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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-061

Jésus, la guerre sans fin et la montée du fascisme américain

Par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 23 mai 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Jésus, la guerre sans fin et la montée du fascisme américain

Le 9 mai 2022 par Chris Hedges / Exclusif pour ScheerPost

Chris Hedges est journaliste. Lauréat du prix Pulitzer, il a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est l’hôte de l’émission The Chris Hedges report.

« Avec cet anneau » par Mr. Fish

Le parti démocrate espère contrer une déroute électorale en se positionnant contre la décision attendue de la Cour suprême concernant l’avortement. C’est malheureusement tout ce qu’il reste de son capital politique. Le parti démocrate – qui a eu 50 ans pour transformer l’arrêt Roe contre Wade en loi, puisque Jimmy Carter, Bill Clinton et Barack Obama avaient le plein contrôle de la Maison Blanche et du Congrès au début de leur présidence – axe sa stratégie électorale sur une éventuelle décision de la Cour suprême consistant à supprimer l’interdiction judiciaire qui empêche les États d’adopter des lois restreignant ou interdisant l’avortement. Je doute que ça marche.

L’hypocrisie et la duplicité du parti démocrate sont l’engrais du fascisme chrétien. Sa focalisation exclusive sur les guerres culturelles et les politiques identitaires au détriment de la justice économique, politique et sociale a alimenté une réaction brutale de la droite et nourri le sectarisme, le racisme et le sexisme qu’il cherchait à réduire. Son choix de l’image au détriment du fond, notamment son échec répété à garantir le droit à l’avortement, a engendré méfiance et mépris à l’encontre des démocrates.

L’administration Biden a invité le président du syndicat d’Amazon, Christian Smalls, et des travailleurs syndiqués de Starbucks ainsi que d’autres organisations à la Maison Blanche au moment même où elle réattribuait un contrat de 10 milliards de dollars à l’agence de sécurité nationale (NSA) pour mettre en place un cloud. Le contrat avec la NSA est l’un des 26 contrats fédéraux de cloud qu’Amazon a conclus avec l’armée de terre, l’armée de l’air américaines, le ministère de la santé et des services sociaux, le ministère de la sécurité intérieure, le ministère de l’intérieur et le bureau du recensement [Le Bureau du recensement des États-Unis est une administration publique américaine dépendant du département du Commerce des États-Unis, NdT].

Ce qui serait un geste fort en faveur des employés qui attendent toujours le salaire minimum de 15 dollars promis par Joe Biden lorsqu’il était candidat, serait de suspendre les contrats fédéraux jusqu’à ce qu’Amazon accepte la mise en place d’une syndicalisation libre et ouverte.

Ombres de balles avec croix sur un drapeau américain (Photo d’illustration par Salon/Getty Images)

Mais derrière les murs du village Potemkine du parti démocrate on trouve la classe des milliardaires. Les Démocrates ont échoué quand il s’est agi de s’en prendre aux injustices structurelles qui ont transformé l’Amérique en un État oligarchique, un État où les gens dont la richesse est obscène se chamaillent comme des enfants dans un bac à sable pour savoir qui remportera les jouets qui valent plusieurs milliards de dollars. Plus ce jeu de théâtre politique se poursuit, plus les choses vont empirer.

Les fascistes chrétiens se sont coalisés, à la manière de sectes, autour de Donald Trump. Ils sont financés par les forces les plus rétrogrades du capitalisme. Les capitalistes laissent se développer les stupidités des fascistes chrétiens et leurs guerres sociales et culturelles autodestructrices.

En contrepartie, la classe des milliardaires obtient les monopoles d’entreprise, le démantèlement des syndicats, la privatisation de l’État et des services publics, y compris l’éducation de base, la suppression des réglementations gouvernementales, tout particulièrement les réglementations environnementales, et ces gens là en arrivent même à pouvoir se livrer à un boycott fiscal quasi total.

L’industrie de la guerre adore les fascistes chrétiens qui transforment chaque conflit, depuis l’Irak jusqu’à l’Ukraine, en une croisade sainte pour écraser l’incarnation de Satan la plus récente. Les fascistes chrétiens croient que le pouvoir militaire, et les vertus « viriles » qui lui sont associées, sont bénis de Dieu, de Jésus et de la Vierge Marie. Aucun budget militaire n’est trop important. Aucune guerre menée par l’Amérique n’est maléfique.

Ces fascistes chrétiens représentent peut-être 30 % de l’électorat, ce qui grosso modo correspond à peu près au pourcentage d’Américains qui considèrent que l’avortement est un meurtre. Ils sont bien structurés, dévoués à une cause, même si celle-ci est perverse, et débordent d’argent. John Roberts, Samuel Alito, Amy Coney Barrett, Clarence Thomas, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, juristes médiocres et idéologues de la Société fédéraliste qui brandissent la bannière du fascisme chrétien, sont ceux-là mêmes qui contrôlent la Cour suprême.

Les Républicains et les Démocrates de l’establishment, tels George Armstrong Custer sur la colline de Last Stand [Référence à la bataille de Little Big Horn qui a vu la victoire des Sioux et des Cheyennes et la mort du Général Custer et de ses hommes, NdT], ont formé un cercle de chariots autour du parti démocrate dans une tentative désespérée d’empêcher Trump, ou un mini Trump, de revenir à la Maison Blanche.

Bataille de Little Big Horn (Créateur:GraphicaArtis Crédits : Getty Images)

Avec leurs alliés de la Silicon Valley, ils utilisent des algorithmes et une exclusion manifeste des plate formes de réseaux sociaux pour censurer les critiques qu’elles viennent de gauche ou de droite, transformant ainsi stupidement des personnalités comme Trump, Alex Jones et Marjorie Taylor Greene en martyrs. Il ne s’agit pas d’une bataille pour la démocratie, mais du pillage du pouvoir par des milliardaires contre des milliardaires. Personne n’a l’intention de démanteler l’État corporatif.

Dans les deux partis, la classe dirigeante a menti à propos de l’ALENA, accord de libre-échange nord-américain entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 1994, qui institue une zone de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, mais aussi concernant la « réforme » de l’aide sociale, la suppression des réglementations financières, les mesures d’austérité, la guerre en Irak et le néolibéralisme qui ont fait bien plus de dégâts auprès du public américain que n’importe quel mensonge de Trump.

La bave reptilienne suinte de chacun des pores de ces politiciens, depuis Nancy Pelosi et Chuck Schumer jusqu’à Biden, qui a soutenu l’amendement Hyde de 1976 interdisant le financement fédéral des avortements et qui, en 1982, a voté pour soutenir un amendement constitutionnel qui permettrait aux États de revenir sur l’arrêt Roe contre Wade.

Le public est tout à fait conscient de leur hypocrisie, en dépit des armées de consultants, d’enquêteurs, de serviteurs serviles dans la presse, d’équipes de relations publiques et d’agences de publicité qu’ils ont à leur service.

Marjorie Taylor Greene est une personne à la fois paumée et dérangée. Elle prétend qu’Hillary Clinton était impliquée dans un réseau de mutilation d’enfants et de pédophilie et que plusieurs des plus célèbres tueries dans les écoles ont été mises en scène. Mais aussi virulente que Trump, elle est un missile de croisière politique visant directement le cœur des centres discrédités du pouvoir traditionnel.

La haine est le carburant de la politique américaine. Personne ne vote pour choisir la personne voulue. On vote contre ceux qu’on déteste. Les communautés marginalisées noires et métisses ont subi des agressions pires que celles infligées à la classe ouvrière blanche, mais elles ont été politiquement affaiblies par une police militarisée qui fonctionne comme une armée d’occupation de l’intérieur.

Le non-respect des procédures légales, l’existence du plus grand système carcéral au monde et la suppression de tous les droits, y compris bien souvent le droit de vote en raison de condamnations pour infractions, ainsi que la non-accessibilité à la plupart des services sociaux et des emplois, les ont relégués à un niveau de survie qui se situe à l’échelon le plus bas du système de castes américain. Ils sont également les principales cibles des mesures prises sous l’égide des Républicains, visant à bloquer les votes et à redécouper les circonscriptions électorales.

Les démocrates et le fascisme américain (Illustration par Greg Groesch/The Washington Times)

Le ciment de ce fascisme christianisé n’est pas la prière, même si nous allons en avoir beaucoup, mais la guerre. La guerre est la raison d’être (en français dans le texte) de tous les systèmes totalitaires. La guerre justifie une chasse constante de nos ennemis internes. On l’utilise pour révoquer les libertés civiles de base et imposer la censure.

La guerre diabolise ceux qui, au Moyen-Orient, en Russie ou en Chine, sont rendus responsables des débâcles économiques et sociales qui ne font qu’empirer. La guerre détourne la rage engendrée par un État dysfonctionnel afin de viser les immigrants, les personnes de couleur, les féministes, les libéraux, les artistes, quiconque ne s’identifie pas comme hétérosexuel, la presse, les antifas, les juifs, les musulmans, les Russes ou les Asiatiques. Faites votre choix. C’est le smörgåsbord des bigots [Le smörgåsbord est un type de buffet scandinave, originaire de Suède, constitué de nombreuses sortes de poissons, tels que le hareng, le saumon et l’anguille, NdT]. Chaque plat au menu est une cible légitime.

J’ai passé deux ans aux côtés de la droite chrétienne, afin de mener des reportages et des recherches pour mon livre Les fascistes américains - La droite chrétienne à l’assaut des États-Unis. Ces fascistes chrétiens n’ont jamais caché leurs intentions ou leur désir de créer une nation « chrétienne », pas plus que ne l’avait fait Adolf Hitler dans Mein Kampf avec sa vision démentielle de l’Allemagne .

Comme tous les fascistes, ils s’appuient sur le désespoir de leurs adeptes. Ils dressent des tableaux terrifiants de la fin des temps, dans lesquels l’anéantissement tant espéré des non-croyants annonce le retour glorieux de Jésus-Christ. Selon eux, la bataille d’Armageddon sera lancée depuis le quartier général mondial de l’Antéchrist à Babylone, une fois que les Juifs auront repris le contrôle d’Israël. Plus nous nous rapprochons d’Armageddon, plus ils deviennent frénétiques.

Ces gens là croient à ces trucs, tout comme ils croient ce que raconte QAnon ou sont convaincus que c’est une fraude électorale qui aurait mis Biden au pouvoir. Ils sont convaincus qu’une idéologie démoniaque, laïque-humaniste, propagée par les médias, les Nations Unies, les universités d’élite, l’Union américaine pour les libertés civiles, l’Association nationale pour la promotion des personnes de couleur, l’Organisation nationale des femmes, le Planning familial, la Commission trilatérale ainsi que le Département d’État américain et les grandes fondations cherchent à les détruire.

La violence est considérée comme un agent purificateur, un élément clé de tout mouvement fasciste. Les fascistes chrétiens ne craignent pas la guerre nucléaire. Ils la souhaitent. Les provocations insensées de l’administration Biden à l’encontre de la Russie, notamment la décision de fournir une aide d’un montant de 33 milliards de dollars à l’Ukraine, de cibler dix généraux russes afin qu’ils soient assassinés et de transmettre à l’Ukraine les renseignements permettant de couler le Moskva, le croiseur à missiles guidés qui était le navire amiral de la flotte russe en mer Noire, servent à doper considérablement l’idéologie de la droite chrétienne.

Les fascistes américains par Chris Hedges

L’union de l’industrie de la guerre, déterminée à faire la guerre pour toujours, et des fascistes chrétiens qui aspirent à l’apocalypse est terrifiant. Biden nous entraîne, tels des somnambules vers une guerre avec la Russie et peut-être la Chine. Les fascistes chrétiens ne feront que précipiter la soif de sang.

Les anomalies politiques que nous avons engendrées ne sont pas singulières. Elles sont le produit d’une société et d’un gouvernement qui ne fonctionnent plus au nom de la collectivité citoyenne, mais qui ont été confisqués par une minuscule cabale, dans notre cas une corporation d’entreprises, afin de servir ses intérêts exclusifs.

Les belles promesses des politiciens n’ont absolument aucune valeur, y compris l’annonce par le candidat Barack Obama que la première chose qu’il ferait dès sa prise de fonction serait de signer la Loi sur la liberté de choix [Freedom of Choice Act - Déclare que la politique des États-Unis est que chaque femme a le droit fondamental de choisir de : (1) de porter un enfant ; (2) d’interrompre une grossesse avant la viabilité du fœtus ; ou (3) de l’interrompre après la viabilité du fœtus lorsque cela est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé, NdT], ce qu’il n’a jamais fait au cours de ses huit années de présidence.

Le vote programmé de la semaine prochaine au Sénat concernant une proposition de loi affirmant que les avortements sont légaux aux États-Unis, qui devrait être bloqué par l’utilisation par les républicains du filibuster, une règle de procédure du Sénat qui requiert 60 voix pour faire avancer la plupart des lois dans cette chambre de 100 membres, est un autre geste creux, vide de tout sens.

Nous avons vu les conséquences de ces dysfonctionnements à l’époque de l’Allemagne de Weimar et en Yougoslavie, un conflit que j’ai couvert pour le New York Times. La stagnation politique et la misère économique engendrent la fureur, le désespoir et le cynisme. Elles donnent naissance à des démagogues, des charlatans et des arnaqueurs. La haine est le moteur du discours politique. La violence est la principale forme de communication. La vengeance est le bien suprême. La guerre est la principale occupation de l’État. Ce sont les personnes les plus vulnérables et les plus fragiles qui en paient le prix.

NdT : Le 11 mai dernier, le vote au Sénat n’est pas passé.
Les démocrates ont tenté en vain, mercredi, de faire avancer la législation visant à garantir le droit à l’avortement à l’échelle nationale, les Républicains et un Démocrate du Sénat ayant bloqué un effort visant à inscrire dans la loi fédérale le précédent historique de l’affaire Roe contre Wade. Avec 51 sénateurs contre 49, les Démocrates n’ont pas obtenu les 60 voix dont ils auraient eu besoin pour adopter une législation de grande envergure visant à garantir l’accès à l’avortement et à interdire explicitement un large éventail de restrictions.

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