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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-101

Sauver la planète : l’heure des choix

Par David Sirota, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

mercredi 24 août 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Sauver la planète : l’heure des choix

Le 01/08/2022 par David Sirota

David Sirota est rédacteur en chef à Jacobin. Il édite le Lever et a précédemment été conseiller principal et plume de Bernie Sanders pendant la campagne présidentielle 2020.

Si ExxonMobil se réjouit de la législation sur le climat, c’est mauvais signe (DANIEL LEAL / AFP via Getty Images)

On ne peut pas en même temps sauver la planète et faire plaisir à ExxonMobil. Pour mettre fin au pire du changement climatique, il nous faut choisir : Allons-nous sauver la planète ou continuer à faire plaisir aux entreprises de combustibles fossiles ? On ne peut pas faire les deux.

À notre époque de changement climatique, si ExxonMobil se réjouit d’une législation, c’est mauvais signe. Ainsi, lorsque le PDG de l’entreprise, Darren Woods, s’est félicité, la semaine dernière, de la nouvelle loi du Congrès concernant les dépenses pour le climat, cela constituait une mise en garde non seulement contre les dispositions précises du projet de loi sur l’énergie, mais aussi contre notre réticence constante à opérer des choix binaires, même quand ils sont nécessaires.

Éviter de faire des choix, c’est le consensus de Washington. Les politiciens qui cherchent à concilier les électeurs et les PDG donateurs nous expliquent invariablement qu’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre.

Ils soutiennent qu’il est possible d’avoir des milliardaires et un partage de la prospérité, une corruption légale et la démocratie, une inflation réduite et des entreprises qui font des profits, une planète habitable et la prospérité d’ExxonMobil. Quelle que soit la crise, on nous infantilise en nous faisant croire que le monde est un buffet à volonté et qu’il n’est pas nécessaire de faire des choix.

Que voilà un rêve séduisant — mais la décennie écoulée montre que c’est exactement ça : un rêve, un fantasme. Prenons les soins de santé. En 2009, on nous a dit que nous n’étions pas obligés de suivre tous les autres pays industrialisés en choisissant l’assurance maladie universelle plutôt que les mutuelles d’entreprises.

Au lieu de cela, le président Barack Obama a promis un « système américain unique » qui éviterait un tel choix —un système qui créerait de solides profits pour l’assurance maladie et l’industrie pharmaceutique, mais qui serait aussi un système de soins médicaux pour tous, empreint d’humanisme.

Dix ans plus tard, la réalité est tout autre : les géants de l’assurance maladie et de l’industrie pharmaceutique réalisent de gigantesques bénéfices, versent des milliards à leurs dirigeants et font grimper les prix — tandis que des millions de gens n’ont toujours pas accès aux soins de base.

Même aujourd’hui, alors que le régime de soins de santé des entreprises a entraîné des centaines de milliers de décès dus à la pandémie et qui auraient pu être évités, nous éludons le choix binaire nécessaire qui consiste à abandonner le système actuel et adopter un système tel que Medicare for all (assurance maladie pour tous).

En dépit d’un récent rapport gouvernemental sur les avantages de ce choix, on nous dit que la meilleure solution est d’éviter le choix — il suffit simplement d’octroyer plus de subventions gouvernementales à ces mêmes assureurs prédateurs qui rationnent les soins.

Darren Woods (Christopher Pike/Bloomberg)

C’est pareil pour Wall Street. Après la crise financière de 2008 qui a écrasé des millions d’Américains, les législateurs ont estimé que nous n’avions pas à faire le choix de rétablir les lois du New Deal qui protégeaient contre de telles crises. Ils nous ont dit que nous n’avions pas à choisir de nationaliser, de démanteler ou de limiter la taille des institutions financières.

Et ils nous ont affirmé que nous n’avions même pas à poursuivre en justice ou à licencier les banquiers qui avaient orchestré l’effondrement. Bien au contraire, leur solution a consisté à soutenir les banques trop importantes pour faire faillite en les renflouant et en leur offrant de l’argent à bon marché, à protéger les dirigeants financiers de toute sanction et à instaurer des réglementations peu contraignantes qui ne changent fondamentalement rien.

Dix ans plus tard, les bénéfices et les primes de Wall Street sont en plein boom, l’industrie des services financiers représente une part démesurée de notre économie et les gouvernements injectent encore plus d’argent dans ce secteur. Entre-temps, les banques ont soutiré aux consommateurs près de 500 milliards de dollars en frais de découvert, et certains experts affirment qu’une nouvelle crise financière se profile à l’horizon.

Et voilà que s’en vient maintenant la crise climatique, marquée par le coût de décennies passées à éviter de faire des choix, ce qui se traduit par des incendies de forêt, des sécheresses, des tornades de feu, des ouragans plus meurtriers, des derechos (épisode orageux très venteux) et toutes sortes d’autres monstres météorologiques.

Alors que les scientifiques affirment qu’il ne nous reste plus que quelques années pour anticiper les pires effets du changement climatique, nous sommes face à un nouveau tournant — et pourtant nous refusons toujours de choisir.

Alors que les Démocrates se félicitent des nouveaux investissements importants que leur projet de loi consacre aux dépenses en matière d’énergie propre — et ils sont importants — le texte de loi comporte un article qui subordonne les nouveaux projets solaires et éoliens à l’extension des baux pour le pétrole et le gaz sur les terres et les eaux fédérales. Plus nous développons l’énergie propre, plus les entreprises de combustibles fossiles disposent d’énergie sale à extraire et à brûler.

Cette clause a été la contrepartie pour obtenir le vote tant attendu du sénateur Joe Manchin (Démocrate-Virginie Occidentale) un magnat du charbon qui, au Congrès, est le principal bénéficiaire de l’argent de l’industrie des combustibles fossiles, et dont les équipes seraient en concertation hebdomadaire avec les lobbyistes d’Exxon.

Le professeur de droit des ressources naturelles Sam Kalen a déclaré à Bloomberg que ce libellé est « l’une des pires dispositions politiques que j’ai jamais vues », tandis que Brett Hartl du Center for Biological Diversity l’a qualifié de « pacte de suicide climatique ». De nombreux groupes de défense du climat ont demandé que ce paragraphe soit supprimé avant l’adoption du projet de loi.

Nous avons causé l’effondrement climatique (Source Twitter Zgur_(@Zgur_))

D’autres défenseurs du climat ont insisté sur le fait que la législation existante réduira quand même les émissions et qu’il faut donc aller de l’avant. Le sociologue Daniel Aldana Cohen a noté avec perspicacité que, même si elle est adoptée sous sa forme actuelle, la législation « créera de nouveaux terrains de lutte... où les investissements seront suffisants pour permettre à de nouvelles coalitions de s’affronter, ce qui aura pour effet d’accélérer et de transformer le paysage politique à tous les niveaux ».

Ce qu’Exxon savait et ce qu’Exxon a fait (John Cook, SkepticalScience.com)

Quelle que soit votre opinion concernant ce projet de loi, le refus du gouvernement américain de faire un choix énergétique binaire est très précisément ce qui conduit le PDG d’Exxon et l’industrie des combustibles fossiles à se réjouir.

Ils sont ravis que, d’une manière ou d’une autre — même à ce stade avancé du cataclysme climatique qu’ils ont créé — les législateurs qu’ils financent continuent de prétendre que les combustibles fossiles et un écosystème habitable peuvent coexister. « Nous nous réjouissons de constater que tous reconnaissent qu’un éventail plus complet de solutions sera nécessaire pour relever les défis de la transition énergétique », a déclaré Darren Woods d’ExxonMobil.

La multinationale a ajouté dans une déclaration que le « gouvernement peut promouvoir les investissements par une politique claire et cohérente qui soutient le développement des ressources américaines, telles que des ventes de baux régulières et prédéfinies, ainsi qu’une rationalisation de la réglementation et un soutien aux infrastructures telles que les pipelines ».

Kathleen Sgamma, présidente du groupe de lobbying pétrolier et gazier Western Energy Alliance, a salué la disposition liant les ventes de baux pour le développement des énergies renouvelables aux baux pétroliers et gaziers. « Cette disposition était plutôt une bonne surprise », a déclaré Sgamma à Bloomberg. « Le fait de lier l’éolien et le solaire au pétrole et au gaz naturel est en fait une initiative très intelligente en matière d’énergie. Le projet de loi les oblige à ne pas négliger le pétrole et le gaz naturel ».

Cette politique de « all-of-the-above energy » [politique prônée par Obama qui consiste à développer et à utiliser une combinaison de diverses ressources pour répondre aux besoins énergétiques. Ces ressources comprennent les ressources non renouvelables (par exemple, le charbon, le pétrole brut et le gaz naturel) et les ressources renouvelables (par exemple, l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’énergie nucléaire, l’énergie hydroélectrique et les biocarburants), NdT] — une formule orwellienne relayée par Manchin lui-même, tel un perroquet — est le volet climatique de cette idéologie pernicieuse consistant à éviter le choix.

Elle survient quelques mois seulement après que des scientifiques des Nations Unies aient effectivement mis en garde contre une politique énergétique globale incluant les combustibles fossiles qui est un réel déni climatique et conduira à la destruction du monde.

Dans leur rapport, il y a cependant une bonne nouvelle, nous pouvons encore conjurer les plus graves effets du changement climatique et sauver notre écosystème. Mais nous ne pouvons le faire que si nous cessons de prétendre en permanence que nous n’avons pas à faire de choix. La science est limpide : pour sauver notre espèce, nous devons mettre un terme au développement de nouveaux combustibles fossiles. Maintenant.

Pour cela, il faut faire le genre de choix binaire, à somme nulle, que nous ne faisons presque jamais — dans ce cas précis, il s’agit de choisir d’abandonner une ressource pour une autre, de ne pas lier l’énergie propre à l’énergie sale.

De tels choix binaires nous font sortir de notre zone de confort. Ils nous obligent à reconnaître des réalités dérangeantes et à accepter la perspective du changement. Ils exigent des qualités et une force de caractère qui ne sont pas toujours au rendez-vous.

Exxon ment (Spencer Platt/Getty Images News)

Pour survivre à cette situation d’urgence, il nous faut de l’honnêteté de la part des médias qui ne veulent peut-être pas dire les vérités difficiles à entendre quant aux choix qui pourraient réduire les profits de leurs annonceurs. Il nous faut de la maturité et une prise de conscience quant au climat de la part d’électeurs qui ont pris l’habitude de se faire proposer des façons d’éviter tout choix et des solutions faciles.

Et, surtout, il nous faut obtenir de l’intégrité de la part de dirigeants politiques qui continuent de promouvoir des fictions du type « all-of-the-above » qui mettent notre monde en danger.

Vous pouvez vous abonner ici au projet de journalisme d’investigation de David Sirota, The Lever

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