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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-100

Réduisons les émissions de méthane

Par Rishika Pardikar, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 22 août 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Réduisons les émissions de méthane

Le 18 Juillet 2022 par Rishika Pardikar

Rishika Pardikar est journaliste, elle est spécialiste du changement climatique et de la faune sauvage et vit en Inde.

Une station-service dans la zone du champ pétrolifère du bassin permien à Odessa, au Texas [Bassin sédimentaire qui s’étend sur l’ouest du Texas et le sud-est du Nouveau-Mexique, NdT]. (Joe Raedle / Getty Images)

Des responsables américains et européens ont récemment proposé de cibler le bétail et l’agriculture en Asie et en Afrique pour réduire les émissions de méthane. La production de pétrole et de gaz aux États-Unis est à l’origine d’un volume bien plus important d’émissions, mais pour les réduire, il faut s’attaquer aux entreprises de combustibles fossiles.

Atrium de la Conférence de Bonn (Photo United Nations Climate Change)

Lors de la conférence sur le climat COP26 qui s’est tenue à Glasgow l’année dernière, le président Joe Biden a qualifié le méthane de « l’un des plus puissants gaz à effet de serre » et a déclaré que les États-Unis et l’Europe travailleraient de concert pour réduire les émissions de méthane de 30 % d’ici 2030. Depuis lors, plus d’une centaine de pays dans le monde ont signé le Pacte mondial pour le méthane.

Bulles de méthane dans l’eau autour d’un puits de pétrole et de gaz non raccordé en Pennsylvanie.(Source : Mary Kang)

Pour contribuer à tenir cet engagement, les responsables américains et européens, lors d’un événement en marge de la conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s’est tenue à Bonn, en Allemagne, le mois dernier, ont pointé un coupable en particulier : le secteur de l’agriculture et de l’élevage, notamment dans les pays africains et asiatiques. En effet, le fumier, certaines techniques de culture et les rejets gastro-intestinaux sont à l’origine d’une part importante des émissions de méthane.

Mais ces responsables n’ont pas abordé l’une des sources de méthane les plus importantes et les plus faciles à contre-carrer : les émissions du secteur pétrolier et gazier, qu’il s’agisse de la production de pétrole et de gaz ou des fuites dans la chaîne d’approvisionnement.

En fait, les fuites fugitives de l’équipement sont responsables de 60 % des émissions de méthane provenant du pétrole et du gaz. Étant donné que le colmatage de ces fuites se traduirait par une augmentation des recettes pour les compagnies pétrolières et gazières, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une organisation intergouvernementale autonome, a déclaré que près de la moitié de toutes les émissions de méthane provenant des combustibles fossiles « pourraient être évitées grâce à des mesures qui n’auraient aucun coût net » et que la réduction du méthane provenant du pétrole et du gaz est « l’un des objectifs facilement réalisable aux coûts les plus bas pour atténuer le changement climatique ».

En outre, une nouvelle enquête du Congrès a révélé que les compagnies pétrolières et gazières ont probablement sous-déclaré la quantité de méthane qui s’échappe de la plupart de leurs activités aux États-Unis. Et si le récent arrêt de la Cour suprême dans l’affaire West Virginia contre Environmental Protection Agency (EPA) a limité la capacité de l’EPA à réglementer les émissions de gaz à effet de serre, les experts juridiques affirment qu’il n’entrave probablement pas un plan envisagé par l’agence pour traiter, pour la première fois, à grande échelle, les émissions de méthane provenant du pétrole et du gaz.

En réponse aux questions du Lever au sujet de la lutte contre les déperditions de combustibles fossiles, les orateurs de la conférence de Bonn ont tergiversé, répondant en des termes très vagues que le secteur pétrolier et gazier est une « question délicate » et que « certains obstacles » empêchent la réduction des émissions de méthane dans ce secteur.

Verts pâturages (Source Climate and clean air coalition)

Mais les experts ne sont pas d’accord — ils affirment que la réduction des émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier, en particulier les actions telles que le colmatage des fuites, est facilement réalisable. Il est même clairement indiqué dans les rapports du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) que le pétrole et le gaz représentent « le seul secteur pour lequel la majorité des émissions peuvent être réduites de manière rentable avec les technologies qui existent aujourd’hui ».

Si l’élevage et l’agriculture constituent également un facteur important d’émissions de méthane, il est probablement moins rentable de s’attaquer à ces sources, car les techniques agricoles à faible émission de carbone sont encore en phase de développement. En revanche, il existe déjà des technologies conçues pour lutter contre les émissions de méthane provenant du pétrole et du gaz — comme l’Observatoire international des émissions de méthane — lancé par le PNUE avec le soutien de l’Union européenne en octobre 2021.

En outre, comme le soulignent certains observateurs, la lutte contre les émissions de méthane liées au pétrole et au gaz dans les pays développés est une question d’équité mondiale.

Torchère et pompages (Source NOAA)

« La responsabilité de l’action [climatique] ne devrait pas être répartie de manière inégalitaire », a déclaré Arvind Ravikumar, professeur au département d’ingénierie du pétrole et des géosystèmes de l’université du Texas. « Il est logique, d’un point de vue pratique, que les pays développés à forte production de pétrole et de gaz s’attaquent d’abord à leurs propres émissions de méthane, pendant que les solutions d’atténuation des émissions de méthane des autres secteurs deviennent plus abordables ».

Un engagement courageux qui ne tient pas la route

Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont reconnu que le méthane est responsable d’au moins un quart du réchauffement que nous observons aujourd’hui. D’autres rapports montrent qu’une réduction de 45 % du méthane au cours de cette décennie permettrait d’éviter un réchauffement de 0,3 degré Celsius d’ici à 2040. Un tel niveau de réduction permettrait également d’éviter 255 000 décès prématurés, 775 000 séjours à l’hôpital liés à l’asthme, 73 milliards d’heures de travail perdues en raison de la chaleur extrême et 26 millions de tonnes de pertes de récoltes chaque année.

« Parce que le méthane est un polluant à courte durée de vie, si vous réduisez le méthane maintenant, vous en verrez les avantages dès maintenant, contrairement à ce qu’il se passe pour le dioxyde de carbone pour lequel les effets de l’accumulation persistent », a déclaré Vaishali Naik, scientifique à la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) et auteur principal d’un chapitre sur les « polluants climatiques de courte durée de vie » dans le rapport fondamental du GIEC sur le changement climatique publié à la fin de l’année dernière. « Cela fait du méthane un atout très intéressant pour lutter contre le changement climatique et le réchauffement à court terme, en particulier ».

Le méthane est également un gaz à effet de serre particulièrement puissant, avec un potentiel de réchauffement trente-cinq fois plus puissant que celui du dioxyde de carbone. Il n’est donc pas étonnant que 117 pays aient jusqu’à présent signé le Pacte mondial sur le méthane, s’engageant à « travailler de concert afin de réduire collectivement les émissions mondiales de méthane anthropique d’au moins 30% par rapport aux niveaux de 2020 d’ici à 2030, dans tous les secteurs ». Cependant, malgré ces paroles courageuses, le pacte manque de précision quant à la manière dont chacun des pays prévoit d’ici à 2030 atteindre les objectifs fixés

Impact de l’exploitation des hydrocarbures sur l’agriculture (AP Photos/Charles Rex Arbogast and Neo Ntsoma)

« Le pacte est important, mais il ne peut être efficace que si il est assorti de lignes directrices et d’une réelle précision en termes d’engagements », a déclaré Collin Rees, responsable de campagne chez Oil Change International.

Ce pacte formulé en des termes vagues concernant le méthane contraste avec d’autres initiatives comme la Beyond Oil and Gas Alliance (BOGA), une coalition internationale de gouvernements qui revendique des actions spécifiques telles que l’engagement des membres à « mettre fin aux nouvelles concessions, aux octrois de licences ou de baux de location et à fixer une date conforme à celle de Paris pour mettre fin à la production de pétrole et de gaz ». Les États-Unis ne sont pas membres de la BOGA.

Le fait que l’administration Biden soit actuellement en train de rendre des terres appartenant au domaine public accessibles à de nouveaux forages pétroliers et gaziers montre à quel point l’engagement en matière de réduction du méthane est dénué de toute obligation contraignante. « Il est clair que le pacte n’est pas aussi rigoureux qu’il devrait l’être si les États-Unis continuent d’investir davantage dans de nouvelles infrastructures pétrolières et gazières, a déclaré Rees. Le danger est donc que le pacte devienne en fait un dérivatif ».

Joeri Rogelj, directeur de recherche à l’Institut de recherche Grantham sur le changement climatique et l’environnement de la London School of Economics et auteur principal de plusieurs rapports du GIEC, a une autre inquiétude concernant le pacte sur le méthane : Va-t-il au-delà de ce à quoi les pays se sont déjà engagés dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat de 2015 ? Comme l’a fait remarquer Rogelj, « On ne sait pas exactement dans quelle mesure les réductions d’émissions annoncées s’ajoutent aux engagements nationaux de portée générale en matière d’économie [pris dans le cadre de l’accord de Paris] ».

« Émissions de survie »

La question de la réduction des émissions de méthane est également une question de justice climatique. Les émissions provenant de l’agriculture et de l’élevage dans les pays en développement sont couramment appelées "émissions de survie", parce qu’elles sont intrinsèquement liées aux moyens de subsistance dans les régions les plus pauvres du monde, par opposition aux profits des grandes sociétés pétrolières et gazières.

« Où et comment les émissions de gaz à effet de serre sont abordées est sans aucun doute une question d’équité », a déclaré Naik de la NOAA. Près de 80 % des terres agricoles en Afrique subsaharienne et en Asie sont cultivées par des petits exploitants. Les émissions de méthane générées par ces sources contrastent donc non seulement celles provenant du secteur pétrolier et gazier, mais aussi avec celles dues aux méthodes industrielles de l’agriculture des pays développés d’Europe et des États-Unis.

Les combustibles fossiles sont à l’origine de 35 % des émissions de méthane d’origine humaine — et pourtant des chercheurs ont découvert que les émissions de méthane provenant du pétrole et du gaz pourraient être sous-estimées de 70 %. Les exploitations pétrolières et gazières sont responsables de 65 % du méthane issu des combustibles fossiles, tandis que les entreprises du secteur du charbon produisent le reste.

L’EPA propose une règle sur l’air pur pour réduire les émissions de méthane provenant de l’industrie du pétrole et du gaz naturel (Source Smith Gambrell Russel)

Il est intéressant de noter qu’à peine un jour après la conférence sur le climat de Bonn, le département d’État américain publiait une déclaration reconnaissant que « la lutte contre les émissions de méthane dans le secteur pétrolier et gazier est essentielle pour atteindre l’objectif du Pacte mondial sur le méthane ».

Quelles sont les éventuelles retombées du récent arrêt de la Cour suprême ?

L’EPA (U.S. Environmental Protection Agency) dispose déjà de certains programmes spécifiques destinés à lutter contre les émissions de méthane, notamment dans le secteur pétrolier et gazier. En novembre 2021, cependant, elle est allée plus loin en présentant une règle visant à réglementer directement les émissions de méthane provenant de sources existantes dans le secteur du pétrole et du gaz « à une échelle nationale pour la toute première fois », et pour se concentrer sur la réduction des émissions de méthane et de composés organiques volatils (COV) provenant des installations de pétrole et de gaz nouvelles, reconstruites et modifiées.

La règle proposée traduit « un réel besoin de réglementations fédérales rigoureuses pour garantir que l’industrie pétrolière et gazière s’oriente sans tarder vers une réduction à grande échelle des émissions de méthane provenant de ses activités », indique un rapport interne de la commission des sciences, de l’espace et de la technologie de la Chambre des représentants des États-Unis, publié le mois dernier. Le rapport ajoute que la règle pourrait être « un pilier fondamental de la démarche de l’Amérique pour atteindre les objectifs fixés dans le Global Methane Pledge ».

Et si le récent arrêt de la Cour suprême dans l’affaire West Virginia v. EPA a limité certains des pouvoirs réglementaires de l’agence environnementale, Daniel Farber, professeur de droit au Center for Law, Energy, and the Environment de l’université de Californie à Berkeley, a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de penser que l’arrêt aurait une incidence sur la règlementation proposée concernant le méthane, car il s’agit d’ « un exemple très courant de la manière dont l’EPA exerce son pouvoir pour imposer des limitations d’émissions à des sources de pollution ».

Selon Farber, l’arrêt de la Cour suprême vise à infléchir la réglementation de l’EPA concernant le dioxyde de carbone émis par les centrales électriques, qui diffère des réglementations habituelles de l’EPA. « Du point de vue de la Cour, au lieu de réglementer les émissions des sources individuelles, l’EPA exerçait son autorité afin de contrôler les sources d’énergie qui seraient utilisées sur le réseau électrique américain, a déclaré Farber. La réglementation sur le méthane, en revanche, est beaucoup plus proche du business as usual de l’EPA ».

Shell brûle du gaz sur la plate forme de forage Morse, dans le comté de Bradford, en Pennsylvanie, afin d’éviter que du gaz naturel ne s’échappe à la surface (Becky Lettenberger/NPR)

Un porte-parole de l’EPA n’a pas souhaité préciser si la règle proposée serait affectée par la décision de la Virginie occidentale. Il a toutefois indiqué que l’agence travaillait également à une proposition complémentaire sur la question. « La proposition complémentaire est une étape importante dans l’élaboration d’une règle définitive, que nous espérons bien parachever au cours de l’année prochaine », ont-ils expliqué.

La réduction des émissions de méthane liées au pétrole et au gaz est également une question de justice environnementale aux États-Unis. Une étude récente publiée dans Nature a révélé que les quartiers où la diversité raciale est la plus grande comptaient deux fois plus de puits de pétrole et de gaz que les quartiers à majorité blanche.

« Remédier aux fuites fugitives de méthane n’aidera en rien les communautés qui souffrent de l’extraction du pétrole et du gaz et des pipelines qui surgissent dans leurs arrière-cours », a déclaré Rees à Oil Change International.

L’EPA en convient. Selon le porte-parole de l’agence, le projet de régulation sur les émissions de méthane dues au pétrole et au gaz « est une étape cruciale dans la lutte contre le changement climatique et la protection de la santé publique dans les zones d’exploitation du pétrole et du gaz, en particulier pour les communautés proches des installations pétrolières et gazières qui souffrent trop souvent de manière disproportionnée de la pollution et de la mauvaise qualité de l’air ».

Vous pouvez vous abonner ici au projet de journalisme d’investigation de David Sirota, The Lever. Ce travail a été rendu possible grâce au soutien de la Puffin Foundation .

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