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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-019

Dix raisons de détester les lois anti-grèves proposées par la Grande-Bretagne

Par Karl Hansen, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 13 février 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Dix raisons de détester les lois anti-grèves proposées par la Grande-Bretagne

Le 14 Janvier 2023 par Karl Hansen

Karl Hansen est écrivain et chercheur.

Les ambulanciers et le personnel paramédical organisent une deuxième grève de vingt-quatre heures pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail devant le siège du London Ambulance Service à Waterloo, le 11 janvier 2023 à Londres, au Royaume-Uni (Jenny Matthews / In Pictures via Getty Images)

Les conservateurs britanniques proposent actuellement une législation qui obligerait les syndicats à contraindre leurs propres membres à transgresser les piquets de grève pendant les grèves si ils veulent éviter d’être poursuivis en justice ou licenciés. Ces lois menacent de rendre les grèves inefficaces et de mettre les syndicats en faillite.

Après la plus forte baisse de niveau de vie jamais enregistrée, l’année 2022 a vu les travailleurs se mettre en grève dans des proportions jamais vues depuis des décennies au Royaume-Uni.

Depuis les infirmières jusqu’aux éboueurs, des postiers aux cheminots, les travailleurs ont vu l’inflation ronger leurs salaires, les empêchant de payer leurs factures d’énergie ou de mettre de la nourriture sur la table.

Et en réponse, ils ont débrayé. Au lieu de s’attaquer à la cause de ces grèves - bas salaires et crise du coût de la vie - le gouvernement a plutôt lancé la plus grande attaque contre les syndicats depuis une génération.

Si le projet de loi sur le service minimum, présenté au Parlement cette semaine, devient une loi, il obligera les travailleurs de six secteurs de l’économie - santé, éducation, services d’incendie et de secours, transports, démantèlement nucléaire et sécurité des frontières - à assurer un « niveau de service minimum » pendant les grèves.

Dans la pratique, les syndicats seraient contraints d’envoyer leurs propres membres franchir les piquets de grève afin d’éviter une action en justice ou un licenciement, ce qui pourrait rendre toute action de grève totalement inefficace. Les syndicats se préparent à mener le combat de leur vie. Voici dix raisons pour lesquelles vous devriez les rejoindre.

1. Les travailleurs risquent un licenciement

Lorsqu’un travailleur se met en grève, il existe des protections juridiques empêchant son employeur de le sanctionner. En Grande-Bretagne, cela constitue la base juridique de la grève. Le projet de loi sur le service minimum supprimerait ces protections, ce qui signifie que tout employé qui désobéit à un ordre de travailler pendant une grève pourrait être licencié.

Parce que le projet de loi vise le secteur public, ce sont ceux qui ont risqué leur vie tout au long de la pandémie pour faire fonctionner le pays - cheminots, infirmières, enseignants, pompiers et autres - qui risquent de perdre leur emploi.

Alors qu’il ne font que réclamer un salaire équitable, et le fait de refuser de franchir les piquets de grève pour saper l’action de leurs collègues, pourrait mettre les travailleurs essentiels du pays au chômage.

Les lois antisyndicales proposées par le gouvernement constituent une attaque historique contre le droit de grève (Source Tribune Mag)

2. Les syndicats pourraient être mis en faillite

Tout comme les travailleurs individuels bénéficient d’une protection contre les employeurs qui les puniraient pour avoir cessé le travail, les syndicats sont protégés contre les actions en justice lorsque leurs affiliés font grève.

Le projet de loi supprimera cette protection, permettant aux patrons de poursuivre les syndicats pour toute perte subie pendant les jours de grève s’il est jugé qu’ils n’ont pas fait assez pour que les travailleurs désignés respectent les injonctions de travail.

Cela exposerait les syndicats à des poursuites judiciaires qui pourraient les mettre en faillite, c’est-à-dire des syndicats poursuivis au point de les faire tomber dans l’oubli. Pour un gouvernement qui considère les syndicats comme un ennemi à abattre, cela pourrait bien faire partie de la motivation du projet de loi sur le service minimum.

3. La Grande-Bretagne a déjà les lois antisyndicales les plus strictes d’Europe

Les travailleurs britanniques sont déjà soumis à des lois sur les syndicats parmi les plus restrictives d’Europe, avec des obstacles à la grève beaucoup plus stricts que dans les pays comparables. Il en résulte qu’ils travaillent plus longtemps et leurs niveaux de retraite sont plus bas que ceux de leurs homologues européens, et qu’ils ne bénéficient pas non plus de bon nombre de leurs droits et protections.

Le gouvernement semble croire qu’il est trop facile pour les travailleurs de faire grève et tente de dépeindre l’action syndicale comme le produit d’une poignée de grévistes déterminés à semer le chaos.

La réalité est qu’aucun travailleur ne souhaite faire grève - c’est un dernier recours, qui a un coût financier - et les travailleurs qui franchissent certains des seuils les plus rigoureux du monde occidental pour le faire sont la preuve de ce désespoir.

La raison pour laquelle les travailleurs sont poussés à la grève est que, face à la spirale de la crise du coût de la vie, ils n’ont pas d’autre choix. Le fait de resserrer les vis à l’encontre des syndicats n’y changera rien.

4. Cela maintiendra les salaires à un bas niveau

La conjonction de bas salaires et d’une inflation galopante signifie que les travailleurs britanniques connaissent actuellement la plus forte baisse de niveau de vie jamais enregistrée.

Les salaires réels sont aujourd’hui inférieurs à ceux de 2010, avec une baisse moyenne de 5 %, ce qui fait que les gens se retrouvent avec 1 600 £ par an de moins qu’il y a treize ans. Pour les travailleurs du secteur public, la situation est encore pire : en valeur réelle, les infirmières gagnent 5 000 £ de moins par an qu’en 2010.

Ces récentes diminutions de salaires s’inscrivent toutefois dans le cadre d’une plus longue dynamique, qui a vu les salaires réels diminuer depuis les années 1980, suite aux attaques de Margaret Thatcher contre les syndicats.

En effet, la diminution de la part des salaires dans le PIB national se reflète dans la baisse des effectifs syndicaux : lorsque les syndicats sont fragilisés, les salaires restent bas et les inégalités augmentent.

Les grèves et la menace de grève sont les meilleurs moyens de pression dont disposent les travailleurs face aux patrons, de sorte que la perte de leur efficacité contribue à empêcher les travailleurs d’obtenir les augmentations de salaire qu’ils méritent.

Nous sommes actuellement dans une situation où les services d’urgence sont incapables de répondre à un niveau de demande même ordinaire (sturti / Getty Images)

5. Aucun service minimum n’est exigé du gouvernement

Pour quiconque a utilisé les services publics britanniques ces dernières années, l’affirmation du gouvernement selon laquelle il présente ce projet de loi pour « garantir un service de base et assurer des niveaux de sécurité minimum » a tout d’une plaisanterie.

L’héritage d’années de sous-financement et de privatisation aboutit à un pays où quasiment aucun service public ne fonctionne comme il le devrait. Des patients meurent par centaines parce que les délais d’attente aux urgences sont dépassés, le service du rail a atteint son niveau le moins fiable depuis que les registres existent, les enseignants ont du mal à gérer des classes surchargées et se chargent de donner de la nourriture à des enfants qui viennent à l’école le ventre vide.

Mais les compagnies ferroviaires ou les ministres du gouvernement responsables s’en tirent à bon compte. Un gouvernement qui préside à ce statu quo sans proposer quelque plan sérieux que ce soit pour résoudre les problèmes qu’il a créés ne se soucie manifestement pas d’assurer un niveau minimum de services.

Leur préoccupation pour les perturbations causées au public est insincère et opportuniste, ne se manifestant que les jours de grève et inexistante le reste du temps. Si les travailleurs doivent être tenus de fournir un niveau minimum de service les jours de grève, pourquoi les ministres et les patrons n’y sont-ils pas contraints le reste du temps ?

6. Les services publics vont encore se dégrader

Dans ce qui reste de ces services publics, les travailleurs et nos syndicats constituent pendant ce temps la dernière ligne de défense. Tout autant que les travailleurs se battent pour leur niveau de vie, ils se battent contre les efforts du gouvernement pour approfondir les restrictions, multiplier les privatisations et les « réformes » qui érodent les services qui nous permettent de nous déplacer, d’être en bonne santé ou en sécurité.

Les travailleurs du secteur de la santé par exemple, font grève contre des salaires si bas que cela a provoqué une crise du personnel dans notre Service national de santé (NHS) , amenant un infirmier sur neuf à quitter la profession en 2022, causant jusqu’à cinq cents décès de patients chaque semaine dans le seul service des urgences et des couloirs d’hôpitaux transformés en salles de soins de fortune.

Manifestation (Jeff.J Mitchell/Getty)

L’angoisse exprimée par des travailleurs de la santé en burn-out à cause de leur incapacité à fournir les soins dont leurs patients ont besoin contraste fortement avec le déni impitoyable du gouvernement.

La situation est identique dans les chemins de fer , où les syndicats s’opposent aux plans visant à réduire le personnel dans les trains et les gares, à fermer tous les guichets et à réduire de moitié les travaux d’entretien, ce qui rendrait les chemins de fer inaccessibles aux passagers handicapés, mettrait les voyageurs en danger et risquerait de provoquer des accidents mortels.

S’attaquer au droit de grève reviendrait à paralyser non seulement les travailleurs, mais aussi les services auxquels ils se consacrent et dont nous dépendons tous. Et nous en subirons tous les conséquences.

7. Les droits des travailleurs sont des libertés fondamentales

Le droit de retrait de son travail est une liberté fondamentale, au moins aussi importante pour une société libre que le droit de manifester et le droit à la libre expression.

La démocratie, ce n’est pas seulement voter aux élections tous les cinq ans, c’est aussi avoir réellement son mot à dire dans la vie de tous les jours. C’est sur le lieu de travail que nous passons la majorité des heures pendant lesquelles nous sommes éveillés, et les syndicats sont nos représentants de la démocratie sur le lieu de travail.

En affaiblissant les syndicats, les patrons auront plus de pouvoir, et les travailleurs perdront leur voix et n’auront plus guère leur mot à dire concernant leur salaire, leurs conditions de travail.

Et comme le gouvernement conservateur est de plus en plus disposé à afficher ses couleurs autoritaires ces dernières années, si ce droit fondamental est perdu, qui sait quels seront les prochains à se faire virer ?

8. Grâce aux syndicats, nous avons conquis nos droits fondamentaux

La menace qui pèse sur ces libertés est d’autant plus grande que les syndicats ont joué un rôle essentiel dans leur conquête au fil des décennies. L’exercice du droit démocratique de se mettre en retrait de son travail est le fondement même de l’organisation de la classe ouvrière, qui s’inscrit dans une fière tradition de radicalisme britannique allant des Diggers [ Les Diggers, 1649-1650, ont essayé (en "nivelant" les terres) de réformer l’ordre social existant avec un mode de vie agraire basé sur leurs idées pour la création de petites communautés rurales égalitaires, NdT] aux Chartistes [ Le chartisme était un mouvement de la classe ouvrière qui est apparu en 1836 à Londres, NdT] en passant par les Tolpuddle Martyrs [Martyrs de Tolpuddle, six ouvriers agricoles anglais qui ont été condamnés (mars 1834) à sept ans de déportation dans une colonie pénitentiaire en Australie pour avoir organisé des activités syndicales dans le village de Tolpuddle, dans le Dorsetshire, NdT], grâce à laquelle les travailleurs se sont battus et ont obtenu nombre des droits et protections dont nous jouissons aujourd’hui.

"Vue de la grande réunion chartiste sur Kennington Common" (William Edward Kilburn / Wikimedia Commons)

Les syndicats ont obtenu que nous ayons des congés payés annuels , des indemnités de maladie, un week-end de deux jours, la journée de huit heures, des protections en matière de santé et de sécurité au travail, et bien plus encore.

Nous avons besoin de syndicats forts, non seulement parce que c’est un droit en soi, mais aussi pour protéger les droits que nous avons déjà et pour lutter pour en obtenir davantage. En attaquant le droit de grève, et par extension le mouvement syndical, le gouvernement met tout cela en danger.

9. Encore plus de perturbations

Il y a de fortes chances que le projet de loi échoue même dans les conditions qui sont les siennes. L’étude d’impact interne du gouvernement a révélé que l’obligation d’un service minimum pourrait en fait entraîner une « augmentation de la fréquence des grèves » ; parce que les actions de grève seront beaucoup moins efficaces, les travailleurs auront moins de poids au travail, ce qui signifie que les conflits ont moins de chances d’être résolus à leur satisfaction et que les actions de grève s’éterniseront.

Les nouvelles lois, si elles sont adoptées, sont également susceptibles d’augmenter la fréquence des mouvements sociaux autres que la grève, comme les grèves du zèle, où les travailleurs suivent très exactement les règles et les heures de travail officielles, choisissant de ne pas faire d’heures supplémentaires ou d’autres travaux non contractuels.

Des femmes machinistes en grève de l’usine Ford de Dagenham assistent à une conférence de femmes sur l’égalité des droits dans l’industrie à la Friends House, Euston, le 28 juin 1968 (Bob Aylott / Keystone / Getty Images)

Dans des secteurs comme celui des chemins de fer, qui fonctionnent effectivement par le biais d’heures supplémentaires, les effets en seraient dévastateurs.

Il en va de même pour le National Health Service et nos écoles, qui seraient davantage perturbés sur une longue période qu’ils ne le seraient par quelques jours de grève. De plus, en supprimant les options légales de grève, les grèves sauvages - une forme de mouvement social non officielle - seront plus probables.

Pour ces raisons, le ministre des Transports admet que les nouvelles lois ne marcheront pas, et le ministre de l’Éducation n’en veut pas. Il semble que de nombreux membres du gouvernement reconnaissent que les services publics sont les victimes probables d’une offensive idéologique contre le droit de grève.

10. Ce sont les droits de tous les travailleurs qui sont menacés

Le projet de loi sur le service minimum est une version élargie d’un texte de loi similaire que le gouvernement avait initialement l’intention d’adopter et qui visait uniquement les travailleurs du secteur des transports.

Mais, à mesure que la crise du coût de la vie s’est aggravée et que les travailleurs des secteurs public et privé ont débrayé pour réclamer de meilleurs salaires et conditions de travail, la législation a été remaniée pour inclure de vastes pans du secteur public.

Mais même là, le projet de loi lui-même est vague, donnant aux ministres du gouvernement une marge de manœuvre énorme leur permettant de décider des modalités d’application des nouvelles lois et des personnes visées.

En treize ans de gouvernement conservateur, de nombreux textes de loi antisyndicaux ont été adoptés. Le projet de loi sur le service minimum n’est que la dernière tentative en date pour étouffer le pouvoir des travailleurs, et il n’y a aucune raison de penser que cela s’arrêtera là.

Le gouvernement a ciblé les travailleurs de quelques secteurs bien précis, mais si on lui permet de s’attaquer aux droits de certains, il s’attaquera bientôt aux droits de tous.

Il faut s’opposer à ce projet de loi non seulement parce que nous souhaitons défendre les droits des travailleurs qu’il vise ou des services dans lesquels ils travaillent, mais aussi parce que si ce projet aboutit, ce sont ensuite vos droits qui seront en jeu.

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