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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-133

Taïwan : l’autre guerre en préparation ?

Par Branko Marcetic, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 7 novembre 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Taïwan : l’autre guerre en préparation ?

Le 19 Septembre 2022 par Branko Marcetic

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Deux corvettes militaires taïwanaises en mer lors d’un exercice de la marine pour le renforcement de la préparation avant le Nouvel An chinois, dans un contexte d’escalade des menaces chinoises contre l’île, à Keelung, Taïwan, le 7 janvier 2022 (Ceng Shou Yi / NurPhoto via Getty Images)

La politique américaine concernant Taïwan pourrait conduire à une autre guerre idiote et dangereuse

La loi en ce qui concerne la politique à l’égard de Taïwan a été adoptée par une commission du Sénat au cours d’un vote bipartite. C’est le dernier exemple en date de l’affaiblissement de la stratégie des États-Unis consistant à soutenir la politique d’ une seule Chine. Le résultat pourrait en être la guerre même que le projet de loi est censé empêcher.

Alors qu’une guerre fait rage en Europe, ravageant un pays tout en envoyant des ondes de choc économiques dans le monde entier, les conditions d’une autre guerre, au potentiel tout aussi désastreux, se dessinent peut-être à l’autre bout du continent. Et si celle-ci venait à éclater, nous pourrons rétrospectivement affirmer qu’elle n’aurait probablement pas eu lieu sans une succession de provocations inutiles émanant des dirigeants de Washington.

La semaine dernière, la commission des affaires étrangères du Sénat des USA a approuvé, par un vote de 25 voix contre 17, le Taiwan Policy Act , qualifié par ses auteurs de « révision la plus exhaustive de la politique américaine à l’égard de Taïwan depuis le Taiwan Relations Act de 1979 », qui avait pour objet de fixer les principes de base des relations américaines avec Taïwan après le rétablissement des liens diplomatiques entre Washington et la Chine continentale.

Les principales dispositions du nouveau projet de loi entraînent un changement de la politique américaine, qui vise d’une part à accorder à Taïwan le statut d’« allié majeur non membre de l’OTAN » et, dans cette perspective, à permettre l’octroi d’une aide militaire de 6,5 milliards de dollars destinée à la formation, l’équipement et l’armement, et d’autre part à prévoir toute une série de sanctions au cas où la Chine attaquerait Taïwan.

Le texte du projet de loi aurait été modifié après que l’administration de Joe Biden ait exprimé ses inquiétudes concernant sa formulation initiale, qui risquait de mettre en péril la politique de la « Chine unique » qui est le socle des relations stables et pacifiques entre Pékin et Washington depuis des décennies.

Le projet de loi renforcerait les engagements visant à aider Taïwan à se défendre (Photo : EPA-EFE)

Plutôt que d’être « désignée » comme un allié majeur non membre de l’OTAN, comme l’indiquait le texte initial du projet de loi, Taïwan sera désormais « traitée comme si elle était désignée » sous ce terme, et il n’y a plus de « directive » pour modifier le nom de ce qui est en fait l’ambassade américaine à Taïwan, il s’agit maintenant plutôt d’une « recommandation ».

Dans le même temps, les législateurs ont ajouté 2 milliards de dollars d’aide militaire à la somme initiale prévue de 4,5 milliards de dollars.

Ces évolutions n’ont pas pour autant tranquillisé le gouvernement chinois, qui considère toujours le projet de loi comme un véritable déni de la politique d’une seule Chine. Cet arrangement diplomatique prudent prévoit que Washington accepte de reconnaître Pékin comme le seul gouvernement légitime de toute la Chine, tout en restant évasif sur la question de savoir quel gouvernement est souverain à Taiwan et en s’opposant à toute réintégration de l’île à la Chine continentale par la force.

« Le principe d’une seule Chine est le socle politique des relations sino-américaines », a déclaré Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, au lendemain de l’approbation du projet de loi.

Si le projet de loi continue d’être discuté, poursuivi ou même promulgué, il ébranlera considérablement le socle politique des relations sino-américaines et aura des conséquences extrêmement graves sur ces dernières, ainsi que sur la paix et la stabilité dans le détroit de Taiwan.

Le projet de loi est encore loin d’être promulgué, puisqu’il devra être adopté par l’ensemble du Sénat et de la Chambre, puis ratifié par le président. Mais il n’est pas exclu que le projet progresse, dans la mesure où il existe à Washington un large consensus bipartite en faveur d’une politique américaine plus offensive à l’égard de la Chine.

Le Taiwan Policy Act a été rédigé par le sénateur démocrate Bob Menendez (Démocrate-New Jersey) et un faucon, le sénateur Républicain Lindsay Graham (Républicain-Caroline du Sud) puis, il a été adopté par un vote bipartite écrasant au sein de la commission du Sénat.

L’un de ses partisans est le sénateur Jeff Merkley (Démocrate-Orégon), généralement considéré comme l’une des voix les plus modérées au Sénat, qui a emmené sa propre délégation à Taïwan le mois dernier.

Le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Bob Menendez, et d’autres législateurs américains posent pour une photo avec la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, au centre droit, et d’autres responsables taïwanais lors d’une réunion à Taipei, Taïwan, le 15 avril 2022 (Bureau présidentiel de Taïwan via AP)

Selon ses partisans, la raison d’être de ce projet de loi (https://www.politico.com/news/2022/09/14/taiwan-bill-clears-senate-panel-00056769) est de servir de « moyen de dissuasion crédible » face à la Chine.

"Si nous espérons avoir une dissuasion crédible, nous devons avoir une vision claire de ce à quoi nous sommes confrontés", a déclaré Bob Menendez, président du comité des relations extérieures, qui a présenté le projet de loi avec le sénateur Lindsey Graham (Kevin Dietsch/Getty Images)

Cela permettrait de réduire le risque d’une « offensive militaire » de Pékin contre l’île en faisant en sorte de ne pas « montrer de faiblesse face aux menaces chinoises » et « en alourdissant le coût que représente la prise de l’île par la force de sorte que celle-ci devienne trop risquée et irréalisable ».

Mais comme Lyle Goldstein, ancien professeur de l’US Naval War College, l’a déclaré à Jacobin le mois dernier , le projet de loi pourrait facilement avoir l’effet inverse, conduisant les dirigeants chinois à décider qu’envahir maintenant est leur meilleure option, puisque l’intensification constante du soutien militaire américain à l’île pourrait rendre le report d’une invasion potentielle plus coûteux pour eux.

Même le sénateur Mitt Romney (Républicain-Utah), l’un des partisans du "oui" au sein de la commission sénatoriale, a explicitement reconnu ce risque. « Nous sommes en train de faire quelque chose qui est de nature hautement provocatrice et belliciste », a-t-il déclaré.

Des touristes regardent un hélicoptère militaire chinois passer devant l’île de Pingtan, l’un des points de la Chine continentale les plus proches de Taïwan, dans le cadre d’exercices militaires chinois en réponse à la visite de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, le 4 août 2022 (HECTOR RETAMAL / AFP via Getty Images)

Ce n’est que la dernière provocation en date des Démocrates cette année en ce qui concerne la Chine, qui depuis longtemps fait savoir qu’elle considère la question de la souveraineté sur Taïwan comme un enjeu national essentiel pour lequel elle est prête à entrer en guerre.

La visite controversée de la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (Démocrate-Californie), à Taïwan en août dernier a attisé les tensions et déclenché des représailles chinoises sous la forme d’exercices militaires menaçants et la rupture du dialogue avec Washington.

Depuis lors, au moins trois autres délégations de responsables américains ont réitéré le voyage de Pelosi, tandis que la marine américaine a continué d’envoyer des navires de guerre dans les eaux chinoises.

Il va sans dire que toute décision de Pékin d’attaquer Taïwan relèvera d’un choix des dirigeants chinois, qui seront à juste titre tenus pour responsables de la suite des événements.

Mais les dirigeants américains porteront l’entière responsabilité des conséquences quant à leur décision de s’engager dans une série d’actions « de nature hautement provocatrice et belliciste » qui augmentent inutilement la probabilité d’une confrontation armée.

Et une attaque chinoise à l’encontre de Taïwan serait quelque chose de désastreux, allant bien au delà de ses conséquences pour les habitants de l’île. Nous avons déjà constaté, au niveau mondial, les effets déstabilisants d’une confrontation entre grandes puissances en Europe. La situation serait bien pire dans le cas de la Chine, dont l’économie est bien plus centrale pour l’économie mondiale à plusieurs égards.

Contrairement à la Russie, la Chine est un bailleur de fonds majeur et le premier partenaire commercial d’une grande partie du globe. Elle est aussi beaucoup plus directement liée à l’évolution de l’économie américaine. (Selon les estimations, près d’un quart de million d’emplois ont été supprimés suite à la guerre commerciale de Donald Trump contre la Chine, et l’impact commercial de cette guerre commerciale serait sans commune mesure avec celui d’une guerre à propos de Taïwan).

Des munitions, des armes et d’autres équipements palettisés à destination de l’Ukraine sur la base aérienne de Dover, le 21 janvier 2022 (Photo : Mauricio Campino/U.S. Air Force)

D’un point de vue purement stratégique, la démarche des États-Unis laisse perplexe. Même en période normale, ces dernières années, les observateurs chevronnés ont estimé que le risque que les États-Unis perdent une quelconque guerre avec la Chine concernant Taïwan, était élevé.

Aujourd’hui, ces risques seraient encore pires, car les États-Unis se trouvent actuellement lourdement engagés — en fait quasiment cobelligérants — dans une guerre distincte contre une autre grande puissance.

Entre autres choses, cette guerre a vu les réserves d’armes américaines épuisées par un flux sans précédent de livraisons d’armes à l’Ukraine .

Si tôt ou tard, pour une raison ou une autre, une situation de crise devait se dessiner à propos de Taïwan, les Américains seraient tout à fait conscients de cette réalité, ce qui augmenterait la probabilité que ce soit les États-Unis qui se voient dissuadés d’entreprendre une action militaire dans le détroit de Taïwan. Pratiquement personne ne niera que Taïwan est incomparablement plus important pour les dirigeants et la population chinois qu’il ne l’est pour les Américains.

Nous n’en sommes pas encore à un point de non-retour dans ce conflit. Mais pour éviter le pire, il faudra exercer une pression concertée non seulement sur l’administration Biden, mais aussi sur les législateurs Démocrates et Républicains, afin qu’ils adoptent une politique radicalement différente — c’est-à-dire plus rationnelle — à l’égard de la Chine. Si nous n’y parvenons pas, les conséquences en seraient inimaginables.

LIENS

* La Chine et les Etats-Unis, partenaires et concurrents par Benoît Vermander dans Études 2003/11 (Tome 399), pages 453 à 462

* Asie-Pacifique, la nouvelle poudrière

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