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D’après « Le Dessous des Cartes » de Mars 2021

Gaz, pétrole, minerais : l’Antarctique est une terre de convoitises

Par Bruno BOURGEON

samedi 4 février 2023, par JMT

Gaz, pétrole, minerais : l’Antarctique est une terre de convoitises

L’Antarctique en péril

L’Antarctique, près de 14 millions de km², une fois et demie la superficie de l’Europe, a ceci de particulier qu’il n’appartient à aucun pays. Plusieurs grandes puissances en assurent la cogestion, avec des objectifs scientifiques et pacifiques, en vertu d’un droit international volontairement protecteur. Sauf que les richesses naturelles suscitent les convoitises… Derrière les ambitions scientifiques, les arrière-pensées géopolitiques ne sont jamais très loin.

En hiver, l’emprise de l’Antarctique, avec sa banquise, avoisine les 30 millions de km². Les conditions climatiques y sont extrêmes, - 20°C en janvier et février, au plus chaud, - 60°C le reste de l’année. La quasi-totalité du sol est recouvert d’une couche de glace qui peut atteindre jusqu’à 4 km d’épaisseur, ce qui représente 80% de la réserve d’eau douce mondiale. Devant la rudesse du climat, aucune population autochtone n’y vit : seules des équipes de scientifiques se relaient dans les stations scientifiques.

La vie animale est elle bien présente, avec des espèces emblématiques comme les manchots empereurs et les phoques, parfaitement adaptés à cet environnement. Ajoutons à ces conditions climatiques extrêmes l’éloignement du continent : il faut 1200 km pour rejoindre Ushuaïa, à l’extrême sud de l’Amérique Latine, 3800 km jusqu’au Cap en Afrique du Sud, ou 3200 km pour rejoindre Hobart, en Tasmanie.

Ainsi, le continent antarctique a été le dernier découvert et exploré par l’Homme. James Cook fut le premier à en faire le tour entre 1772 et 1775. La banquise lui empêcha de toucher terre sur le continent. En 1820, la découverte de la terre antarctique revient au Russe Bellingshausen, au Britannique Bransfield, et à l’Américain Palmer. Dumont d’Urville accoste en 1840 sur la Terre Adélie, ainsi nommée en rapport avec son épouse Adèle. Le pôle sud ne sera atteint qu’en 1911 par le Norvégien Amundsen.

Toutes ces difficultés n’ont pas empêché certaines revendications territoriales : l’Argentine et le Chili arguent de la continuité géophysique de leurs pays avec la péninsule antarctique, de même plateau continental. La France, la Norvège, l’Australie, le Royaume-Uni, et la Nouvelle-Zélande, revendiquent de leur côté le droit à la propriété du premier découvreur, dans le sillage des explorations au XIXème siècle. Une petite part, dans l’Antarctique Ouest, n’est pas revendiquée : la Terre de Marie Byrd. Certaines revendications se recoupent, notamment entre Chili, Argentine, et Royaume-Uni, sur la péninsule antarctique.

Pour éviter tout conflit, les scientifiques, très présents dès la découverte du continent, ont fait pression sur leurs gouvernements respectifs pour sanctuariser cet espace et être les seuls à pouvoir y mener des activités, transformant l’Antarctique en laboratoire, et le premier continent dédié à la science.

En 1959, les sept états ayant des revendications territoriales participent à des négociations internationales. Y sont également conviés : l’Afrique du Sud, la Belgique, le Japon, les USA, et l’URSS. Ces 12 états signent « le Traité sur l’Antarctique » en décembre 1959. Ce Traité gèle les revendications territoriales au sud du 60ème parallèle sud, sans toutefois les annuler.

Il interdit également toute militarisation et d’éventuels essais nucléaires ou de dépôts de déchets nucléaires. Le continent est placé sous administration d’une coopération internationale d’états, la Réunion Consultative du Traité sur l’Antarctique, ou RTCA. 54 membres (en 2021) supervisent chaque année la gestion du territoire, notamment les 80 bases scientifiques.

Elle initie des conventions, comme la Convention sur la Conservation de la Faune et de la Flore marines de l’Antarctique, un texte qui protège, depuis 1980, une large partie de l’écosystème de toute exploitation abusive. Depuis 1991, l’Antarctique est reconnu comme Réserve Naturelle réservée à la Paix et à la Science, ce qui établit de nouvelles règles environnementales encore plus strictes.

Si les scientifiques ont réussi cette prouesse de convaincre leurs gouvernements de protéger l’environnement en Antarctique, et qu’ils bravent les conditions climatiques pour y séjourner, c’est parce qu’ils ont su démontrer que ce continent avait encore beaucoup à nous apprendre.

La préservation de toute emprise humaine sur ce continent est un atout énorme pour comprendre notre climat, car en creusant des carottes de glace dans son sol, les chercheurs peuvent étudier les bulles d’air emprisonnées dans la glace et peuvent ainsi retracer l’histoire climatique de la Terre sur des centaines de milliers d’années.

Ainsi, en 2004, une équipe de la base franco-italienne de Concordia, au Dôme C, a extrait une carotte de plus de 3 km de profondeur, permettant de livrer des informations sur 800 000 ans de climat. Le trou d’ozone a été exploré par bombardement laser à la verticale de l’Antarctique, pour des études de sismologie, d’astrophysique et d’astronomie, et de météorologie.

Pour autant, si l’Antarctique est devenu ce paradis pour scientifiques et cet espace protégé pour la faune et la flore qui y vivent, il convient d’être vigilant quant à son avenir :

- Tout d’abord parce que son statut très particulier peut à tout moment être renégocié. Même si les conditions de renégociation paraissent strictes et difficilement atteignables, de nouvelles alliances pourraient à terme voir le jour. Comme l’implication grandissante de la Chine qui inquiète certains, même s’il faut nuancer ces risques. La Chine a déjà établi 4 bases, et une cinquième est en cours de construction dans la baie de Terranova. Dotée de deux brise-glaces, les Chinois ont lancé la construction d’un troisième navire à propulsion nucléaire. Au niveau économique, la Chine a renforcé ses investissements en Argentine, au Chili, et en Tasmanie, où les Australiens voient le port d’Hobart comme un futur hub de développement vers l’Antarctique. La Chine et la Russie se sont opposées à ce que certaines aires marines protégées bénéficient d’une protection renforcée : pas question de renoncer à la pêche et aux gigantesques réserves de krills, des petits crustacés, principale nourriture des baleines, mais surtout utilisés en aquaculture.

- Mais il n’y a pas que la pêche. Car sous son épaisse calotte glaciaire, l’Antarctique renfermerait d’importantes réserves de métaux et d’hydrocarbures. Pour l’instant, le protocole de Madrid de 1991 interdit toute exploitation minière pour la protection de l’environnement, mais cette interdiction peut être levée à tout moment, même si pour cela, il faudrait l’unanimité des 29 pays ayant droit de vote au sein du RTCA.

- L’exploitation minière étant peu probable, celle des icebergs intéresse les entreprises privées. Véritables réservoirs d’eau douce, les icebergs pourraient pallier nos futures carences en eau. À la condition de pouvoir acheminer ces monstres pouvant peser jusqu’à mille milliards de tonnes, vers des régions tempérées pour un coût raisonnable : une gageure qui laisse libre cours à toutes sortes de stratégies, comme remorqueurs, jupes thermiques, hélices sous-marines, voiles équipées de mâts sur l’iceberg : l’imagination n’a plus de limites.

- A ces dangers potentiels à moyen terme, s’ajoute un danger bien actuel, et en apparence plus anodin pour l’écosystème antarctique, l’augmentation du tourisme. En 30 ans, le nombre de touristes a explosé. 3000 touristes en 1990, 74000 en 2020. C’est un tourisme de croisière concentré dans la péninsule antarctique et la mer de Ross. Aux gênes occasionnées pour la faune, par les navires, mais aussi les hélicoptères et les drones à leurs bords, s’ajoute le risque de pollution liée au naufrage de certains navires qui pourraient heurter des icebergs. Des règles visant à limiter le nombre de navires et de passagers débarquant sur le continent ont été instaurées, et certaines zones sont désormais protégées.

En 2048, le Protocole de Madrid aura cinquante ans, il sera alors théoriquement possible de lever l’interdiction d’exploitation des ressources minières. Les verrous du coffre-fort glacé pourraient-ils sauter au cours de ce siècle ? Concrètement, cela impliquerait de réviser le texte initial, pour cela, il suffit qu’un des États ayant le statut de « partie consultative » le demande. Ensuite, si les trois quarts de ces parties sont d’accord, le protocole pourrait être amendé. Pour finir, il faudrait un régime d’encadrement desdites activités, ce qui ne se décrète pas en quelques mois.

Reste une inconnue de taille qui changerait irrémédiablement la donne et c’est Noël Mamère, auteur d’un rapport parlementaire sur le futur du traité, qui met la puce à l’oreille : rien n’empêche « un grand État de faire cavalier seul et de sortir du système »…

Appétits chinois et russe, afflux de touristes, on l’aura compris : dans l’avenir, l’Antarctique devra plus que jamais être préservé, et le droit international qui protège jalousement ce continent glacé devra être respecté.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

D’après « Le Dessous des Cartes » de Mars 2021

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