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D’après Alternatives Economiques du 07 Avril 2022

Et pourtant, la France pense à gauche…

Par Bruno Bourgeon

mardi 19 avril 2022, par JMT

Et pourtant, la France pense à gauche…

Distribution alimentaire dans une paroisse à Sevrier, Haute Savoie, le 15 mars 2022 (PHOTO : Agnes VARRAINE LECA/REA)

Contrairement à ce qu’indiquent les résultats qui placent Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, les valeurs politiques des Français penchent à gauche. Mais l’offre politique demeure décrochée des préoccupations des citoyens, ce qui favorise la droite. Les dés ne sont pas encore jetés. Une opposition entre une candidate d’extrême droite et un candidat de droite au second tour de l’élection présidentielle française : quoi de plus normal pour conclure une campagne marquée par l’omniprésence de thèmes sécuritaires et réactionnaires.

Les résultats du premier tour montrent en effet une gauche totalisant 32% des votes, quand chacun de ses représentants, à l’exception de Jean-Luc Mélenchon, n’atteint pas 5%. Les deux tiers des français seraient-ils désormais convaincus par les idées de droite ? Les enquêtes d’opinion qui interrogent leurs valeurs politiques montrent pourtant le contraire. Certains indicateurs, comme la demande de redistribution ou la tolérance à la diversité le prouvent : l’opinion des Français envers les mécanismes de solidarité et de lutte contre la pauvreté, par exemple, est beaucoup plus favorable qu’on ne l’imagine souvent.

N’en déplaise à Emmanuel Macron qui déplore dépenser un « pognon de dingue » dans les minima sociaux, ils sont 68% à considérer qu’il est normal que la France consacre le tiers de son revenu national au financement de la protection sociale, selon le baromètre annuel de la DREES, le service des études du ministère de la Santé et des affaires sociales. Cette enquête rigoureuse, renouvelée chaque année depuis 20 ans, permet également de mettre en évidence la grande stabilité de ces opinions.

Le baromètre laisse également apparaître un soutien massif des Français pour les transferts publics en direction des personnes les plus vulnérables. Une forte majorité d’entre eux (65% en 2019) souhaite même que le revenu de solidarité active (RSA), garantissant un niveau de revenu compris entre 560 et 870 euros, soit augmenté. Ce montant est très éloigné du revenu considéré par les Français comme le minimum pour vivre, évalué à 1710 euros par mois en moyenne pour une personne seule en 2020. Cette même année, le Smic s’élevait à 1218 euros net.

Autres preuves que les Français sont loin de s’être convertis au libéralisme à tout crin, 73% d’entre eux trouvent la société « plutôt injuste » et 85% considèrent que les inégalités vont « plutôt augmenter » au sein du pays. Face à ces constats, ils sont 85% à vouloir augmenter le Smic. 70% d’entre eux jugent même qu’il faut réglementer les écarts de salaire dans les entreprises, pour que le salaire le plus haut ne dépasse pas dix fois le montant du salaire le plus bas.

Pour la population, le salaire des « héroïne.s du quotidien » mis à l’honneur par la crise sanitaire, tels que les caissier.e.s de supermarché, devrait même être augmenté de 271 euros, et celui d’un cadre dans une grande entreprise diminué de 415 euros, en moyenne, selon une récente étude du Crédoc.

« Face à ces constats, il est difficile de conclure à une acceptation de plus en plus large du libéralisme économique par les Français », note Vincent Tiberj, professeur des universités à Sciences Po Bordeaux. Pour l’établir, le sociologue a analysé, avec les politologues James Stimson et Cyrille Thiébaut, les valeurs politiques des Français qui renvoient aux enjeux socio-économiques à travers plusieurs baromètres d’opinion tel celui de la DREES ou l’enquête Fractures françaises (Ipsos, CEVIPOF...). Il en a tiré un indice longitudinal de préférences sociales, qui révèle une hausse des demandes de redistribution entre 2015 et 2018, soit les années qui ont précédé le mouvement des Gilets jaunes, avant que celles-ci ne stagnent.

Loin de dépeindre une France qui glisserait irrémédiablement vers la droite, les évolutions de cet indice dépeignent plutôt des cycles, avec un retour des « demandes sociales », au milieu des années 1990 et dans la période 2008-2012, et des périodes favorables au libéralisme économique au début des années 1980 et des années 2000. « Les évolutions à la hausse et à la baisse de l’indice dépendent fortement de la formation politique qui gouverne », précise Vincent Tiberj. Ainsi, sous la présidence de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, les demandes sociales ont progressé sans discontinuer de 2001 à 2012, pour atteindre un niveau qu’on n’avait pas constaté depuis la fin des années 1970. « Sous la fin du quinquennat Macron, le "quoi qu’il en coûte" qui a été préconisé pour répondre à la crise sanitaire en soutenant l’activité explique en partie la stagnation des demandes sociales », analyse le sociologue.

Mais cet équilibre s’explique aussi par des tensions internes au sein de l’électorat sur les questions de redistribution : « Quand on regarde dans le détail les séries de questions, on observe une baisse des demandes d’intervention de l’État sur les entreprises et le secteur privé, ainsi que sur les cotisations sociales et les impôts. Dans le même temps, les Français restent attentifs au sort des plus précaires et des plus pauvres. Difficile donc, au vu de cet indice, de conclure à une droitisation des demandes sociales : au mieux, il y a ambivalence et polarisation des opinions. »

Pour mesurer l’ouverture des Français à la diversité, Vincent Tiberj a élaboré un autre indicateur : l’indice longitudinal de tolérance, fondé sur le baromètre annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui évalue depuis 1990 les préjugés à l’égard des immigrés et des minorités. A la différence du premier indice, celui-ci fait apparaître une tendance de moyen terme en faveur de l’ouverture à la diversité.

Ce phénomène s’explique autant par une hausse du niveau de diplôme de la population, facteur de baisse du racisme ou de la xénophobie, que par le renouvellement générationnel, les cohortes de jeunes se montrant plus ouvertes que celles de leurs aînés. « Dans le même temps, les générations "déjà là" s’avèrent plus tolérantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient auparavant : on ne devient pas plus xénophobe en vieillissant », ajoute Vincent Tiberj. « L’ensemble de ces aspirations invalident la thèse qui voudrait nous faire croire que la société se décomposerait avec une individualisation de plus en marquée : les Français sont en réalité pleinement tournés vers les questions de solidarité », remarque Patrick Savidan, philosophe, professeur de science politique et auteur de « Voulons-nous vraiment l’égalité ? »(Albin Michel, 2015).

Comment, alors, expliquer que leur vote ne suive pas leur progressisme en matière de valeurs politiques ? « Les Français estiment que l’objectif de solidarité qui est le leur n’est plus pris en charge comme il le devrait par l’Etat et la solidarité publique », avance le politiste. Selon cet ancien président de l’Observatoire des inégalités, les Français développent l’impression qu’ils ont à choisir une forme de solidarité au détriment d’une autre. D’un côté une solidarité « froide », publique et élargie, dont l’Etat est le garant. De l’autre une solidarité « chaude », qui se définit par des transferts directs au sein du foyer, par opposition à celle qui passe par des mécanismes impersonnels de redistribution.

« L’Etat lui-même a délaissé l’outil redistributif public pour inciter à la solidarité privée. Cela s’illustre par exemple par l’exonération d’impôt sur les successions pour un grand nombre de Français ou la défiscalisation des cours particuliers dont bénéficient les enfants au sein du foyer au détriment d’un financement accru de l’école publique, précise Patrick Savidan. En conséquence, les Français ont tendance à orienter leur effort de solidarité de façon plus directe et plus individualisée. Les citoyens français ne deviennent donc pas égoïstes, mais ils considèrent qu’ils doivent d’abord assumer leurs obligations envers une certaine catégorie de personnes, telle que leur famille. »

Le glissement de la France à droite dans les urnes en serait la traduction concrète. Lors des récents scrutins locaux des années 2020 et 2021, la droite a en effet confirmé son ancrage, s’imposant dans 61% des villes de plus de 20000 habitants, plus des deux tiers des départements, ainsi que sept des douze régions métropolitaines.

« Les partis de gauche, dont les programmes visent à renforcer les solidarités, sont discrédités car ils ne répondent pas concrètement aux attentes des individus, analyse Patrick Savidan. L’offre politique qui paraît alors la plus cohérente est celle des partis de droite : on va réussir par plus de performance, par plus d’individualisme au fond. En gros, on va vous donner les moyens de vous débrouiller d’avantage. »

« Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, la gauche n’a pas été en mesure de porter un véritable projet structurant de société. Cela nous raconte l’incapacité de l’offre politique à créer un discours de solidarité », analyse Vincent Tiberj. « L’offre politique demeure donc décrochée des préoccupations des citoyens, ce qui favorise la droite », précise-t-il.

Le sociologue refuse pourtant d’y voir un glissement de la France à droite, tel que le politiste Pascal Perrineau a récemment pu le théoriser. « Le fait que la droite se soit imposée lors des dernières élections n’est pas discutable, mais généraliser à partir de ces faits l’est davantage », rétorque le sociologue Vincent Tiberj.

Car la France qui vote n’est pas forcément représentative de l’ensemble des électeurs. « En 2021, les urnes ont surreprésenté les classes supérieures et les électeurs les plus âgés : un profil social et générationnel qui penche à droite, et dont les priorités ne sont pas forcément celles de ces citoyens silencieux », explique-t-il. Un phénomène qui a enterré tout espoir de la gauche d’accéder au second tour de l’élection présidentielle en 2022

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re
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