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D’après Alternatives Economiques du 09 Mai 2022

La Nupes, ce n’est pas les Soviets !

Par Bruno Bourgeon

mardi 31 mai 2022, par JMT

La Nupes, ce n’est pas les Soviets !

Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale

Contrairement à ce que pense Jacques Tillier, dans son édito du JIR du samedi 14 mai, non, non, la Nupes, ce n’est pas le retour au communisme soviétique. Quelques lignes de démonstration.

Les accords passés à gauche dessinent un programme économique renouvelé. Un programme très ancré dans la contestation du modèle économique libéral et productiviste actuel, qui fait peur à certains, pas seulement à droite, en particulier par sa volonté de désobéir aux règles européennes.

Les gauches sont-elles devenues folles en se rapprochant des positions de LFI ? On peut adopter un positionnement cynique et considérer que la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) bâtie pour les élections législatives des 12 et 19 juin prochains n’a aucune chance de gagner la majorité, quel que soit son programme.

Mais le fait que les dirigeants des différentes formations se soient mis d’accord sur un projet économique « radical » (à la racine) par ses opposants montre que la gauche est arrivée à la fin du cycle entamé par François Hollande en 2014.

Il y a dix ans, c’était hier, le PS faisait élire son candidat à la présidence de la République. Le retournement libéral de 2014 (CICE, loi El Khomri, dénonciation des impôts, etc.) s’est inscrit dans une vision de l’économie qu’Emmanuel Macron n’a fait que prolonger lors de son premier quinquennat.

Ce cycle s’est terminé avec le 1,75% d’Anne Hidalgo au premier tour des Présidentielles. Ce qui révèle, comme l’a expliqué Martine Aubry, « à quel point certaines réformes, lorsque nous étions au pouvoir, se sont éloignées de nos valeurs et ont sapé la confiance que les Français avaient en nous ».

Que l’attelage remporte ou non les législatives, la recomposition du programme économique de la gauche est en marche, marquant la fin de la période durant laquelle l’expression « gauche de gouvernement » était devenue synonyme de « gauche libérale-sociale ».

Revenons sur le contenu des accords. Celui signé avec le PS englobe la presque totalité des propositions des autres textes tout en offrant le plus de détails. On y trouve par exemple la revalorisation du Smic à 1400 euros net… quand la dernière augmentation de début mai le place à 1302,64 euros.

Pas vraiment révolutionnaire ! Vient s’y ajouter l’organisation d’une conférence sociale sur les salaires, proposition on ne peut plus justifiée pour réduire les inégalités salariales et combattre le problème du pouvoir d’achat des salariés français.

La conférence porte également sur la formation, les conditions de travail et les retraites. Sur ce dernier point, on trouve le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous mais avec au moins 40 annuités. Celui qui commence à travailler à 23 ans, travaillera jusqu’à 63 ans. Une attention particulière est portée aux carrières longues, discontinues et aux métiers pénibles, ce à quoi même Macron est favorable.

Le programme soutient également le blocage des prix des produits de première nécessité. On peut ici rappeler que le gouvernement Macron I a recouru au même principe pour l’énergie. C’est une façon de forcer les entreprises à redistribuer les bénéfices issus des fortes hausses des prix suite à la guerre en Ukraine. Plus les salaires augmenteront, moins on aura besoin de contrôler les prix.

Concernant les entreprises, la mesure phare repose sur la représentation des salariés au sein des conseils d’administration. Une mesure nécessaire pour la démocratie dans l’entreprise afin de rééquilibrer le pouvoir des actionnaires, qui diminue les délocalisations et favorise l’investissement local des entreprises pour des firmes françaises.

S’y ajoute l’abrogation de la loi El Khomri, des contre-réformes du Code du travail et de l’assurance chômage et la lutte contre l’ubérisation du travail avec la présomption de salariat pour les travailleuses et travailleurs des plates-formes. En clair, le simple retour à une gauche pré-2014.

Emmanuel Macron ne contestera pas la nécessité de l’impératif écologique par la planification : il en a fait l’un des mots d’ordre de son second mandat. En revanche, il devrait bondir devant le rétablissement de l’ISF et l’abrogation de la flat tax sur les revenus du capital, là encore dans un esprit proche du PS façon 2012-2014.

Et quand on voit que Jean Pisani-Ferry, qui a orchestré le programme économique de Macron en 2017, appelle à créer, en complément de l’impôt sur le revenu, un impôt sur la détention du capital, le choix des outils diffère, mais les objectifs sont proches.

Il y a encore bien d’autres mesures, qu’il faudra examiner dans les détails. Mais, sur les principaux axes décrits ici, on est loin de l’URSS ou d’un gauchisme rédhibitoire ! C’est un programme de gouvernement de type PS pré-2014, qu’on pourrait qualifier de « jospinien ».

Jospin ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui a soutenu le principe de l’accord. Là où ça coince, c’est sur l’Europe. Si les mots ont un sens, alors il faut rappeler que cette nouvelle gauche reste européenne. On ne fait rien pour sortir de l’euro ou de l’Union. Dont acte. On fait quoi alors ?

Ce qui agace LFI, c’est la concurrence libre et non faussée. C’est aussi la règle de l’unanimité fiscale qui bloque ou ralentit la lutte contre les paradis fiscaux européens, une politique agricole qui laisse la voie libre aux pesticides, des traités de libre-échange qui chantent les vertus du libéralisme et vont à l’encontre des accords de Paris. Ce sont enfin des règles budgétaires qui peuvent empêcher la forte augmentation des dépenses publiques nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique.

La bonne nouvelle est que l’Europe est déjà en train d’évoluer sur ces sujets. La Commission ne voit plus d’un si mauvais œil la politique industrielle, elle est désormais bien plus ouverte aux aides d’Etat.

Emmanuel Macron n’apparaît pas non plus particulièrement fan des traités de libre-échange et il n’a pas cherché avant la pandémie à réduire les déficits budgétaires. On réfléchit déjà en Europe aux changements à apporter aux règles budgétaires, et même peut-être à enlever des calculs les investissements verts.

Bref, l’Union bouge. S’il s’agit pour la France de s’engouffrer dans ces brèches pour aller le plus loin possible, banco ! S’il s’agit de refuser une Europe qui humilie la Grèce et repousse les migrants, et de soutenir une Europe qui avance vers l’harmonisation sociale par le haut, malmène ses propres paradis fiscaux et comprend, enfin, qu’il va lui falloir lutter encore plus sérieusement contre le réchauffement climatique, et bâtir une forte politique industrielle pour tenter de trouver sa place entre les Etats-Unis et la Chine, alors, oui, deux fois banco !

La nécessité et la légitimité d’une autre approche de l’Europe ne font pas de doute. La crainte, c’est le « comment » : une majorité de gauche voudra-t-elle entrer dans les brèches ouvertes par l’Europe elle-même, par la négociation, en acceptant les compromis ?

Cela impliquerait de prendre acte du fait qu’elle n’a pas besoin de brandir la désobéissance à une Europe en train de changer. Ou bien aurait-elle recours à la politique de la chaise vide et aux rodomontades nationalistes sur le thème « si l’Europe veut nous imposer des choses qui vont contre la volonté du peuple français qui nous a élus, alors on refusera l’Europe » ? On retrouverait alors le discours et la méthode de Marine Le Pen.

On entend aujourd’hui les cris d’orfraie des libéraux-sociaux qui, se croyant de gauche, voient en Emmanuel Macron leur vrai porte-parole, et ne comprennent pas que c’est leur soutien à des politiques anti-sociales et injustes qui nourrissent les évolutions actuelles qu’ils rejettent.

En fait, le programme économique de la Nupes nous ramène vers le PS version Jospin.Il reste une grosse différence sur l’Europe. Elle porte sur la méthode plus que sur le fond. L’enjeu est important. Il devra être clarifié, quels que soient les résultats des futures législatives.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après Alternatives Economiques du 09 Mai 2022

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