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D’après Alternatives Economiques du 13 Décembre 2022

TotalEnergies et la transition énergétique : ça pouaque le gaz !

Par Bruno BOURGEON

mardi 31 janvier 2023, par JMT

TotalEnergies et la transition énergétique : ça pouaque le gaz !

Le grand virage des gaz verts et renouvelables

« Sans Total, la transition énergétique risque d’attendre plus longtemps », répète le PDG du géant français du pétrole Patrick Pouyanné. Qui affiche désormais l’ambition de devenir un des leaders mondiaux de l’énergie verte : elle investit chaque année des milliards d’euros dans les renouvelables et prévoit de diminuer drastiquement le poids du pétrole dans ses activités. En 2021, Total a d’ailleurs changé de nom pour devenir TotalEnergies, le « s » d’Energies étant destiné à signaler ce changement d’ère. Simple greenwashing ou bien la compagnie est-elle prête à tourner le dos à l’or noir ?

Sur le papier, l’objectif de TotalEnergies adopté l’année dernière est d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour cela, la compagnie entend porter le poids de l’électricité d’origine renouvelable à 50% de sa production et diviser par quatre sa production d’hydrocarbures entre 2030 et 2050. A mi-parcours en 2030, elle vise notamment une diminution de l’intensité carbone de ses énergies de 20% et une réduction du poids du pétrole à un tiers de ses ventes. Pour cette stratégie, le groupe s’est appuyé sur le scénario Net Zero de la très sérieuse Agence internationale de l’énergie (AIE), qui détaille la trajectoire énergétique à suivre pour la neutralité carbone en 2050 et limiter le réchauffement à 1,5°C.

Premier défi pour Total : se faire un nom dans le secteur de l’électricité et des énergies renouvelables, où elle n’existait quasiment pas jusqu’ici. Le géant de l’énergie s’en donne les moyens en investissant environ 4 milliards de $/an. En témoignent les imposants champs de panneaux solaires qui se déploient massivement dans la région d’Andalousie en Espagne ou dans l’Etat du Karnataka en Inde. Entre 2019 et la mi-2022, ses capacités de production d’électricité renouvelable ont ainsi quadruplé, en passant de 3 GW à 12 GW. Ce n’est pas rien : à titre de comparaison, 12 GW de capacités équivalent à la puissance installée de production éolienne et solaire d’EDF dans le monde. Et l’entreprise ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : elle prévoit 35 GW en 2025, puis 100 GW en 2030. Soit l’équivalent de 5 réacteurs EPR, 15% de leurs ventes.

Alors Total dit-il adieu à l’or noir ? Certes non, l’entreprise prévoit son pic de production dans le pétrole… seulement au cours de cette décennie. Première entorse au scénario Net Zéro de l’AIE établi en 2021, qui prévoit quant à lui, qu’après le pic de production pétrolier observé en 2019, les volumes doivent entamer une décroissance pour rester dans les clous d’un réchauffement à 1,5 °C.

C’est pourquoi, comme le stipule précisément le plan de l’AIE, toute ouverture d’un nouveau gisement d’hydrocarbures est à proscrire. Or TotalEnergies a de nombreux projets en Ouganda, au large de l’Afrique du Sud ou encore au Brésil. Pour sa défense, l’entreprise se justifie en expliquant ne cibler que des projets à faibles émissions de carbone et à faible coût technique, c’est-à-dire à moins de 20 ou 30 dollars pour l’extraction d’un baril. La compagnie le répète : un pétrole bon marché est nécessaire pour mener à bien la transition et la rente de l’or noir finance l’investissement des renouvelables. Mais elle profite aussi largement aux actionnaires. Dopé par les superprofits depuis 2021, le groupe a d’ailleurs annoncé en septembre dernier une augmentation des montants versés.

L’ambivalence de Total apparaît clairement lorsque l’on se penche sur la répartition de ses investissements, c’est-à-dire la façon concrète dont le groupe entend préparer son futur. Sur les 15 milliards de dollars qu’il programme de dépenser chaque année à l’avenir, une petite moitié reste destinée à l’activité pétrolière, dont environ 20% à l’exploration, c’est-à-dire à la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements. Pas d’abandon donc. La compagnie se justifie en affirmant qu’il s’agit d’investissements destinés à maintenir en l’état ses installations pétrolières. Plutôt incohérent d’y incorporer une activité d’exploration… L’autre surprise se niche dans la seconde moitié des investissements : à côté des renouvelables et de l’électricité pour 25% du total – soit quasi-autant que pour les nouveaux gisements – on trouve, pour 20%, des investissements dans le gaz.

Alors que le gaz représentait un tiers de ses ventes en 2015 contre deux tiers pour le pétrole, il en pèse dorénavant près de la moitié. TotalEnergies mise tout particulièrement sur le marché en pleine croissance du gaz naturel liquéfié (GNL), avec une stratégie assumée : faire du gaz l’énergie de la transition. Celui-ci a en moyenne une empreinte carbone inférieure au pétrole et permet donc à la major de diminuer son intensité carbone.La stratégie consiste donc à faire croître le volume d’énergies fossiles qu’il vend, tout en diminuant son intensité carbone, via une part du gaz plus importante, au détriment du pétrole. Les volumes de gaz que le groupe ambitionne d’écouler devraient ainsi progresser de 50% entre 2015 et 2030.

C’est un tour de passe-passe sémantique que de repeindre le gaz en vert. Dans un monde sans carbone, il ne devrait pas y avoir de place massive pour le gaz. Le gaz n’est intéressant que dans les pays très dépendants du charbon. A condition d’investir dans les renouvelables. Et dans les équipements pour la diminution de la consommation. Par ailleurs, si le quart des investissements du groupe concerne l’électricité et les renouvelables, le gaz s’y niche aussi, via les centrales électriques utilisant ce combustible. Rien qu’en France, TotalEnergies en gère cinq et les deux tiers de sa production électrique mondiale proviennent de centrales à gaz. Autrement dit, le « s » de TotalEnergies se justifie principalement par l’ajout du gaz.

Ainsi, concernant son empreinte carbone totale, le groupe évoque juste l’objectif d’un niveau inférieur à 2015. Au total, le bilan de ce virage de Total sur le plan des émissions de gaz à effet de serre : réduction de ses émissions de CO2 ou équivalent (CO2e), passées de 46 millions de tonnes de CO2e en 2015 à 37 millions de tonnes en 2022. Une baisse qui s’explique très majoritairement par des améliorations techniques sur ses sites industriels. Le hic : ces 37 millions de t de CO2e ne constituent qu’une toute petite partie de son empreinte carbone réelle. Les normes internationales retiennent en effet trois sous-ensembles, appelés Scopes, composant l’empreinte carbone d’une entreprise.

Le premier (Scope 1) rassemble les émissions directes, schématiquement, le CO2 qui sort de ses raffineries. Le Scope 2 regroupe les émissions indirectes liées à la production, comme le charbon utilisé pour produire de l’électricité nécessaire à l’extraction du gaz par exemple. Enfin le Scope 3 représente le reste des émissions indirectes et notamment celles engendrées lors de la phase d’utilisation et de fin de vie des produits vendus.

Pour TotalEnergies, l’écrasante majorité (90%) de ses émissions se situe à ce stade, au Scope 3 : quand le carburant est brûlé dans les voitures ou utilisé dans les usines de pétrochimie de ses clients. L’empreinte carbone complète de l’entreprise atteint dès lors, selon ses propres calculs, 400 millions de tonnes de CO2 ! Or, la trajectoire de diminution de 40% de ses émissions d’ici 2030 affichée par Total englobe uniquement les Scopes 1 et 2. Concernant son empreinte carbone totale, le groupe évoque juste l’objectif d’un niveau inférieur à 2015.

Selon les calculs de l’ONG Reclaim Finance, TotalEnergies table sur une diminution de 6% de ses émissions totales, quand l’AIE parle de 38%. Et l’entreprise n’est pas transparente sur l’origine de ses réductions, dont la captation du CO2. L’autre grande inconnue pour la transition du secteur pétrolier est en effet de savoir dans quelle mesure les majors comptent s’appuyer sur des technologies non encore existantes pour capter et stocker le surplus de carbone qu’elles auront émis.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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