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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-094

Les États Unis fabriquent une coalition hostile

Par Paul R. Pillar, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 8 août 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les États Unis fabriquent une coalition hostile

Le 19 juillet 2022 par Paul R. Pillar

Le président russe Vladimir Poutine rencontre son homologue chinois Xi Jinping au Kremlin à Moscou, en Russie, le 5 juin 2019 (Reuters/Evgenia Novozhenina/Pool)

Les États-Unis sont en train de créer une coalition composée de leurs adversaires. Des pays comme la Chine, la Russie et l’Iran ont toutes les raisons d’entretenir entre eux des relations glaciales, et pourtant la politique étrangère américaine les rapproche.

Lors de la réunion au sommet de la semaine dernière à Djeddah, en Arabie saoudite, le président Biden a tenté de rassurer son auditoire quant à l’attention portée par les États-Unis au Moyen-Orient en déclarant : « Nous ne nous retirerons pas en laissant un vide qui serait comblé par la Chine, la Russie ou l’Iran ».

La métaphore du vide appliquée aux relations internationales a toujours posé de gros problèmes, notamment parce qu’elle ne tient pas compte du fait que les interventions étrangères, dans quelque région que ce soit, risquent au moins autant d’être une riposte ferme face à l’intervention de quelqu’un d’autre, que de combler un vide.

Les États-Unis devraient le savoir, étant donné qu’ils ont souvent été le bras armé dans de telles situations. Par exemple, la Marine américaine mène des opérations de « liberté de navigation » dans la mer de Chine méridionale non parce qu’un vide y a été laissé, mais parce que la Chine a mené ses propres opérations militaires volontaristes dans la région.

Le voyage même au cours duquel Biden a fait sa remarque illustre encore mieux ce point. Ce voyage était empreint d’hostilité envers l’Iran, et Biden a notamment évoqué sa détermination à utiliser la force militaire contre celui-ci.

L’objectif principal du voyage était la promotion par les États-Unis de relations plus étroites entre Israël et les États arabes du Golfe, une relation qui constitue de fait une alliance militaire anti-Iran, dont une des parties mène déjà une guerre souterraine contre ce dernier et qui menace régulièrement d’en faire une guerre ouverte. Ainsi menacé, l’Iran cherche naturellement à répliquer.

L’une des ripostes possibles consiste à s’allier à des puissances extérieures qui sont elles-mêmes des adversaires des États-Unis, ou qui ont hérité de cette qualification parce que Washington les décrit comme tels. Depuis plusieurs années, l’Iran renforce considérablement ses relations économiques et sécuritaires avec la Chine, en dépit d’une réelle absence de liens idéologiques ou culturels, ou de valeurs communes.

L’Iran a rejoint l’Organisation de Coopération de Shanghai, un alignement eurasien dont la Chine et la Russie sont les deux membres les plus influents. Comme pour souligner le fait qu’il s’agit d’une question de timing et pas seulement de principe, le président russe Vladimir Poutine a choisi ce moment, dans la foulée du voyage de Biden au Moyen-Orient, pour se rendre à Téhéran afin de renforcer les relations entre la Russie et l’Iran.

Le propre conseiller de Biden pour la sécurité nationale, Jake Sullivan, a ajouté une donnée supplémentaire en prétendant que l’Iran était prêt à vendre des drones à usage militaire à la Russie.

Il se peut que Sullivan ait un peu exagéré les données de renseignement disponibles, afin de renforcer le message anti-iranien de l’administration auprès du public du Moyen-Orient à la veille du voyage de Biden dans la région.

Mais des informations ultérieures indiquent que cette histoire pourrait être fondée, même si les exportations supposées vont dans la direction opposée de la plupart des ventes d’armes impliquant la Russie.

Le porte-avions USS Nimitz (Photo Wikipedia)

Les théories de la physique qui voudraient que la nature abhorre le vide fonctionnent bien quand il s’agit de décrire la manière dont se comportent les phénomènes physiques tels que les gaz dans les espaces clos.

Mais quand on en vient à la théorie des relations internationales — et notamment à la théorie réaliste, qui privilégie le concept de contre-équilibre pour répondre aux menaces perçues — on comprend mieux comment les nations se comportent.

Cette mise en équilibre peut permettre de réunir des États qui se trouvent à l’autre bout du monde et qui n’ont pas grand-chose en commun en dehors de l’hostilité des États Unis et des sanctions que ceux-ci leur imposent — c’est le cas de la Russie et du Venezuela, qui se sont alliés pour des questions de pétrole et sont allés au delà en convenant de procéder à des échanges d’escales de navires de guerre.

Dans certains cas, les alliances, fondées sur une hostilité partagée de la part des États-Unis, transcendent une hostilité historique non négligeable entre les alliés eux-mêmes.

C’est le cas concernant les relations entre la Russie et la Chine, dont les différences économiques, démographiques et idéologiques de longue date ont provoqué des frictions si graves qu’elles ont même dégénéré en guerre ouverte.

Cependant, dans ce contexte, la perception de la nécessité de contrer les États-Unis a conduit les présidents de la Chine et de la Russie à déclarer, au début de cette année, une amitié « sans limites ».

L’alliance a jusqu’à présent survécu, même nonobstant la guerre russe en Ukraine, source de malaise majeur pour la Chine, car elle viole directement le mantra chinois de non-ingérence dans les affaires nationales des autres nations.

On retrouve une situation similaire dans le cas de la Russie et l’Iran, avec un contexte historique de rivalité territoriale et sur le plan de l’influence entre l’Empire russe et la Perse. L’Union soviétique a occupé le tiers nord de l’Iran pendant la Seconde Guerre mondiale et a provoqué une crise lorsqu’elle a refusé pendant une année supplémentaire de se retirer.

Aujourd’hui, la Russie et l’Iran se disputent toujours une influence en Asie centrale, et les deux nations sont également en concurrence pour trouver des marchés pour leur pétrole. Malgré tout, le fait que tous deux soient les bêtes noires (en français dans le texte) des États-Unis les rapproche.

Une erreur trop fréquente consiste à penser que le comportement de ses adversaires est en quelque sorte ancré dans leur propre culture et qu’il ne s’agit pas d’une réaction à ses propres politiques et comportements. En commettant cette erreur, les États-Unis poussent, entre autres conséquences, leurs adversaires à se liguer et donc à s’opposer plus efficacement aux intérêts américains.

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