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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-055

Israël attise une guerre civile contre ses ressortissants palestiniens

Par Jonathan Cook, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 9 mai 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Israël attise une guerre civile contre ses ressortissants palestiniens

Le 5 avril 2022 par Jonathan Cook pour Middle East Eye

Vue depuis Nazareth (Jonathan Cook)

C’est dans l’occupation et l’oppression qu’il faut rechercher les véritables causes des trois attaques qui en quelques jours se sont produites en Israël. Alors pourquoi la seule réponse d’Israël est-elle de rajouter de l’oppression ?

Trois attaques palestiniennes distinctes et meurtrières dans des villes israéliennes en une semaine ont suscité une réponse prévisible. L’armée israélienne a déployé un grand nombre de soldats supplémentaires en Cisjordanie et autour de Gaza, des territoires palestiniens déjà soumis à des décennies d’occupation militaire brutale.

Mais le fait que, de manière inhabituelle, deux des attaques aient été perpétrées par des citoyens israéliens – membres d’une importante minorité palestinienne dont les droits sont sévèrement limités et inférieurs à ceux de la majorité juive – a considérablement augmenté les enjeux pour la droite israélienne.

Au total, 11 Israéliens sont morts dans les attaques perpétrées à quelques jours d’intervalle dans les villes de Beersheba, Hadera et Bnei Brak, une banlieue de Tel Aviv. Les forces israéliennes, à la gâchette facile, ont tué trois Palestiniens dans des incidents séparés jeudi, dans le sillage immédiat des attaques.

Ces attaques meurtrières ont été l’occasion pour Naftali Bennett, le leader d’extrême droite qui a arraché son poste de Premier ministre à Benjamin Netanyahu l’été dernier, de prouver sa crédibilité à la principale composante de son parti : les colons juifs déterminés à chasser les Palestiniens de leurs propres terres et à récupérer un prétendu droit de naissance biblique.

Un manifestant palestinien est arrêté par un agent de la police des frontières israélienne lors d’affrontements avec les forces de sécurité israéliennes près de la porte de Damas, dans la vieille ville de Jérusalem (AFP).

Dans une déclaration par vidéo, Bennett a déclaré à « quiconque possède un permis de port d’arme » – c’est-à-dire la très grande majorité des citoyens juifs – que « c’est le moment de porter votre arme ». Et comme si cela ne suffisait pas, il a poursuivi en annonçant que le gouvernement envisageait « un cadre plus large pour impliquer les volontaires civils qui veulent aider et être utiles. »

Violence en Israël:les citoyens de confession juive et de confession musulmane s’affrontent ravivant les craintes d’une guerre civile (Source Washington Post)

La violence de rue

Ce que cela signifie en pratique n’est pas difficile à déchiffrer. Il y a près d’un an, l’intensification des mesures prises depuis longtemps pour procéder à un nettoyage ethnique du quartier palestinien de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée, est devenue l’un des éléments déclencheurs des pires violences inter communautaires en Israël depuis au moins une génération.

Les citoyens palestiniens qui ont organisé des manifestations de colère se sont retrouvés non seulement confrontés à la répression attendue de la police paramilitaire israélienne, mais aussi faisant face à la violence des foules juives d’extrême droite qui semblaient opérer en tandem avec les forces de sécurité israéliennes.

Pour la première fois, les dirigeants israéliens semblaient vouloir déplacer un élément clé de l’occupation à l’intérieur de la ligne verte. [La ligne d’armistice de 1949 ou frontière de 1967 est la ligne de démarcation entre les forces israéliennes et les forces arabes résultant des quatre accords d’armistice conclus en 1949 entre Israël et les États voisins — Syrie, Liban, Transjordanie et Égypte — à la fin de la guerre israélo-arabe de 1948, NdT].

Dans les territoires occupés, les colons armés agissent avec efficacité comme des milices, terrorisant les communautés palestiniennes voisines, sous le regard impassible, ou parfois assisté, de l’armée israélienne. Ils agissent comme le bras long de l’État israélien, fournissant un démenti plausible aux responsables israéliens alors qu’ils se servent de la violence des colons.

L’objectif des colons et de l’État israélien est le même : chasser les Palestiniens de leurs maisons pour que les colons juifs puissent s’emparer des terres libérées.

Au printemps dernier, il est devenu plus difficile de dissimuler l’utilisation même de ce modèle en Israël. Le gouvernement israélien a semblé sous-traiter une partie de sa sécurité intérieure à ces mêmes colons fanatiques et violents, en leur permettant de se rendre sans aucune entrave dans les communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël. Là, ils se sont comportés en justiciers.

Un Israélien de droite et des agents de la police des frontières israélienne lors des attaques des forces de sécurité, des militants d’extrême droite et des colons contre des Palestiniens dans la ville de Lod, au centre d’Israël, le 13 mai 2021 (Oren Ziv)

Ils ont saccagé des magasins palestiniens, scandé « Mort aux Arabes » et tabassé les citoyens palestiniens qui croisaient leur chemin. Dans le même temps, des politiciens israéliens de tous bords ont incité à la haine contre la minorité palestinienne.

Aujourd’hui, il semble évident que Bennett espère exploiter les trois attaques pour donner à cet arrangement antérieur un caractère plus formel.

Une milice, "Barel Rangers", a ainsi déjà été constituée dans la région du Néguev, dans le sud d’Israël, là où l’un des attentats a eu lieu. Son fondateur, un ancien officier de police, a exposé son objectif dans un post sur les médias sociaux : « Lorsque votre vie est menacée, il n’y a que vous et le terroriste. Vous êtes le policier, le juge et le bourreau. »

Une autre milice a récemment été créée à Lod, une ville proche de Tel Aviv, qui a connu les pires violences en mai dernier.

Quand on joue avec le feu

L’appel de Bennett aux « volontaires civils » pour défendre l’État juif visait vraisemblablement à faire écho au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a exhorté les civils ukrainiens à combattre l’armée russe d’invasion. Il se peut que dans le climat international actuel, Bennett espère qu’il n’y aura guère de critiques à l’encontre de milices juives agissant de la même manière.

Mais alors que Zelensky a appelé les Ukrainiens à combattre les envahisseurs étrangers, Bennett rassemble des milices pour attaquer les propres ressortissants de son pays, sur la base de leur appartenance ethnique. Il joue avec le feu, attisant une ambiance de guerre civile dans laquelle un camp, les Israéliens de confession juive, dispose des armes et des ressources de l’État, tandis que l’autre – la minorité palestinienne – est quasiment sans défense.

Notons par exemple qu’après la deuxième attaque récente dans la ville juive de Hadera mardi – par deux citoyens palestiniens – une meute qui scandait « Mort aux Arabes » s’est rassemblée.

Nier l’apartheid ne remet pas en cause son existence (Guy Smallman/Getty Images)

Les conséquences éventuelle de cette situation ont été soulignées par un général de l’armée à la retraite, Uzi Dayan, aujourd’hui membre du parlement israélien pour le Likoud, le parti de Netanyahou. Il a mis en garde les 1,8 million de citoyens palestiniens d’Israël leur demandant de « faire attention ». Ils sont confrontés, a-t-il dit, à une nouvelle Nakba, ou Catastrophe – le nettoyage ethnique de masse qui a chassé les Palestiniens de leur patrie lors des opérations menées par les milices et l’armée israéliennes en 1948.

« Si nous en arrivons à une situation de guerre civile, tout se terminera par un mot et une situation que vous connaissez, qui est Nakba, a-t-il dit. C’est ce qui se passera à la fin ». Il a ajouté : « Nous sommes plus forts. Nous faisons preuve de retenue sur beaucoup de choses. » Le nettoyage ethnique associé à la Nakba « n’est pas allé à son terme », a-t-il ajouté.

Cette situation ne pourra pas être évitée par les citoyens palestiniens si c’est ce que veulent les dirigeants israéliens. Par crainte de représailles, de nombreux membres de la minorité ont eu peur de quitter leur maison, d’aller travailler ou de s’aventurer dans les zones juives – soit la majeure partie du pays –. Et ce, précisément parce que Bennett et Dayan représentent un vaste pan de l’opinion en Israël qui considère les Palestiniens – même les citoyens palestiniens – comme l’ennemi.

Les mesures de « retenues », dont parle Dayan, pourraient inclure non seulement une violence accrue soutenue par l’État, mais aussi des efforts visant à priver la minorité palestinienne de son statut de citoyen, même si celui-ci est très dégradé.

Depuis près de deux décennies, les dirigeants de l’extrême droite, tels Avigdor Lieberman, réclament des gages de loyauté et des politiques de transfert pour porter atteinte aux droits des citoyens palestiniens. La loi controversée sur l’État-nation de 2018 a érodé davantage ces droits. Le décor est déjà planté pour un nouvel assaut contre la citoyenneté.

Des lois racistes

Les attaques meurtrières menées par des membres de la minorité palestinienne d’Israël, comme les deux qui se sont enchaînés en peu de temps, sont rares. Elles sont invariablement le fait de ce qu’Israël appelle des « loups solitaires », des individus profondément découragées et marginalisés, et ne sont pas le fruit d’actions organisées par des mouvements palestiniens au sein d’Israël.

Manifestation de solidarité avec le prisonnier palestinien Hisham Abu Hawash et d’autres Palestiniens détenus en Israël, dans le district de Dura de la ville d’Hébron, en Cisjordanie, le 4 janvier 2022 [Mamoun Wazwaz/Anadolu Agency]

La minorité palestinienne a préféré utiliser les outils juridiques et politiques limités dont elle dispose afin de faire face à la discrimination et à l’oppression systématiques qu’elle subit et qui sont liées au fait de vivre en tant que population non juive dans un État juif autoproclamé.

Des dizaines de lois très ouvertement racistes ont été contestées devant les tribunaux, avec un succès minime toutefois. La minorité a de plus en plus fait pression sur la communauté internationale pour obtenir de l’aide, des appels qui ont mis Israël dans l’embarras.

Au cours de l’année écoulée, de plus en plus de groupes de défense des droits humains et de juristes ont déclaré qu’Israël était un État d’apartheid, tant dans les territoires occupés qu’en Israël même. La discrimination structurelle exposée par la minorité palestinienne a joué un rôle crucial pour aider ces organisations à parvenir à une conclusion aussi sévère.

Des dirigeants comme Bennett ont donc toutes les raisons d’essayer d’exagérer l’importance de ces attaques, suggérant comme il l’a fait cette semaine qu’elles font partie d’une nouvelle « vague de terreur ». Il a promis d’étendre le champ d’application des ordres de détention administrative draconiens – emprisonnement sans inculpation ou sans que les preuves soient rendues publiques – pour faire face à cette supposée vague.

Afin de rendre l’affaire plus crédible à ses yeux, les trois citoyens palestiniens impliqués dans les deux attaques – à Beersheba et Hadera – étaient très vaguement affiliés au groupe État islamique (EI).

Un grain de sel

Mais en réalité, si les trois auteurs semblent avoir eu une sympathie idéologique pour l’EI – l’un d’eux a même tenté sans succès de rejoindre un camp d’entraînement en Syrie en 2016 -– le groupe ne connaît aucune implantation significative au sein de la population palestinienne, que ce soit dans les territoires occupés ou en Israël.

Le rapprochement avec l’EI au sein d’une infime partie du public palestinien a atteint son apogée il y a cinq ans, lorsque le groupe paraissait pouvoir offrir un modèle de réussite pour renverser les tyrans arabes corrompus et moribonds de la région. Les échecs de l’EI et sa brutalité ont rapidement érodé même ce petit noyau de soutien.

Ce Vendredi 20 avril 2022, Israël a désigné six groupes de la société civile palestinienne comme organisations terroristes et les a accusés de détourner l’aide des donateurs vers les militants (Photo AP)

Selon les évaluations, malgré son espionnage intensif et la surveillance des Palestiniens sur les médias sociaux, Israël n’a pu identifier que quelques dizaines de partisans d’EI, et ceux-ci se trouvent dans ses geôles. Même dans ces cas, la majorité d’entre eux sont détenus en raison d’une sympathie idéologique avec le groupe, et non en raison de liens tangibles.

Et de toute façon, l’EI n’a jamais exprimé d’intérêt pressant pour des attaques contre Israël. Une déclaration de 2016 indiquait clairement que le groupe donnait la priorité à la lutte contre les gouvernements musulmans qui avaient, selon lui, rompu avec les principes fondamentaux de l’islam.

En revanche, les factions palestiniennes islamistes s’engagent à libérer la patrie palestinienne, et non à tenter de réinventer un mythique âge d’or de la domination islamique unifiée au Moyen-Orient. Il s’agit de mouvements de libération nationale palestiniens, pas de djihadistes.

Ne serait-ce que pour cette seule raison, la revendication par l’EI de la responsabilité des deux attaques doit être prise avec un gros grain de sel. Le groupe a intérêt à indiquer qu’il est impliqué dans les attentats, car ceux-ci ont coïncidé avec l’arrivée en Israël, la semaine dernière, des dirigeants de quatre États arabes – l’Égypte, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Maroc – pour un sommet.

Ces États arabes – et d’autres qui attendent dans les coulisses – souhaitent faire d’Israël la cheville ouvrière d’un nouveau pacte de sécurité et de renseignement régional partagé, conçu pour prévenir les menaces pesant sur leur pouvoir, notamment une résurgence des Printemps arabes.

Pour les partisans d’EI, cette initiative est une nouvelle humiliation et la preuve de l’illégitimité des autocraties arabes de la région.

Une arabe israélienne et sa fille passent devant l’épave d’une voiture à Lod, en Israël (Credit...Dan Balilty for The New York Times)

Coup double

Ces attaques ont été perpétrées par des loups solitaires – et dans un des cas, par deux loups solitaires – de plus en plus désespérés, furieux et vindicatifs après des décennies d’oppression des Palestiniens par Israël, avec la complicité et la trahison des gouvernements occidentaux et arabes.

La poussée de rage des assaillants coïncide avec une partie du programme de l’EI. Mais dans leur cas, les racines sont bien plus profondes.

Dans ce qui s’est passé en Israël, les auteurs palestiniens n’ont eu nul besoin d’être endoctrinés par les dirigeants étrangers de l’EI pour mener à bien leurs attaques. Ils avaient suffisamment de raisons domestiques pour vouloir frapper, tout comme le « loup solitaire » palestinien de Cisjordanie qui a perpétré un troisième attentat près de Tel Aviv, mais qui lui, n’avait aucun lien avec l’EI.

Des décennies de régime militaire brutal dans les territoires occupés et de discrimination et d’oppression systématiques à l’intérieur d’Israël en sont les véritables causes.

On ne peut pas non plus ignorer le double coup porté par Israël contre la partie la plus pieuse de la minorité palestinienne d’Israël.

En premier lieu, le parti religieux le mieux organisé et le plus avisé sur le plan politique en Israël, le Mouvement islamique du Nord dirigé par le cheikh Raed Salah, a été mis hors la loi en 2015. Les critiques israéliens, même au sein de l’establishment sécuritaire, ont averti à l’époque que cette mesure pousserait une partie de la contestation islamique dans la clandestinité et encouragerait un plus grand extrémisme.

Ensuite, son rival, le Mouvement islamique du Sud, dirigé par Mansour Abbas, s’est allié à Bennett l’été dernier pour chasser Netanyahu du pouvoir. Le parti d’Abbas est devenu le premier à rejoindre un gouvernement israélien, en échange de quelques miettes accordées par l’extrême droite.

Ces deux faits ont privé les musulmans fervents qui s’opposent à l’occupation israélienne et à la suppression des droits des Palestiniens de tout moyen sérieux et légitime de contestation. On les a privés de tout pouvoir et on les a humiliés – des conditions idéales pour inciter une frange de la population à organiser des attaques violentes comme celles de ces derniers jours.

Et pour couronner le tout, le parti d’Abbas soutient un gouvernement qui a autorisé cette semaine Itamar Ben Gvir, un législateur violemment anti-palestinien, à visiter le site sacré musulman d’al-Aqsa à Jérusalem en étant sous protection lourdement armée. Ben Gvir veut que l’esplanade des mosquées passe sous souveraineté juive.

Une leçon malavisée

Il y a là une leçon qu’Israël ignore délibérément, tout comme les États occidentaux qui lui servent de protecteurs.

Si on traite les populations avec une violence structurelle, si on les prive de leurs droits, si on les rabaisse et les humilie, et si on leur refuse une voix concernant leur avenir, alors il ne faut pas être surpris – et encore moins se draper dans une attitude moralisatrice – quand parmi elles, certains répliquent en déchaînant leurs propres formes de violence à votre encontre.

La leçon malavisée et égocentrique qu’Israël va en tirer – comme c’est le cas depuis des décennies – est que la seule bonne réponse consiste en une plus grande violence, une plus grande humiliation et une demande accrue de soumission. L’oppression continuera, et la résistance en fera tout autant.

Le soutien illimité de l’Occident à Israël, et aux autocraties arabes qui s’acoquinent maintenant ouvertement avec Israël, a un coût. Faire abstraction de la sauvagerie de l’EI peut être rassurant. Mais cela n’empêchera ni la pression de monter – ni l’explosion de se produire.

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