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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-016

Le néofascisme est à nos portes

Par C.J. Polychroniou, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 6 février 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le néofascisme est à nos portes

Le 8 décembre 2022 par C. J. Polychroniou, Truthout

Partisans de Trump près du Capitole américain, le 6 janvier 2021, à Washington (Shay Horse / NurphotoVia Getty Images)

Selon Chomsky, le terrain est bien préparé pour que le néofascisme remplisse le vide laissé par la guerre des classes provoquée par le néolibéralisme. Le néolibéralisme règne en maître en tant que philosophie économique depuis près d’un demi-siècle. Mais les politiques néolibérales ont fait des ravages dans le monde entier, réduisant à néant la majorité des avancées réalisées dans le cadre du capitalisme encadré qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiales. Le néolibéralisme ne fonctionne que pour les riches et les grandes entreprises. Mais ses échecs vont bien au-delà de l’économie.

Ils s’étendent à la politique lorsque les processus d’effondrement social mettent en jeu des forces inquiétantes qui promettent un retour à la gloire perdue. C’est l’idée maîtresse des mouvements et partis néofascistes dans le monde d’aujourd’hui, et c’est le néolibéralisme qui a créé les conditions de la résurgence de l’extrémisme de droite, comme l’explique ci-dessous Noam Chomsky dans une interview exclusive pour Truthout. Parallèlement, les manifestations ont gagné en ampleur à l’ère du capitalisme d’aujourd’hui, de sorte que la lutte pour un monde alternatif est bel et bien vivante !

Noam Chomsky est professeur émérite du département de linguistique et de philosophie du MIT, professeur lauréat de linguistique [Le titre de professeur lauréat est décerné aux universitaires les plus éminents en reconnaissance de leurs réalisations et de leur contribution exceptionnelle à leur domaine d’études et à leur université, NdT] et titulaire de la chaire Agnese Nelms Haury du programme sur l’environnement et la justice sociale de l’université d’Arizona. Il est l’un des chercheurs les plus fréquemment cités dans le monde et un intellectuel reconnu considéré par des millions de personnes comme un trésor national et international, Chomsky a publié plus de 150 ouvrages sur la linguistique, la pensée politique et sociale, l’économie politique, l’étude des médias, la politique étrangère des États-Unis et les affaires mondiales.

Ses derniers livres sont The Secrets of Words (avec Andrea Moro ; MIT Press, 2022) (Le mystère des mots, non traduit) ; The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of US Power (avec Vijay Prashad (Le repli : Irak, Libye, Afghanistan, et la fragilité de la puissance américaine, non traduit ) ; The New Press, 2022) ; et The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic and the Urgent Need for Social Change (avec C. J. Polychroniou ; Haymarket Books, 2021) (Le Précipice : néolibéralisme, pandémie et urgence d’un changement social, non traduit).

C. J. Polychroniou est économiste politique/scientifique, auteur et journaliste. Il a enseigné et travaillé dans de nombreuses universités et centres de recherche en Europe et aux États-Unis. Actuellement, ses principaux intérêts de recherche portent sur l’intégration économique européenne, la mondialisation, le changement climatique, l’économie politique ainsi que la politique des États-Unis et la déconstruction du projet politico-économique du néolibéralisme. Il contribue régulièrement à Truthout et est membre du Public Intellectual Project de Truthout. Il a publié de nombreux livres et plus de 1000 articles qui sont parus dans nombre de revues, magazines, journaux et sites d’information populaires. Plusieurs de ses publications ont été traduites en plusieurs langues, notamment en arabe, chinois, croate, espagnol, français, grec, italien, néerlandais, portugais, russe et turc. Ses livres les plus récents sont Optimism Over Despair : Noam Chomsky On Capitalism, Empire, and Social Change (2017) ; Climate Crisis and the Global Green New Deal : The Political Economy of Saving the Planet (avec Noam Chomsky et Robert Pollin comme principaux auteurs) ; The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic, and the Urgent Need for Radical Change, une anthologie d’entretiens avec Chomsky publiée à l’origine sur Truthout et rassemblée par Haymarket Books ( 2021) ; et Economics and the Left : Interviews with Progressive Economist (2021).

C. J. Polychroniou : Noam, depuis que les politiques néolibérales ont été mises en œuvre il y a plus de 40 ans, elles ont été responsables du creusement des inégalités, de la destruction des infrastructures sociales, et ont conduit à un sentiment de désespoir et au malaise social. Par ailleurs, il est également devenu évident que les politiques sociales et économiques néolibérales constituent un terreau propice à la radicalisation de la droite et à la résurgence de l’autoritarisme politique. Bien sûr, nous savons qu’il existe un conflit inhérent entre la démocratie et le capitalisme, mais il existe des preuves évidentes que le néofascisme émerge du capitalisme néolibéral. En supposant que vous soyez d’accord avec cette affirmation, quel est le lien véritable entre le néolibéralisme et le néofascisme ?

Noam Chomsky : Ce lien est clairement établi dès les deux premières phrases de la question. L’une des conséquences des politiques socio-économiques néolibérales est l’effondrement de l’ordre social, qui offre un terreau propice à l’extrémisme, à la violence, à la haine, à la recherche de boucs émissaires – et un terrain fertile pour les figures autoritaires qui peuvent se poser en sauveurs. Et nous sommes sur la voie d’une forme de néo-fascisme.

L’Encyclopédie Britannica définit le néolibéralisme comme une « idéologie et un modèle politique qui met l’accent sur la valeur de la libre concurrence du marché » avec « une intervention minimale de l’État ». C’est l’image conventionnelle. La réalité est différente. Le modèle politique actuel a ouvert les portes aux maîtres de l’économie, qui dominent également l’État, pour leur permettre de faire des profits et d’exercer leur pouvoir sans trop de restrictions. Bref, une guerre des classes sans contrainte.

L’une des composantes de ces politiques a été une forme de mondialisation qui associe un protectionnisme extrême pour les dominants à la recherche de la main-d’œuvre la moins chère et des pires conditions de travail afin de maximiser le profit, laissant derrière eux des friches industrielles en ruines. Il s’agit de choix politiques, et non de nécessité économique.

Le mouvement ouvrier, rejoint par le défunt bureau de recherche du Congrès, a proposé des alternatives qui auraient pu bénéficier aux travailleurs d’ici et d’ailleurs, mais elles ont été écartées sans discussion, Clinton faisant passer en force la forme de mondialisation privilégiée par ceux qui mènent la guerre des classes.

Une conséquence connexe du « néolibéralisme réellement existant » a été la financiarisation rapide de l’économie permettant des escroqueries peu risquées pour des profits rapides – sans risque parce que l’État qui avec sa puissance intervient de manière radicale sur le marché pour assurer des mécanismes de protection extrêmes dans le cadre d’accords commerciaux en fait tout autant lorsqu’il s’agit de sauver les "maîtres" si quelque chose tourne mal.

Il en résulte, depuis la présidence de Reagan, ce que les économistes Robert Pollin et Gerald Epstein appellent une « économie de renflouage », permettant à la guerre de classe néolibérale de se poursuivre sans risque de sanction du marché en cas d’échec.

Le « marché libre » n’est pas absent du tableau. Le capital est « libre » d’exploiter et de détruire avec désinvolture, comme il l’a fait, y compris – ne l’oublions pas – en détruisant les perspectives de vie humaine organisée. Et les travailleurs sont « libres » d’essayer de survivre tant bien que mal avec des salaires réels qui stagnent, des avantages sociaux qui régressent et un travail qui est remodelé pour créer une précarité croissante.

La guerre des classes a tout naturellement été déclenchée par une attaque contre les syndicats, principal moyen de défense des travailleurs. Les premières mesures prises par Reagan et Thatcher ont été des attaques vigoureuses contre les unions syndicales, invitant ainsi le secteur des entreprises à les rejoindre et à aller au-delà, souvent de manière techniquement illégale, mais qui n’inquiète pas l’État néolibéral qu’ils dominent.

Des personnes participent à une "Marche contre les milliardaires" le 17 juillet 2022 à New York. Les participants à la marche ont demandé au gouverneur Andrew Cuomo d’adopter une taxe sur les milliardaires et de financer les travailleurs exclus des programmes de chômage et d’aide fédérale (Spencer Platt-Getty Images)

L’idéologie régnante a été exprimée avec lucidité par Margaret Thatcher lorsque la guerre des classes a été lancée : la société n’existe pas, et les gens devraient cesser de pleurnicher pour que la « société » vienne à leur secours. Selon ses mots restés célèbres : « "Je suis sans abri, le gouvernement doit me loger", et voilà comment ils rejettent leurs problèmes sur la société mais qui est la société ? La société n’existe pas ! Il y a des hommes et des femmes qui sont des individus et il y a des familles, et aucun gouvernement ne peut faire quoi que ce soit si ce n’est par le biais des gens et les gens s’occupent d’abord d’eux-mêmes ».

Thatcher et ses acolytes savaient sûrement très bien qu’il existe pour les puissants une société très riche et puissante, non seulement un État-nounou qui se précipite à leur secours quand ils en ont besoin, mais aussi un réseau élaboré d’associations commerciales, de chambres de commerce, d’organisations de lobbying, de groupes de réflexion, etc. Par contre, les moins privilégiés doivent « se débrouiller seuls ».

La guerre des classes néolibérale a été un grand succès pour les concepteurs. Comme nous l’avons déjà évoqué, l’une des indications en est le transfert de quelque 50000 milliards de dollars dans les poches du 1% supérieur, essentiellement au bénéfice d’une fraction d’entre eux.

Ce n’est pas une mince victoire. Parmi les autres accomplissements, on compte « le sentiment de désespoir et le malaise social », sans aucun recours possible. Les Démocrates ont abandonné la classe ouvrière aux mains de leur ennemi de classe dans les années 70, devenant un parti de professionnels aisés et de donateurs de Wall Street.

En Angleterre, Jeremy Corbyn a failli inverser le déclin du Parti travailliste, devenu un « Thatcher allégé ». L’establishment britannique, toutes tendances confondues, s’est mobilisé en force pour décrédibiliser et écraser son effort de création d’un authentique parti représentatif dédié aux intérêts des travailleurs et des pauvres. Un affront intolérable au bon ordre. Aux États-Unis, Bernie Sanders s’en sort un peu mieux, mais il n’a pas réussi à briser l’emprise de la gestion clintonienne du parti. En Europe, les partis traditionnels de gauche ont pratiquement disparu.

Lors des élections de mi-mandat aux États-Unis, les Démocrates ont perdu une partie encore plus grande qu’auparavant de la classe ouvrière blanche, une conséquence de la réticence des dirigeants du parti à faire campagne sur les questions de classe qu’un parti de gauche modérée aurait pu mettre en avant.

Le terrain est bien préparé pour la montée du néofascisme qui comblera le vide laissé par la guerre de classe inexorable et la capitulation des institutions politiques traditionnelles qui auraient pu combattre le fléau. L’expression « guerre des classes » est désormais insuffisante.

Il est vrai que les dirigeants de l’économie et leurs laquais dans le système politique se sont engagés dans une forme particulièrement sauvage de guerre de classe depuis les 40 dernières années, mais les cibles vont au-delà des victimes habituelles et s’étendent désormais aux auteurs eux-mêmes.

Alors que la guerre des classes s’intensifie, la logique fondamentale du capitalisme se manifeste avec une clarté brutale : nous devons maximiser le profit et le pouvoir, même si nous savons que nous courons au suicide en détruisant l’environnement qui garantit la vie, sans pour autant nous épargner, nous et nos familles.

Ce qui se passe rappelle ce conte qu’on répète souvent concernant la façon d’attraper un singe. Faites un trou dans une noix de coco de la taille idéale pour qu’un singe puisse y introduire sa patte et mettez-y quelque chose de délicieux. Le singe se penchera pour attraper la nourriture, mais sera incapable de retirer sa patte une fois resserrée sur la nourriture et mourra de faim. C’est exactement notre histoire, du moins celle de ceux qui ceux qui mènent ce triste spectacle.

Nos dirigeants, dont la patte reste coincée, poursuivent sans relâche leur entreprise suicidaire. Au niveau de l’État, les Républicains introduisent une loi « d’élimination de la discrimination énergétique » visant à interdire ne serait-ce que la publication d’informations sur les investissements dans les entreprises de combustibles fossiles. Il s’agirait vraiment là d’une persécution injuste à l’encontre de braves gens honnêtes qui essaient simplement de faire du profit en détruisant les perspectives de toute vie humaine et en adoptant la bonne logique capitaliste.

Pour prendre un exemple récent, les procureurs généraux Républicains ont demandé à la Commission fédérale de réglementation de l’énergie d’empêcher les gestionnaires d’actifs d’acheter des actions dans les entreprises américaines de services publics si ces entreprises participent à des programmes de réduction des émissions – c’est-à-dire celles qui ont pour but de nous sauver tous de la destruction.

Le champion du lot, Larry Fink, PDG de BlackRock,appelle à investir dans les combustibles fossiles pour de nombreuses années encore, tout en montrant qu’il est un bon citoyen en accueillant les opportunités d’investir dans des moyens encore fantaisistes de se débarrasser des poisons produits et même dans les énergies vertes, tant que les profits sont garantis.En bref, au lieu de consacrer des ressources pour échapper à la catastrophe, on exige de nous de soudoyer les très riches pour les inciter à nous aider à l’empirer.

Ces enseignements, brutaux et limpides, contribuent à dynamiser les mouvements populaires qui cherchent à s’échapper du chaos de la logique capitaliste qui transparaît avec une clarté éclatante alors que la guerre néolibérale contre tous atteint ses derniers stades de tragicomédie. C’est le côté lumineux et plein d’espoir de l’ordre social émergent.

Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, la suprématie blanche et l’autoritarisme sont revenus dans le courant politique dominant. Mais n’est-il pas vrai que les États-Unis n’ont jamais été à l’abri du fascisme ? Qu’entendons-nous par « fascisme » ? Nous devons distinguer ce qui se passe dans les rues, de manière très visible, de l’idéologie et de la politique, plus éloignées de tout regard immédiat.

Le fascisme dans la rue, ce sont les chemises noires de Mussolini et les chemises brunes d’Hitler : un fascisme violent, brutal, destructeur. Les États-Unis n’ont sûrement jamais été à l’abri de cela. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici l’histoire sordide de la « déportation des Indiens » et de l’esclavage qui s’est transformé en loi Jim Crow. [loi imposant la ségrégation raciale, NdT]

Une période d’apogée du « fascisme de rue » dans ce sens a précédé de peu la Marche sur Rome de Mussolini. La « peur rouge » de l’après-guerre Wilson-Palmer et de la Première Guerre mondiale a été la période de répression violente la plus virulente de l’histoire des États-Unis, exception faite des deux péchés originels. Cette histoire révoltante est racontée avec force détails dans l’étude passionnante d’Adam Hochschild, « American Midnight ».

Comme d’habitude, ce sont les Noirs qui ont le plus souffert, avec notamment de grands massacres (Tulsa et d’autres) et un bilan hideux de lynchages et autres atrocités. Les immigrés ont été une autre cible dans une « vague d’américanisme » fanatique et de peur du bolchevisme. Des centaines de « subversifs » ont été déportés.

Le Parti socialiste dynamique a été pratiquement détruit et ne s’en remettra jamais. Le mouvement ouvrier a été décimé, pas seulement les Wobblies [syndicat international fondé en 1905, NdT] mais bien au-delà, y compris par de farouches briseurs de grève au nom du patriotisme et de la défense contre les « rouges ».

Le niveau de folie est finalement devenu si démesuré qu’il s’est autodétruit. Le procureur général Palmer et son acolyte J. Edgar Hoover ont prédit une insurrection menée par les Bolcheviks le 1er mai 1920, avec des avertissements fébriles et la mobilisation de la police, de l’armée et des justiciers.

La journée s’est écoulée avec quelques pique-niques. Le ridicule généralisé et le désir de « normalité » ont mis fin à la folie. Non sans laisser quelques traces. Comme l’observe Hochschild, les options avant-gardistes relatives à la société américaine ont subi un coup dur. Un pays très différent aurait pu émerger. Ce qui s’est passé, c’est un fascisme de rue revanchard.

En ce qui concerne l’idéologie et la politique, le grand économiste politique Veblénite [de Thorstein Veblen, NdT] Robert Brady a affirmé, il y a 80 ans, que l’ensemble du monde capitaliste industriel se dirigeait vers l’une ou l’autre forme de fascisme, avec un contrôle étatique puissant de l’économie et de la vie sociale.

Manifestation anti fasciste devant la mairie de Philadelphie (Cory Clark/SIPA USA VIA AP IMAGES)

Sur un plan différent, les systèmes se distinguent radicalement en ce qui concerne l’influence des citoyens sur la politique (démocratie politique fonctionnelle).De tels débats n’étaient pas rares dans ces années-là, et dans une certaine mesure au-delà, tant dans les milieux de gauche que de droite.

La question devient essentiellement sans objet avec le passage du capitalisme réglementé des décennies d’après-guerre à l’assaut néolibéral, qui réintroduit avec force la conception d’Adam Smith selon laquelle les maîtres de l’économie sont les principaux architectes de la politique gouvernementale et la conçoivent pour protéger leurs intérêts. De plus en plus, dans le cadre de la lutte des classes néolibérale, des concentrations irresponsables de pouvoir privé contrôlent à la fois l’économie et le domaine politique.

Il en résulte un sentiment général – non erroné – que le gouvernement n’est pas à notre service, mais plutôt à celui de quelqu’un d’autre. Le système doctrinal, lui aussi largement aux mains des mêmes concentrations de pouvoir privé, détourne l’attention des rouages du pouvoir, ouvrant la porte à ce que l’on appelle les « théories du complot », généralement fondées sur quelques onces de preuves : le Grand Remplacement, les élites libérales, les Juifs, d’autres concoctions familières.

Cela engendre à son tour le « fascisme de rue », qui s’appuie sur des courants sous-jacents toxiques qui n’ont jamais été supprimés et qui peuvent facilement être exploités par des démagogues sans scrupules. L’ampleur et le caractère de ce phénomène constituent désormais une menace non négligeable pour ce qui reste d’une démocratie fonctionnelle après les coups de boutoir de l’époque actuelle.

D’aucuns affirment que nous vivons une ère historique de manifestations. En effet, pratiquement toutes les régions du monde ont connu une forte augmentation des mouvements de protestation au cours des 15 dernières années. Pourquoi celles à caractère politique sont-elles devenues plus généralisées et plus fréquentes à l’ère du néolibéralisme récent ? Par ailleurs, peut-on les comparer aux mouvements de protestation des années 1960 ?

Les manifestations ont des racines nombreuses et très différentes. La grève des camionneurs qui a presque paralysé le Brésil pour protester contre la défaite du néo-fasciste Bolsonaro lors des élections d’octobre ressemblait quelque peu au 6 janvier à Washington, et pourrait se reproduire, craignent certains, le jour de l’investiture du président élu Lula da Silva, le 1er janvier [cela s’est de fait produit le 8 janvier 2023, NdT].

Mais ces protestations n’ont rien à voir avec le remarquable soulèvement en Iran, déclenché par la mort en garde à vue de Jina Mahsa Amini. Celui-là est mené par des jeunes, principalement des jeunes femmes, bien qu’il fasse appel à des secteurs beaucoup plus larges. L’objectif immédiat est de renverser les contrôles rigides sur la tenue et le comportement des femmes, mais les manifestants sont allés bien au-delà, allant parfois jusqu’à appeler au renversement de l’austère régime religieux.

Les manifestants ont remporté quelques victoires. Le régime a indiqué que la police de la moralité serait dissoute, bien que certains doutent de la réalité concrète de cette annonce, et qu’elle atteigne à peine les exigences de la courageuse résistance. D’autres protestations ont leurs propres spécificités.

S’il y a un point commun, c’est l’effondrement de l’ordre social en général au cours des dernières décennies. Les points communs avec les mouvements de protestation des années 60 me semblent minces. Quel que puisse être le lien entre le néolibéralisme et l’agitation sociale, il est néanmoins clair que dans la plupart des régions du monde, le socialisme peine toujours à gagner en popularité auprès des citoyens. Pourquoi en est-il ainsi ? Est-ce l’héritage du « socialisme actuel » qui entrave le progrès vers un avenir socialiste ?

Comme pour le fascisme, la première question à se poser est de savoir ce que l’on entend par "socialisme". D’une manière générale, le terme faisait référence à la propriété sociale des moyens de production, avec le contrôle des entreprises par les travailleurs.

Le « socialisme réellement existant » n’avait pratiquement aucune ressemblance avec ces idéaux. Dans l’usage occidental, le terme « socialisme » a fini par signifier quelque chose qui ressemble à un capitalisme d’État-providence, couvrant un vaste éventail de propositions.

De telles initiatives ont souvent été réprimées par la violence. La peur rouge mentionnée plus haut en est un exemple, avec des effets durables. Peu de temps après, la Grande Dépression et la guerre mondiale ont engendré des vagues de démocratie radicale dans une grande partie du monde.

L’une des principales tâches des vainqueurs a été de les supprimer, en commençant par l’invasion de l’Italie par les États-Unis et le Royaume-Uni, qui ont dissous les initiatives socialistes qui se fondaient sur les travailleurs et les paysans, et étaient dirigées par des partisans, et qui ont restauré l’ordre traditionnel, y compris les collaborateurs fascistes.

Ce modèle a été suivi ailleurs de diverses manières, parfois avec une extrême violence. La Russie a imposé sa loi de fer sur son propre territoire. Dans le tiers monde, on a assisté à une répression beaucoup plus brutale de tendances comparables, sans exclure les initiatives confessionnelles, écrasées par la violence des États-Unis en Amérique latine, où l’armée américaine se targue officiellement d’avoir contribué à vaincre la théologie de la libération.

Les idées essentielles deviennent-elles impopulaires une fois extraites de la gangue de la propagande hostile ? Il y a de bonnes raisons de penser qu’elles se trouvent juste sous la surface et qu’elles peuvent jaillir dès que des occasions se présentent et sont saisies.

C.J. Polychoniou Copyright © Truthout. Ne peut être reproduit sans autorisation.

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