. Non, il ne s’agit pas de la Russie.

Dans ce cas précis, ce à quoi je fais référence, c’est à l’attaque de drones menée dimanche par Israël contre l’Iran.

Cet incident est la première attaque contre l’Iran – à notre connaissance, en tout cas – par la coalition illibérale nouvellement élue d’Israël, composée de racistes, de fanatiques religieux et d’autres extrémistes.

L’augmentation des tensions militaires avec l’Iran est un sinistre rite de passage pour chaque nouveau gouvernement israélien, son prédécesseur « libéral » ayant menacé et effectué des frappes sur des cibles iraniennes, et le gouvernement de droite qui l’a précédé, également dirigé par l’actuel Premier ministre Benjamin Netanyahou, ayant procédé à de multiples assassinats à l’intérieur du pays.

Donald Trump (Source Getty)

En d’autres termes, pour reprendre l’un des propos les plus stupides jamais tenus sur une chaîne d’information câblée, dimanche, Benjamin Netanyahou est devenu premier ministre d’Israël... à nouveau. [référence au propos tenu par .@FareedZakaria au lendemain de frappes sur la Syrie « Je pense que Donald Trump est devenu président des États-Unis ... à nouveau ! » https://t.co/dLipRu6SZ , NdT]

L’attaque par Israël, menée avec le soutien total de l’administration Biden, est présentée par les deux gouvernements comme une tentative de « contenir » l’Iran, une formulation plutôt trompeuse.

Si l’Iran est une puissance régionale qui se mêle des affaires de ses voisins, il en va de même pour Israël, qui inflige régulièrement des violences à ses voisins, dont la Syrie, et au peuple palestinien.

Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin (à droite) accueille le ministre israélien de la Défense Benjamin Benny Gantz (à gauche) au Pentagone, jeudi 11/11/2021 (Yasin Ozturk / Anadolu Agency via Getty Images)

Sans parler de la monstrueuse guerre de huit ans que l’Arabie saoudite voisine continue de mener contre le Yémen, également avec le soutien indéfectible des États-Unis .

En outre, l’Iran, encerclé par des bases étatsuniennes , se trouve à côté d’une puissance hostile dotée de l’arme nucléaire et subit depuis des années des sanctions paralysantes de la part de la plus grande économie du monde, un pays qui a également assassiné son principal chef militaire et lui a infligé des cyberattaques dévastatrices au cours de la dernière décennie, pour ne citer que quelques exemples. Qui peut honnêtement affirmer sans sourciller que le problème ici est l’absence d’endiguement ?

Bases étatsuniennes au Moyen Orient (Source American Security Project)

En tout cas, à cette fin, les armées étatsunienne et israélienne viennent de passer une semaine à effectuer leurs plus grands exercices militaires conjoints, simulant une attaque contre l’Iran dans ce qui était implicitement et explicitement une menace contre le pays (« Si l’Iran fait des erreurs, les capacités offensives se préparent », comme l’a dit un haut responsable militaire israélien).

Il s’agit de la dernière escalade en date dans la planification de la guerre par Biden et le gouvernement israélien, qui a passé plus d’un an à faire pression sur le président des USA pour qu’il déclare une éventuelle guerre contre l’Iran.

Les exercices étaient « un rappel que peu importe ce qui se passe dans le monde, la marmite empoisonnée du programme nucléaire iranien continue de bouillonner », a écrit David Ignatius du Washington Post, un peu comme si les lettres de menace d’un pyromane rappelaient à ses victimes qu’elles doivent installer une alarme incendie.

Ajoutant une couche d’hypocrisie hors normes à toute l’affaire, Tel Aviv et Washington pointent également du doigt la fourniture par l’Iran de drones à la Russie alors que celle-ci fait la guerre à l’Ukraine pour justifier l’attaque (Téhéran, pour sa part, affirme avoir fourni les drones avant la guerre).

Dans le processus de défense des principes du droit international et de la souveraineté territoriale, tout est apparemment permis, y compris... la violation du droit international et de la souveraineté territoriale.

Le président Joe Biden s’adresse aux membres des médias avant de monter à bord d’Air Force One sur la base de la Garde nationale aérienne du Delaware à New Castle (Delaware), le 11 septembre 2022 (Saul Loeb / AFP via Getty Images)

C’est un calcul faussé, mais c’est aussi directement préjudiciable aux intérêts étatsuniens, puisque Biden continue, en grande partiesans succès , à rallier le monde du côté des États-Unis dans la guerre en Ukraine sur la base de la défense de ce qu’on appelle « l’ordre international fondé sur des règles » – un ordre dont les « règles », contrairement à ce que les responsables américains ne cessent de dire, peuvent apparemment être enfreintes sans que la structure entière ne soit menacée.

Ce qui rend la situation de l’Iran d’autant plus absurde, c’est que le propre document du Pentagone sur la Stratégie de défense nationale, publié à la fin de l’année dernière , admet ouvertement que « l’Iran ne possède pas aujourd’hui d’arme nucléaire et nous pensons actuellement qu’il ne cherche pas à en obtenir une » [c’est moi qui souligne]. Ce qui semble se passer ici est un cas classique du canard boiteux, l’administration Biden suivant malencontreusement la politique de guerre de Netanyahou par crainte d’une réaction politique interne.

Il est tragique de constater que Biden a choisi de se mettre dans une situation tout à fait évitable . En refusant de simplement réintégrer l’accord avec l’Iran que son adversaire de droite défait avait violé, et en essayant plutôt d’obtenir des concessions supplémentaires de Téhéran par le biais de renégociations fastidieuses, Biden a déclenché une série d’événements qui ont finalement tué l’accord qui avait permis de maintenir une paix fragile.

Aujourd’hui, Biden est largement à la merci du gouvernement de Netanyahou, qui comprend bien qu’il bénéficie du soutien militaire et politique des États-Unis, aussi réticent soit-il, pour tout ce qu’il décide de faire à l’encontre de l’Iran, et même si cela embarrasse l’administration Biden.

Ce genre d’hypocrisie n’est pas sans conséquences pour les intérêts étatsuniens. C’est exactement ce genre de double standard que les pays du Sud ont, en partie, invoqué à maintes reprises pour justifier leur refus de respecter les mesures étatsuniennes d’isolement politique et économique de Moscou après l’invasion de l’Ukraine.

C’est notamment le cas de l’Inde, que Biden a essayé de faire basculer de l’autre côté, mais qui a continué à soutenir l’économie russe en dégorgeant ses exportations de pétrole au mépris des États-Unis, au nom de ses propres intérêts qui, sous-entend-on, ne sont pas ancrés dans la défense d’un ordre fondé sur des règles trop souvent utilisées de manière sélective.

L’Inde poursuit avec ténacité une politique étrangère basée sur le non-alignement (Associated Press)

Mais il y a un point plus important ici que l’hypocrisie étatsunienne habituelle en matière de politique étrangère. Tous ceux qui, aux États-Unis, sont consternés par le pari désastreux de Vladimir Poutine en Ukraine devraient faire tout leur possible pour empêcher Biden de répéter la même erreur,non pas parce que ce serait pire que la guerre de Moscou, mais parce qu’ils ont une influence directe réelle sur les actions de leur propre gouvernement démocratiquement élu.

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