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L’écologie c’est d’abord de la pensée !

Orienter nos désirs : un besoin de nouvelle éthique

Par Bruno Bourgeon

jeudi 14 juillet 2022, par JMT

Orienter nos désirs : un besoin de nouvelle éthique

Quand la technique menace la nature

Avec la vague actuelle de chaleur qui recouvre l’Europe, la plus précoce jamais enregistrée, il est temps de convoquer à nouveau la pensée de Hans Jonas(1903-1993). Déconstruire notre imaginaire pour permettre la vie des générations futures, tel est le principe de la pensée du philosophe allemand, disciple de Martin Heidegger, dont le livre « Le Principe Responsabilité » est l’opus majeur (1979). Ce fut initialement l’ouvrage référence des « Grünen » (Les Verts allemands). Jonas nous propose rien de moins qu’une nouvelle éthique pour notre civilisation technologique.

Le point de départ est le suivant : le développement technique a atteint un tel seuil que ce qui jadis était promesse est devenu de nos jours menace, qui met en péril toute forme de vie sur Terre. Nous possédons aujourd’hui un pouvoir de destruction sur la Nature et sur l’Humanité. Cette destruction peut être immédiate, instantanée, par l’armement nucléaire. Ou progressive, avec la pollution et le réchauffement climatique, par exemples. À terme, la menace est de toutes façons l’extinction définitive de l’espèce humaine.

Il y a eu comme un renversement. Pendant des millénaires, l’Homme a appris à dominer la Nature. Depuis quelques temps, les instruments de domination sur la Nature sont devenus des instruments de domination sur nous-mêmes. Nous avons créé quelque chose qui nous échappe et peut se retourner contre nous. Nous sommes aujourd’hui impuissants face à notre propre puissance.

Chacun reconnaît que nous sommes responsables de nos actes, passés et présents. Mais Jonas va beaucoup plus loin en affirmant que nous sommes responsables de ce que notre simple présence sur Terre peut avoir comme conséquences pour les générations futures. Notre existence sur Terre peut, sans que nous y prenions garde, compromettre le bien-être de nos enfants et petits-enfants.

Nous devons nous penser comme responsables de nos contemporains, mais aussi vis-à-vis d’êtres qui n’existent pas encore. Nous avons un devoir de responsabilité absolue envers l’Humanité future. Par conséquent, puisque notre simple existence peut devenir néfaste pour la planète et les générations futures, nous devons anticiper les conséquences à long terme de nos actions et des réalisations actuelles et évaluer les risques qu’elles font planer sur l’existence de l’Homme et de la Nature.

Il est de notre devoir d’utiliser un principe de précaution, un principe de prévoyance. Nous devons modifier notre mode de vie, notre mode d’agir en fonction de ces risques. Nous avons besoin d’une nouvelle éthique, une éthique de la préservation, de la conservation, de la prévention, et non d’une éthique du progrès et du développement. Une éthique qui nous empêche d’être un facteur de destruction pour nous-mêmes. Une éthique qui prenne en compte non plus seulement l’Homme et le présent, mais aussi la Nature et le futur.

Cette nouvelle éthique ne peut se fonder que sur un principe de peur. En effet, pour Jonas, la raison, l’intelligence, l’éducation, sont impuissantes à nous faire agir. Seule la peur peut y parvenir. Nous devons avoir peur face à tout ce qui est capable de menacer notre avenir. Nous devons avoir peur d’une possibilité de plus en plus probable d’une catastrophe ultime : la fin de l’Humanité.

Nous savons être capables, scientifiquement, technologiquement, d’effectuer certaines choses. Mais à partir du moment où l’on sait que nos actions présentes sont néfastes pour la planète et pour les générations futures, a-t-on encore le droit d’agir comme nous le faisons ? C’est ce que nous dit le « Principe Responsabilité » : nous sommes responsables de l’avenir. Pour Jonas, la peur du pire doit se substituer à l’espérance du meilleur. Tout simplement parce que le pire peut devenir absolu : la fin de l’Humanité, tandis que le meilleur n’est jamais que relatif. Aujourd’hui, il n’est plus question d’espérer le meilleur, mais simplement d’éviter le pire.

Cette éthique nouvelle est toute entière contenue dans une petite règle, qui reformule l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une vie humaine ». À partir de là, la solution proposée par Jonas est radicale. Il s’affiche alors comme un penseur de l’écologie et de la décroissance. Pas du développement durable, notion qui n’existait pas en 1979.

Il faut réduire la pollution en entamant un processus de désindustrialisation : fermer les usines, stopper les grands projets technologiques, ralentir les grands voyages et les grands déplacements humains, consommer moins, produire moins, en un mot renoncer à une partie de notre bien-être actuel, une partie de notre confort, une partie de notre plaisir de vivre, afin de préserver la planète et le futur.

Sommes-nous prêts à cela ? Sommes-nous prêts à renoncer à notre confort au profit des générations à venir ? Sommes-nous prêts à renoncer à l’hédonisme au profit de l’ascétisme ? Sommes-nous prêts à sacrifier une partie plus ou moins importante de notre bien-être au profit d’êtres humains qui n’existent pas encore ? Toute la question est là.

Comment y parvenir ? Il nous faut réorienter nos désirs. Ne plus être platonicien : « aimer, c’est désirer, et le désir, c’est le manque », mais devenir spinoziste ou aristotélicien : « aimer, c’est se réjouir de... »

Pourquoi cette grille de lecture ? Car nous ne sommes pas condamnés à devoir nous modérer dans le manque, la pénurie, et la souffrance. Nous ne sommes pas condamnés à la phrase la plus triste de la philosophie, celle de Schopenhauer, austère philosophe allemand du XIXème : « Ainsi, toute notre vie oscille, telle un pendule, de droite à gauche, entre la souffrance et l’ennui ». Non. Nos envies et nos désirs ne doivent plus avoir le dernier mot.

Respecter l’environnement, c’est s’accommoder d’une limite. Préserver les écosystèmes, c’est limiter ce qu’on y prélève. Limiter nos émissions, c’est limiter notre consommation. Être durable, c’est être sobre. Or nous sommes programmés pour vouloir plus, non pas moins. Pour passer à la satisfaction d’un jour à une autre satisfaction le lendemain : nous sommes platoniciens. C’est juste le résultat d’une évolution, d’une époque où l’on devait réagir aux stimuli immédiats avant de se projeter sur le long terme. D’une époque où la finitude du monde n’était pas un sujet.

L’équation est donc simple : nous devons voir nos actions comme associées à plus de plaisir que si nous ne les faisions pas. Se réjouir de bénéfices qui existeraient même si le problème climatique n’existait pas. Se réjouir que la baisse des émissions de GES puisse être vue comme une satisfaction du temps court. Se réjouir d’entreprendre une action qui puisse donner de la joie à ceux qui s’y risquent.

Bref, donner envie de joie. Envie d’être utile. Car nous sommes des animaux grégaires. Communiquer la joie d’être utile sera partagée par l’ensemble de l’Humanité, à terme. Porter un projet cohérent où chacun y puisera un avenir personnel. Un projet cohérent où chacun puisse y trouver sa place : un plan acceptable et désirable. Soyons spinoziste.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

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