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D’après Alternatives Economiques du 21 Juin 2022

La guerre en Ukraine, une aubaine pour le gaz américain

Par Bruno Bourgeon

jeudi 4 août 2022, par JMT

La guerre en Ukraine, une aubaine pour le gaz américain

Forage

Le 31 mai 2022, Gazprom annonçait l’arrêt de ses livraisons de gaz aux Pays-Bas ainsi qu’à deux clients au Danemark et en Allemagne, punis pour avoir refusé de payer en roubles, comme avant eux la Bulgarie, la Pologne et la Finlande. L’Europe n’a donc pas le choix. L’UE, qui a affiché sa volonté de se passer du gaz russe « bien avant 2030 », est forcée de trouver des alternatives, immédiatement.

Les exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) américains se frottent les mains : c’est un marché de taille qui s’ouvre à eux. L’an dernier, la Russie a fourni à l’Europe pas moins de 155 milliards de m³ de gaz. L’UE prévoit d’en remplacer une partie par des renouvelables et plus de sobriété énergétique. Mais à court terme, au moins, il faut trouver d’autres fournisseurs. Et si les Européens prospectent partout – les Allemands au Qatar, les Italiens en Algérie, en Egypte ou en Angola – le gaz de schiste américain fera partie de l’équation.

C’est déjà le cas. Depuis la fin 2021, la majeure partie des exportations de GNL depuis les Etats-Unis ne se dirigent plus vers l’Asie-Pacifique mais vers l’Europe. Des méthaniers ont changé de cap pour profiter des prix européens astronomiques. Car l’UE était déjà en manque de gaz à l’automne 2021, notamment parce que Gazprom avait réduit ses livraisons avant même la guerre en Ukraine.

Grâce à cette demande, les États-Unis sont devenus en janvier le premier exportateur mondial de GNL, dépassant le Qatar et l’Australie. A la fin 2022, les États-Unis disposeront aussi de la plus grande capacité d’exportation par la mer au monde, environ 120 milliards de m³ annuels.

Difficile pour l’Europe de se passer du gaz américain, d’autant que les États-Unis sont plus flexibles que le Qatar et l’Australie, dont les livraisons sont souvent prisonnières de contrats à long terme. Fin mars, un accord a été trouvé entre Ursula von der Leyen et Joe Biden : les États-Unis « s’engagent » à fournir 15 milliards de m³ de plus à l’UE en 2022. L’Europe garantit, quant à elle, au moins 50 milliards de m³ de demande supplémentaire par an jusqu’en 2030.

En réalité, les autorités politiques n’ont guère de pouvoir. Du côté des acteurs privés, on voit des frémissements : plusieurs contrats ont été signés pour des livraisons à travers l’Atlantique. Une aubaine pour des promoteurs américains qui veulent construire des terminaux d’exportation. Côté européen, les projets d’infrastructures pour regazéifier le GNL se multiplient aussi.

Il y a toutefois un hic. Les Européens veulent du gaz pour une durée pas trop longue, alors que la plupart des exportateurs de GNL souhaitent des contrats de long terme de quinze à vingt ans.

De gros investissements sont nécessaires pour construire des unités de liquéfaction. Il faut aussi du temps, 5 ans en général. Ce qui fait d’ailleurs que l’UE importera d’abord aux dépens de pays asiatiques, incapables de s’aligner sur l’Europe et pourraient compenser par du charbon.

Des Européens qui, dans l’immédiat, achètent le gaz au prix fort. Sur le marché européen, il était en moyenne de 32,30 dollars/Mbtu (million d’unités thermiques britanniques) au premier trimestre 2022, soit cinq fois son niveau au premier trimestre 2021. Contrairement à celui du pétrole, le marché du gaz – et son prix – n’est en effet pas mondial mais plutôt régional. Le prix asiatique est aussi très élevé (30,70 dollars/Mbtu), tandis que le prix américain reste en dessous des 10 dollars/Mbtu.

À plus long terme, l’UE veut réduire le plus possible sa consommation d’énergies fossiles. La Commission prévoit 45% d’énergies renouvelables en 2030. Et l’UE vise la neutralité carbone en 2050. L’Europe est donc face à une contradiction entre ses besoins et ses objectifs climatiques.

Cela pourrait tempérer les ardeurs du marché : parmi les projets de GNL approuvés par les autorités américaines – représentant plus de 200 milliards de m³ d’exportations supplémentaires – tous ne verront pas le jour. Néanmoins, les défenseurs de l’environnement craignent que les nouvelles infrastructures ne prolongent le recours au gaz en Europe.

Certes, le gaz n’est pas l’énergie fossile la plus émettrice de GES : pour le climat, il vaut mieux en importer que de brûler du charbon. Mais c’est loin d’être une énergie propre. Longtemps promu comme un carburant de transition, le gaz naturel est du méthane, un GES très puissant, surtout à court terme : sur 20 ans, son pouvoir de réchauffement est 80 fois supérieur à celui du CO2.

Lors de l’extraction et du transport du gaz, des fuites de méthane peuvent se produire. Ces émissions, mal mesurées, augmentent nettement l’empreinte du gaz naturel.

Le GNL américain est-il encore plus sale que le gaz russe ? Carbone 4 estime que les émissions en amont depuis les États-Unis étaient les plus élevées. Des ONG américaines disent l’inverse. Les émissions russes sont massives, car la production est mal contrôlée et les fuites très importantes.

Si les États-Unis et l’Europe veulent limiter les émissions de méthane, comme ils s’y sont engagés à la COP26, une des clés consiste donc à mieux encadrer producteurs et exportateurs. L’administration Biden doit édicter en 2022 une réglementation contre les fuites de méthane, après un assouplissement des normes sous Trump.

Les satellites permettront de surveiller les acteurs. Les pays acheteurs ont un rôle décisif à jouer en exigeant des livraisons de gaz sans fuite. Fixer un plafond de fuite serait très opportun.

Le gaz de schiste, qui constitue le gros de la production américaine, ne nuit pas seulement au climat. Pour l’extraire, il faut injecter d’énormes quantités d’eau et de produits chimiques afin de fracturer la roche mère. Cette méthode menace les réserves d’eau potable, pollue les nappes phréatiques et cause une multitude de petits séismes. Sans compter la défiguration des paysages, les puits de forage étant extrêmement nombreux.

Les volumes exportés, près de 200 milliards de m³ en 2021, ne représentent encore qu’une petite partie de la production de gaz naturel américaine, qui atteint près de 1000 milliards de m3 par an, dont 80% de gaz de schiste. Il n’empêche : les importateurs contribuent à une pratique destructrice, interdite en France.

Pour l’environnement, le mieux reste donc d’importer le moins de gaz possible. De ce point de vue, les objectifs fixés par l’UE pour les renouvelables vont dans le bon sens. Des analystes les jugent même difficilement atteignables.

En revanche, l’Europe a investi dans certaines centrales à gaz, avec jusqu’à 2030 un double seuil (270g de CO2/kWh, ou 550kg de CO2/kW/an sur vingt ans) qui ne prend en compte que les émissions directes. Omettant ainsi les émissions de méthane en amont. Un mauvais signal.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

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