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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-089

Virée de chez Starbucks pour s’être syndiquée

Par Will Shattuc, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 27 juillet 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Virée de chez Starbucks pour s’être syndiquée

Le 1er Juillet 2022 par Will Shattuc

Emma Chambers est une ancienne barista de chez Starbucks. [Une barista, parfois francisé en bariste est une personne spécialisée dans la préparation de boissons au café à base d’expresso, NdT]

Will Shattuc est membre de United Teachers of Los Angeles et de Democratic Socialists of America Los Angeles.

Emma Chambers et ses collègues ont été licenciés après avoir organisé un syndicat dans leur établissement Starbucks de Los Angeles. (Hamza Inayat / Unsplash ; avec l’aimable autorisation d’Emma Chambers)

En l’espace de quelques mois, le nombre de cafés Starbucks syndiqués aux États-Unis est passé de zéro à plus de 160 et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Starbucks a réagi par une campagne intensive de démantèlement des syndicats contraire à la loi.

Emma Chambers

Emma Chambers, vingt-deux ans, est originaire de la vallée de San Fernando et travaillait au Starbucks I-5 de Los Angeles. Emma et ses collègues de travail ont organisé un syndicat dans leur café et ont été licenciés à cause de cela. Les conséquences en ont fortement affecté sa vie, et elle a déposé plainte contre la société auprès du National Labor Relations Board (NLRB).

Mais en dépit du fait qu’elle ait perdu son logement pérenne, ses droits aux soins de santé mentale, qu’elle ait été obligée d’abandonner ses cours et que très probablement elle ait perdu ses droits aux allocations de chômage en raison de la nature de son licenciement, Chambers affirme qu’elle referait exactement la même chose. Will Shattuc, de Jacobin, s’est entretenu avec elle au sujet de son combat contre la multinationale.

WILL SHATTUC ⸎ Comment en êtes-vous arrivée à travailler chez Starbucks ?

EMMA CHAMBERS ⸎ Starbucks a en fait été mon tout premier emploi. J’ai fini par choisir Starbucks parce qu’ils offrent des études universitaires gratuites [ il s’agit de cours en ligne du premier cycle universitaire, NdT] et que j’essayais d’obtenir mon diplôme en conseil. J’y ai travaillé pendant deux ans et deux mois. J’ai vraiment adoré ça ; dès mes trois premiers mois, j’ai été nommée Partenaire du trimestre [Partner of the Quarter : chaque trimestre, un partenaire de chaque magasin exploité par la société aux États-Unis reçoit un prix Partenaire du trimestre, NdT] [Être partenaire chez Starbucks signifie que vous êtes plus qu’un simple employé, NdT]. Mais j’ai déménagé, et c’est ainsi que je me suis retrouvée au salon de café I-5 d’où j’ai été licenciée.

Je suis passé d’un petit café de Burbank à ce magasin du top 10 américain. Le salon de café I-5 est un drive, et du coup, c’est vraiment fou. Je n’ai même pas eu de formation adéquate et je travaillais de nuit pour la première fois. Sans exagérer, je pleurais tous les jours après le travail parce que c’était si difficile.

Manifestation contre Starbucks (BLOOMBERG)

WILL SHATTUC ⸎ Qu’est-ce qui rendait les conditions de travail si difficiles ?

EMMA CHAMBERS ⸎ Le rythme effréné du drive-in : le café rapporte habituellement 90 000 dollars par semaine avec des salaires d’environ 17 dollars de l’heure. J’étais payée comme dans mon ancien magasin, mais je faisais trois fois plus de travail. J’étais épuisée ; je pouvais à peine travailler à mes cours universitaires après le travail.

Nous avions aussi beaucoup de problèmes de sécurité dans ce magasin et ils n’étaient pas bien gérés. Je ne sais pas comment faire face à une personne qui fait une overdose ou à des gens qui nous agressent verbalement tous les jours. Quelqu’un a essayé de rouler sur moi en voiture, un type armé est venu au drive-in. Je me souviens d’une fois où un type déguisé en Joker est venu et il est resté là à nous fixer avec son petit diable à ressort, il n’arrêtait pas de le faire fonctionner. J’étais tellement terrorisée.

WILL SHATTUC ⸎ Vous êtes donc confrontée à toutes ces terribles conditions de travail. Comment passez-vous de cela à la syndicalisation ?

EMMA CHAMBERS ⸎ J’ai entendu parler de la syndicalisation parce que mon petit ami n’arrêtait pas de me dire « Tu devrais te syndiquer, tu devrais te syndiquer », et un jour, je me suis dit « Peut-être que je devrais ». Ce soir-là, j’ai commencé à parler aux gens avec qui je travaillais, parce qu’on était super proches, pour leur demander ce qu’ils en penseraient si on faisait ça. J’ai fini par parler à pratiquement tout le monde, et si ce n’était pas moi qui leur parlais, quelqu’un d’autre le faisait. J’expliquais ce qu’était un syndicat, puis je disais à mes collègues le genre de choses dont nous pourrions bénéficier grâce à un syndicat : cela pouvait aller d’une augmentation de salaire au style de musique que nous écoutions dans le café.

Quand il y a eu une majorité de oui, j’ai envoyé un message à Starbucks Workers United sur Twitter. J’ai reçu les cartes syndicales, je les ai distribuées et j’ai demandé aux gens de les signer sur le champ, parce que je savais que sinon, les gens les emmènent chez eux et les oublient. Une fois les cartes distribuées, ça a été super rapide. Nous avons envoyé la pétition la semaine suivante [Si une majorité de travailleurs souhaite former un syndicat, ils peuvent choisir un syndicat de l’une des deux manières suivantes : Si au moins 30 % des travailleurs signent des cartes ou une pétition indiquant qu’ils veulent un syndicat, le NLRB organise une élection, NdT].

WILL SHATTUC ⸎ Quelle a été la réaction de la direction face à votre syndicalisation ?

EMMA CHAMBERS ⸎ Nous avions cette horrible manager qui était en partie la raison pour laquelle tout le monde voulait se syndiquer. Juste avant qu’on ne fasse notre pétition, elle est tombée malade et nous n’avons plus jamais entendu parler d’elle.

On avait un manager adjoint, celui qui m’a embauché dans ce café. Il m’a appelé et m’a dit : « Je vais avoir un entretien en privé avec chacun des partenaires l’établissement pour comprendre ce qu’il en est pour chacun ». On était là : « Oh, mon Dieu, les gars, c’est du démantèlement de syndicat ? J’ai l’impression que c’est du démantèlement syndical », et on ne savait pas. On l’aime bien et on voulait être sûrs que ce n’était pas le cas. Mais nous voulions aussi être sur nos gardes. Il y a tant de choses que je vois quand j’y repense et je me dis : « C’était du démantèlement syndical ».

Il nous a dit qu’il voulait que notre lieu de travail reste neutre, alors nous avons accepté, et c’est cela qui a causé ma perte.

Syndicat des travailleurs de Starbucks (Image Ethan B., Wikimedia commons)

WILL SHATTUC ⸎ Et c’est alors que vous avez été licenciée.

EMMA CHAMBERS ⸎ Quatre d’entre nous ont été licenciés — moi, les deux autres dirigeants syndicaux et un collègue pro-syndicat — la semaine même où nos bulletins de vote étaient envoyés. Pour me licencier, ils ont dit que j’avais donné l’ordre aux gens de voler des gobelets. Non pas que j’en ai volé, mais que j’ai conseillé aux gens de le faire. Mais il existe des séquences filmées où on les voit en train de payer ces gobelets. Et puis ils ont dit que j’avais pris un jus de fruit et que je ne l’avais pas marqué. Ils m’ont demandé de rédiger un constat, et j’ai dit qu’il y avait eu un malentendu.

C’est par le biais de quelqu’un d’autre que j’ai découvert que je me faisais virer. Pendant une journée entière j’ai été au courant. Mon chef de district était en possession d’un document avec l’avis de licenciement, et cela incluait ma déclaration — mais ils l’ont réécrite ! Mon responsable n’arrêtait pas de me répéter : « C’est uniquement une décision que vous avez prise à un moment donné ». C’était tellement frustrant de voir quelqu’un qui est assis là et qui vous dit ce que vous n’êtes pas. Nous avions travaillé dans cette entreprise sans avoir connu le moindre problème, notre dossier était parfaitement vierge.

C’est comme ça que je me retrouve en train de perdre toutes mes ressources. J’allais avoir une augmentation et déménager dans un nouvel appartement, et maintenant je fais du couch surfing. C’est grâce à Starbucks que j’avais obtenu ma thérapie, et j’ai dû arrêter de voir mon thérapeute que je voyais depuis deux ans. J’ai eu un W [ Withdrew = retrait, NdT] sur mon relevé de notes parce que j’ai dû arrêter un des cours. La personne qui m’a virée était ma référence. Et parce que j’ai été virée pour avoir techniquement volé, je n’aurai peut-être pas d’allocations de chômage.

Les travailleurs de Starbucks ont maintenant remporté 44 scrutins syndicaux dans tout le pays depuis décembre. [Crédit : Justin Mason]

WILL SHATTUC ⸎ Alors, où en est votre salon de café maintenant ?

EMMA CHAMBERS ⸎ Ils ont en fait retiré la requête. Mon représentant syndical m’a demandé si je pensais que les gens allaient voter oui. Et sincèrement, je ne le pensais pas. Avoir quatre personnes licenciées en une journée la semaine du vote est suffisant pour effrayer les gens. J’aimerais que les gens aient encore la possibilité de voter, mais d’un autre côté je déteste aussi l’idée que cela pourrait offrir cette satisfaction à Starbucks.

WILL SHATTUC ⸎ Mais vous n’en avez pas fini.

EMMA CHAMBERS ⸎ Non, non. Mon avocat a déposé une protestation auprès du NLRB. Je veux toujours me battre pour la justice, mais comme c’est en quelque sorte leur parole contre la mienne. Je n’arrive pas à croire que je suis en train de me battre contre la parole d’une firme.

WILL SHATTUC ⸎ Pourquoi ne pas simplement vous en aller ?

EMMA CHAMBERS ⸎ Le fait de pouvoir être réintégrée est une raison suffisante pour intenter un procès, mais j’ai aussi l’impression d’avoir été poignardée dans le dos. J’ai un réel sentiment de frustration à l’idée que Starbucks puisse s’en tirer comme ça. J’ai travaillé d’arrache-pied pour eux. C’est nous qui faisions marcher l’établissement, et le fait d’être purement et simplement rejetée parce que j’attends un peu plus de leur part est une raison suffisante pour que je me batte.

WILL SHATTUC ⸎ Feriez-vous de nouveau la même chose, sachant ce que vous savez maintenant ?

EMMA CHAMBERS ⸎ Le simple fait d’essayer de syndiquer l’établissement a été une expérience en soi. Le simple fait de faire partie d’une prise de conscience plus large des travailleurs, le fait de pouvoir se battre pour la classe ouvrière à mon humble niveau, d’être une goutte d’eau dans l’océan des travailleurs qui se défendent contre les multinationales. Je ne voudrais pas revenir en arrière et y changer quoi que ce soit. Pour moi, c’est une raison suffisante pour recommencer, encore et encore.

N’ayez pas peur de vous asseoir à la table pour réclamer les choses dont vous avez besoin. Vous êtes la personne qui travaille sur le terrain, voilà pourquoi vous devriez avoir votre mot à dire sur ce qui se passe sur le terrain, et pas ces gens de l’entreprise qui n’ont jamais fait un seul café de toute leur vie. Aussi longtemps que nous serons tous motivés et que nous travaillerons ensemble, ils ne réussiront littéralement pas à nous arrêter. Il y a eu d’un côté 6 mecs et puis c’est devenu nous tous les travailleurs.

Quand nous sommes moins nombreux, chacun d’entre nous fait beaucoup plus de travail, et c’est vraiment stressant et injuste pour nous (Image : Rédacteur en chef, Wikimedia Commons)

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